Le nouvel ordre électoral
Depuis le Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, écrit en 1913 par André Siegfried, la géographie politique a fait d’immenses progrès et les techniques modernes autorisent désormais des descriptions et analyses robustes dans une discipline encore très marquée par des discours romantiques, séduisants mais contestables au regard des normes scientifiques modernes.
Notre camarade Hervé Le Bras, formé à l’école austère de la démographie, explique ainsi dans son dernier livre que le déterminisme sociologique présent dans la plupart des analyses sur le vote en faveur du Front national doit s’incliner devant la réalité de ce qu’il appelle la « mémoire de l’espace », un phénomène bien connu des économistes urbains qui permet de comprendre pourquoi vivre dans une zone de taux de chômage élevé réduit l’incitation à chercher un emploi, de même que les probabilités de commettre un délit sont plus fortes pour un jeune résidant dans une « trappe spatiale à délinquance ».
Au-delà de ce rappel à l’ordre méthodologique, le principal de la thèse du Nouvel Ordre électoral est de montrer comment le calcul prêté à François Mitterrand de favoriser la montée du Front national pour enfoncer un coin fatal à la droite s’est retourné, trente ans après, comme un boomerang contre ses héritiers.
Le nouveau tripartisme accordant au Front national un poids équivalent à celui des deux forces politiques dominantes de la Cinquième République, phénomène cristallisé depuis 2012, et le jeu mécanique des transferts entre les deux tours assureraient ainsi une prééminence durable à la droite et son succès aux prochaines élections présidentielles. Cette arithmétique électorale semble implacable.
La tendance politique révélée dans le livre d’Hervé Le Bras sera-t-elle durable ? L’avenir n’est pas écrit d’avance ; l’effritement des partis de gouvernement tient beaucoup à la soumission, plus que consentante depuis quinze ans, de leurs dirigeants à la machine infernale de la « médiacratie » de l’instant, au détriment des visions longues si nécessaires, particulièrement en période de transition comme aujourd’hui.
La posture déclamatoire a supplanté la recherche de l’efficacité de l’action publique, et il est certain que, dans ce théâtre des apparences et des passions, une force politique sans passé autre que de contestation a une puissance de séduction bien supérieure aux bilans de partis politiques englués dans leurs échecs et leurs contradictions.
L’avenir de la donne électorale récente dépendra donc beaucoup de la capacité des candidats à la présidentielle à redresser la pente, en proposant une vision forte et crédible répondant aux nombreux problèmes du pays, et ensuite de celle du vainqueur à la mettre en œuvre avec persévérance.