Un bureau de poste

Réformez !

Dossier : ExpressionsMagazine N°720 Décembre 2016
Par Jean-Paul BAILLY (65)

Jean-Paul Bailly livre son expé­rience de diri­geant de grandes entre­prises publiques. Il explique qu’il est pos­sible de réfor­mer (il l’a fait) et indique des voies à suivre : négo­cier, de la méthode, savoir démar­rer, affron­ter le choc et sur­tout mettre de la vie. 

D’où te vient ta passion de réformer ?

NÉGOCIER

« Anticiper, organiser la négociation au plus près du terrain, ne jamais changer de négociateur, accompagner en permanence le négociateur pour lui donner les marges de manœuvre nécessaires, voilà quelques règles d’or pour réussir une négociation. »

Au départ, tout découle de mon choix, à la sor­tie de l’X, d’entrer dans une grande entre­prise publique. C’était à l’époque un choix assez cou­rant par­mi les X : choi­sir de ser­vir l’intérêt géné­ral avec un esprit entre­pre­neu­rial, sou­cieux de l’efficacité et du développement. 

Cela avait alors un côté idéa­liste, comme on s’engagerait aujourd’hui dans une ONG. Et force était de consta­ter que les grandes entre­prises publiques n’avaient pas bien réus­si le chal­lenge de conci­lier ser­vice public et excel­lence managériale. 

À la RATP, je me suis vite ren­du compte qu’on peut y dis­po­ser d’une liber­té d’agir réelle, et qui débouche sur des résul­tats qui amé­liorent la vie de tout le monde. 

Tu entres dans la vie active en 1968 : cela t’a‑t-il influencé ?

Pas vrai­ment, car j’avais démis­sion­né et j’étais alors par­ti au MIT, très loin de ce qui se pas­sait à Paris. À l’époque, j’étais par­mi les pion­niers : la démarche n’était pas fré­quente. Mais tous les thèmes de Mai 68 : coges­tion, par­ti­ci­pa­tion, etc., étaient éga­le­ment très pré­sents aux États-Unis. 

DE LA MÉTHODE

« Ce sont les méthodes qui génèrent la confiance et assoient la crédibilité. C’est de la qualité du processus de décision que découlent la pertinence et la légitimité des décisions. Arrêtons de tout réglementer et de tout contrôler, source de complexité et de défiance. La raison d’être de l’État et des hommes politiques ne doit pas être de renforcer en permanence le cadre législatif et réglementaire. Il doit être de construire l’avenir et de remettre les acteurs économiques au centre du jeu, de les laisser agir en confiance. »

Ce qui m’a peut-être le plus influen­cé, c’est d’y décou­vrir le mode amé­ri­cain de rela­tion étu­diant- pro­fes­seur, tota­le­ment dif­fé­rent de ce qui se pas­sait en France. J’en ai gar­dé cette convic­tion pro­fonde que le diri­geant doit se rendre acces­sible et être atten­tif à la rela­tion personnelle. 

En ren­trant en France, j’ai com­pris que les entre­prises publiques étaient effec­ti­ve­ment un champ pri­vi­lé­gié pour conduire des réformes dif­fi­ciles, car on peut y dis­po­ser de leviers qui n’existent pas dans les admi­nis­tra­tions. Mais il faut savoir créer les condi­tions pour avoir des marges de manœuvre : une fois les objec­tifs stra­té­giques mis au clair avec l’État action­naire, on est vrai­ment assez libre dans ses initiatives. 

Et on y dis­pose d’une res­source essen­tielle : le temps, qu’il faut savoir gérer à la fois dans la durée néces­saire pour réfor­mer et dans la matu­ra­tion des pro­jets. Mais une fois la réforme enga­gée, l’exécution doit être impec­cable et rapide, avec le juste rythme. C’est sou­vent là qu’échouent les politiques. 

