Étymologie :
À propos de physique
La notion de physique a évolué entre l’Antiquité et l’époque moderne, où l’on distingue en français la physique et le physique. Histoire d’une bifurcation étymologique…
Du grec à l’origine
Le mot physique a visiblement une forme grecque, avec son i grec, avatar d’upsilon (υ, Υ), et son ph, représentant le p aspiré noté phi (φ, Φ) en grec ancien, et bien distinct du ƒ latin. En effet, physique vient du latin physica, lui-même emprunté au grec phusikê (φυσικη).
Et parce que le ph a fini par se prononcer comme un ƒ, certaines langues l’ont abandonné (en même temps que le y) : c’est le cas de l’italien (fisica) et de l’espagnol (física), mais certes pas du français, ni de l’anglais (physics) ou de l’allemand (Physik).
L’origine naturaliste de la physique
Le point de départ est une racine indoeuropéenne signifiant « naître, croître, être », à laquelle se rattache le verbe grec phuein « naître, pousser », surtout pour les êtres vivants, d’où notamment phuton « plante, ce qui pousse », et en français l’élément phyto-, de la phytothérapie par exemple.
Du verbe phuein dérive aussi le nom phusis, désignant d’abord le règne vivant, puis en philosophie (chez Platon) la nature au sens large, y compris la matière inerte et tout l’univers… (de même en latin, natura « nature » vient de nasci « naître »). Enfin, de phusis « nature » on arrive à l’adjectif phusikos « relatif à la nature », où la nature est prise au sens restreint du monde vivant ou au sens large.
De là, l’évolution en latin et en ancien français va aboutir à deux champs sémantiques : l’un en rapport avec les êtres vivants, et surtout avec l’être humain : le physique d’une personne et l’adjectif physique à propos de ses caractères physiques, de sa force physique… (cf. en anglais physician « médecin ») ; l’autre en rapport avec la nature au sens large : la physique, c’est-à-dire la science qui étudie les propriétés générales de la matière et les lois qui régissent les phénomènes matériels (cf. en anglais physicist « physicien »).
Au commencement était Aristote
Cette dernière acception doit beaucoup, sinon tout, à Aristote qui, à Athènes entre 335 et 323 avant J.-C., écrivait ses Leçons de physique (Phusikês akroaseôs), ce qu’il est convenu de nommer la Physique d’Aristote.
Cet ouvrage traite de notions fondamentales comme la matière et la forme, le mouvement et le changement, l’infini, le vide, le temps… des notions auxquelles la physique n’a pas cessé de s’intéresser depuis, et Aristote étudiait aussi le monde vivant, mais dans d’autres traités, dont sa remarquable Histoire des animaux.
Et même si de nos jours le nom de la physique n’évoque plus les êtres vivants, il est bien formé sur le même radical phys- que les mots de la biologie comme physiologie (d’où l’anglais physiology), du grec physiologia « dissertation sur la nature » déjà attesté chez Aristote, et l’élément physio- sert à former de nombreux mots, comme physionomie, du grec phusiognômonia « art de juger quelqu’un d’après… le physique », encore une fois chez Aristote.
Épilogue
La physique moderne peut être quantique, relativiste, atomique, ou encore nucléaire… ce qui ramène au végétal, donc au vivant. Pourquoi cela ? Simplement parce que l’adjectif nucléaire remonte au latin nucleus, dont le sens premier est… « cerneau de noix », nucleus dérivant de nux, nucis « noix », d’où vient aussi noyau (cf. en anglais, atomic nucleus « noyau atomique »).
Au-delà de la boutade étymologique, l’observation de la nature est bien à l’origine de toutes les connaissances humaines.
En illustration : Portrait d’Aristote, conservé au Louvre, copie romaine en marbre d’un bronze grec attribué à Lysippe, portraitiste attitré d’Alexandre le Grand, dont Aristote fut le précepteur. Le nom d’Aristote en grec est Aristotelês, formé de aristos « le meilleur » et telos « résultat ».
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