Pierre Pringuet (69), l’exigence tranquille
Élégant de mise, courtois et affable, c’est un plaisir de lui causer. Pour notre entretien, il éteint son portable. S’exprimant avec soin, choisissant ses mots pour qu’ils ne trahissent pas ce qu’il veut dire, il déteste l’emphase.
Judicieusement, il aime des écrits en une langue sèche, dégraissée d’adjectifs et d’adverbes inutiles. De même, l’immodestie le hérisse.
Relisant Tristes Tropiques, le ton hautain de Lévi-Strauss lui fut insupportable. Les manuels de gestion d’entreprise l’agacent : la Harvard Business Review, bien trop formelle, lui « tombe des mains ».
Dessin : Laurent Simon
Quant aux livres de dirigeants d’entreprises, « ce sont le plus souvent des recueils d’anecdotes tout à fait creux ».
UN CARACTÈRE EXIGEANT
Il se veut toujours bien préparé, afin de réussir chacun de ses multiples engagements. C’est un stratège, il aime anticiper, déteste ne pas être préparé. Très sollicité, son activité reste très prenante avec 70 courriels quotidiens qui exigent réponse.
Sa formation l’a habitué à plancher beaucoup, longtemps et de manière efficace. Il lit très attentivement chacun des documents qu’il reçoit, et carbure au café.
Avare de son estime, elle est totale lorsqu’il la donne. Ainsi d’Olivier Schrameck, l’actuel président du Conseil supérieur de l’audiovisuel : ils sont des amis très proches depuis la 9e ! Ou de Bruno Le Roux, l’actuel président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.
“ Enseigner, c’est simplifier, rendre accessible ”
Il est du nombre des fidèles de Michel Rocard, animant plusieurs cercles de ses anciens collaborateurs, dont celui dénommé Cabaroc.
Sa scolarité se fit aux lycées Carnot, puis Louis-le-Grand. Des enseignants influents, en 4e un professeur d’anglais, promouvant la prononciation par l’écriture phonétique ; en 1re, Gilles Sandier – le critique de théâtre du Masque et la Plume – faisant admirer Phèdre à ses élèves ; André Warusfel en maths d’hypotaupe. Enfin Pierre Laffitte, le mythique directeur de l’École des mines.
Pour lui, l’enseignement consiste à « simplifier, rendre accessible ». Il trouve formateur l’exercice de contraction d’un texte.
APRÈS POLYTECHNIQUE, LE CORPS DES MINES
Deux stages successifs en Suède d’un an chacun lui apportèrent énormément, le premier dans le Grand Nord (sidérurgie et programmation en Fortran), le second à Stockholm (gaz industriels) : immersion dans une langue difficile – expérience du sombre hiver de l’Arctique – randonnée d’une dizaine de jours, l’été enfin revenu – le sauna – égalitarisme en cette social-démocratie, « mais certains étaient davantage égaux ! » et une efficacité dans l’administration du pays, suscitant son admiration.
Premier poste à Metz : en pleine crise de la sidérurgie Lorraine, où il vit des fours archaïques de 10 ou 20 t, alors qu’à l’étranger on en était à 200 t – une remarque qu’il eut le front de faire au grand déplaisir du ministère de l’Industrie.
Son parcours dans le corps des Mines se poursuivit en cabinet ministériel, celui de Michel Rocard (1981−1985). Il devint ensuite directeur des industries agricoles et alimentaires, au ministère de l’Agriculture.
UNE CARRIÈRE QUI S’ÉPANOUIT À LA TÊTE DE PERNOD RICARD
N’ayant « jamais opposé public et privé », il entre en 1987 chez Pernod Ricard comme directeur du développement. Directeur général de cette société pour l’exportation de grandes marques (1987−1996), il organise son expansion internationale, tous azimuts. P‑D.G. de Pernod Ricard Europe (1997- 2000), il devient en 2000 codirecteur général, avec Richard Burrows, puis administrateur dès 2004.
“ Quand on est dans l’eau, on nage ! ”
En 2005, c’est la réussite de l’acquisition-intégration d’Allied Domecq. En décembre 2005, il devient directeur général délégué du groupe. En 2008, il renoue avec la langue suédoise, à l’occasion de l’acquisition de V & S et de sa marque Absolut Vodka. Cela parachève l’internationalisation de Pernod Ricard, devenu ainsi au début du XXIe siècle une grande multinationale, la seconde au monde pour les vins et spiritueux.
De novembre 2008 à février 2015, Pierre Pringuet est directeur général de Pernod Ricard puis, à partir de fin août 2012, vice-président du conseil d’administration.
À présent, il a un rôle clé dans le patronat français, appelé depuis juin 2012 à présider l’Association française des entreprises privées (AFEP). Ses nombreuses autres présidences incluent celles d’AgroParis-Tech, de la Scotch Whisky Association et de l’Association amicale des ingénieurs du corps des Mines.
Il donne l’impression d’une grande aisance, de ne reculer devant aucune difficulté. Comme il aime à dire : « Quand on est dans l’eau, on nage. »
Commentaire
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Cumul
Portrait intéressant. Mais que le président de l’Amicale du Corps des Mines soit aussi président de l’AFEP pose un problème, déjà souligné. Comme Pringuet je pense qu’il ne faut pas « opposer public et privé » (pour reprendre l’expression du portrait), mais qu’il faille les DISTINGUER me paraît plus nécessaire que jamais.