LA CRISE DE 2002

« En 2002, les relations avec les élus sont difficiles. Les maires et la population tiennent à leur bureau de poste. Les dirigeants de La Poste, président en tête, se font huer lors des congrès départementaux des maires.
La tension atteint son paroxysme à l’été 2004 avec la publication par Le Parisien d’une liste de bureaux ruraux que La Poste prévoit de fermer. Convocation chez le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et grande interview dans Le Figaro pour démentir. »

SAVOIR DÉMARRER

« Le démarrage est difficile parce que cela demande, au début, beaucoup d’effort pour peu de résultats concrets. […] Savez-vous à quel moment une fusée déploie le maximum d’énergie ?
C’est quand elle ne bouge pas. Au décollage. Puis, au fur et à mesure du mouvement, elle accélère, la résistance de l’air diminue, le poids de carburant se réduit et l’énergie nécessaire diminue jusqu’au moment où le satellite tourne “tout seul”. »

T’est-il arrivé de « baisser les bras » ou d’échouer ?

Pas sou­vent. En tout cas, jamais sur l’objectif à atteindre. Quelques fois sur les voies pour y par­ve­nir si celle que j’avais pu ima­gi­ner se révé­lait pour une rai­son ou une autre mal appro­priée à l’épreuve des faits. Alors, il ne faut sur­tout pas s’entêter, et chan­ger la méthode rapidement. 

AFFRONTER LE CHOC

« Lors de visites d’atelier, j’ai souvent été entouré, au début, par plusieurs centaines d’ouvriers, dont certains vraiment agressifs. J’ai vu voler les boulons ! Plus tard, dans un centre-bus, j’ai vu mon effigie accrochée à une potence ; j’ai monté des escaliers dont les rampes et les marches avaient été recouvertes de graisse de moteur ; j’ai été accueilli par un vacarme d’avertisseurs des autobus et par le haut-parleur du centre dont un syndicaliste avait pris possession et qui hurlait : « Voilà Monsieur Bailly, le fossoyeur du service public ! »

Mais j’ai eu de vrais moments de doute, par exemple avec le chan­ge­ment de sta­tut pour La Poste. J’étais convain­cu que ce chan­ge­ment était indis­pen­sable pour lui don­ner des marges de manœuvre, aug­men­ter son capi­tal, etc. 

J’avais bien anti­ci­pé sur plu­sieurs points : qu’il n’y aurait pas de trop forte résis­tance interne à l’entreprise, ni de la part des poli­tiques locaux. En revanche, je n’ai pas vu venir l’opposition mas­sive des poli­tiques au niveau natio­nal : cela s’est ter­mi­né par une vota­tion orga­ni­sée par la gauche, avec deux mil­lions de votes contre le pro­jet de « pri­va­ti­sa­tion » de La Poste. 

Et j’ai un vrai regret : celui d’avoir dû renon­cer au pro­jet d’actionnariat sala­rié à La Poste. Deux rai­sons : d’une part, dans une période de ten­sion sociale liée au sui­cide de deux cadres, les syn­di­cats, même ceux répu­tés réfor­mistes, étaient contre ; et l’encadrement n’était pas prêt à por­ter le pro­jet avec moi. 

Le moment était deve­nu trop dif­fi­cile pour lan­cer une nou­velle réforme. 

Dans tout cela, quelle influence de ton passage à l’École ?

METTRE DE LA VIE

« Organiser, ce n’est pas seulement, ni même essentiellement, mettre de l’ordre : c’est aussi mettre de la vie. »

Pour être franc, l’enseignement lui-même m’a peu appor­té. Ce n’est pas le cas des années de pré­pa, qui m’ont appris la méthode, l’organisation, l’endurance, etc. 

Fina­le­ment, l’École m’aura sur­tout appor­té par les valeurs qu’elle por­tait : l’engagement, la soli­da­ri­té, l’honnêteté, la coopé­ra­tion. J’espère qu’elle les porte tou­jours aujourd’hui.


Jean-Paul Bailly a été pré­sident du groupe La Poste de 2002 à 2013. © ANDRÉ TUDELA – LE GROUPE LA POSTE

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