Des bactéries et des tholins, ou le secret de la vie révélé par Titan ?
Les tholins sont des substances organiques plus ou moins azotée formés sous l’action du rayonnement ultraviolet sur des composés organiques simples. On en trouve à la surface de nombreux astres du Système solaire externe, dont Titan. Le projet consistait à étudier l’adaptation de bactéries à des milieux ne contenant aucune source de carbone excepté les tholins, afin d’identifier les mécanismes mis en jeu dans leur métabolisme
Titan, satellite de Saturne intéressant pour ses similarités avec la Terre, possède une atmosphère proche de l’atmosphère primitive de la Terre, telle qu’on l’imagine aujourd’hui.
En particulier, l’atmosphère de Titan contient des molécules organiques complexes nommées tholins, introuvables aujourd’hui sur Terre, mais dont on soupçonne la présence aux origines de notre planète.
Des chercheurs de la NASA ont montré que certaines bactéries étaient même capables de les utiliser comme source de carbone, voire d’acides aminés.
UN RÉACTEUR À PRODUIRE DES THOLINS
Nous voulions étudier l’adaptation de bactéries à des milieux ne contenant aucune source de carbone excepté les tholins, afin d’identifier les mécanismes mis en jeu dans leur métabolisme. Pour ce faire, nous avons utilisé le réacteur PAMPRE, développé par le professeur Guy Cernogora à l’université de Versailles Saint-Quentin.
LES THOLINS
Ces tholins, à la frontière entre microet nanoparticules, sont des polymères composés de carbone, d’hydrogène et d’azote. Ils sont notamment responsables de la couleur rouge de Titan et auraient des propriétés absorbantes comparables à notre couche d’ozone actuelle.
Ce réacteur permet la production de tholins selon un mécanisme extrêmement fidèle à celui qui a lieu dans la haute atmosphère de Titan. La synthèse des tholins est déclenchée par une décharge de plasma dans un mélange gazeux de méthane (CH4) et de diazote (N2), donnant lieu à des tholins sous forme de poudre.
L’équipe du professeur Cernogora nous a permis d’utiliser le PAMPRE une journée entière. Équipés de blouses, de gants et de masques à nanoparticules, nous avons lancé la production et obtenu près de 200 mg de tholins au bout de six heures de réaction.
NOUS CULTIVONS DES BACTÉRIES
Une fois les tholins produits, avec l’aide de Hannu Myllykallio qui encadrait notre projet, nous avons testé un échantillon bactérien le plus vaste possible obtenu à partir d’échantillons de sols prélevés sur le campus de l’École (fumier du centre équestre, terre mouillée au bord du lac, terre sèche des terrains sportifs).
Les tholins sont responsables de la couleur rouge de Titan. © TRISTAN3D / FOTOLIA.COM
Ces échantillons ont d’abord été incubés dans un milieu dépourvu de résidus carbonés, plus ou moins riche en sels et minéraux, et contenant une quantité idoine de tholins.
Les cultures, troubles après quelques jours, avaient vraisemblablement été le lieu du développement de bactéries ; nous avons alors procédé à l’étalement sur une boîte de Petri de chaque surnageant pour mettre en évidence la présence de colonies. Ces dernières, observées après incubation pendant quelques jours, ont été soumises à une analyse visuelle (couleur, taille, brillance, forme, etc.), afin de dégager un certain nombre d’espèces bactériennes et de les isoler sur de nouvelles boîtes de Petri.
Ces isolations ont été confirmées en répétant les opérations précédentes : le surnageant de chaque tube a été remis en culture dans le milieu pauvre avec les tholins, puis le nouveau surnageant a été étalé sur une boîte de Petri et les colonies différenciées à l’oeil isolées.
Lors de la deuxième expérience, moins de bactéries ont été isolées, ce qui semblait confirmer un affinage des résultats : certaines bactéries auraient pu survivre grâce à la présence de résidus carbonés présents dans les échantillons, ou simplement bénéficier d’une durée de vie plus grande en leur absence, mais être ensuite éliminées lors de la seconde série d’incubations. Au total, 23 bactéries, a priori différentes, ont été isolées.
À LA RECHERCHE DU GÉNOME
Chaque type bactérien isolé a ensuite été soumis à une PCR (réaction en chaîne par polymérase) de la séquence du gène codant pour l’ARN 16S, hautement conservé et caractéristique des différentes espèces bactériennes. Neuf PCR ont fonctionné, résultat encourageant vu la méthode utilisée (rapide, mais sans purifications intermédiaires et relativement peu efficace).
Les participants au projet, de gauche à droite : Gleb Simanov, Gwladys Sanchez, Quiterie Forquenot, Gabriel Comolet.
Les bactéries pour lesquelles les PCR avaient fonctionné ont ensuite été envoyées à Eurofins Genomics pour séquençage, et les résultats récupérés ont été traités par analyse bio-informatique. Il s’est d’abord agi d’identifier les échantillons : à l’aide de bases de données en ligne (BLAST – NCBI), huit bactéries différentes ont été identifiées, avec un pourcentage de ressemblance de 99 %.
Notre objectif était alors de nous procurer les séquences des génomes complets des bactéries identifiées, afin de procéder à une analyse comparative deux à deux permettant de distinguer les parties communes (gènes partagés) puis, à l’aide de bactéries non adaptées aux tholins, de refaire ces comparaisons deux à deux pour éliminer les gènes communs (et donc nécessairement non impliqués dans le métabolisme des tholins).
À partir de là, nous espérions obtenir un ou plusieurs gènes potentiellement impliqués dans les mécanismes du métabolisme des tholins. Cependant, cette partie n’a pu être réalisée, pour plusieurs raisons. Il s’est tout d’abord avéré extrêmement difficile de trouver dans les bases de données les séquences complètes des génomes de ces espèces bactériennes, et nous n’avons pu trouver aucun logiciel suffisamment performant pour réaliser un tel nombre de comparaisons deux à deux, et encore moins à partir de génomes complets, nettement trop volumineux.
RETOUR À L’ANALYSE PHYLOGÉNÉTIQUE
Toutefois, ces difficultés nous ont amenés à nous pencher plus particulièrement sur la réalisation d’une analyse phylogénétique, qui nous a alors révélé que les bactéries isolées n’appartenaient pas à une même famille, et n’étaient pas non plus proches de quelque manière que ce soit dans l’arbre phylogénétique bactérien.
ARN 16S
Les ARN ribosomiques, dont l’ARN 16S, sont un outil précieux dans l’étude de l’évolution et des parentés microbiennes, car ils sont essentiels à un organite essentiel trouvé chez tous les microorganismes. Leur structure se modifie très lentement au cours du temps.
Cela nous a conduits à supposer qu’il n’existait pas un mécanisme unique des tholins, découlant d’une mutation chez un ancêtre commun hypothétique, mais très certainement de mécanismes multiples, aussi divers que les familles bactériennes auxquelles appartenaient nos bactéries.
Bien que différents de ceux attendus, ces résultats sont particulièrement intéressants concernant la grande diversité de bactéries capables de survivre en présence exclusive de tholins, notamment en ce qui concerne la question de la contamination de l’espace par les sondes spatiales.
En effet, si des bactéries terrestres s’avèrent capables de survivre aux conditions chimiques caractéristiques de Titan, ou de Pluton (qui contient aussi des tholins), une attention toute particulière doit être attachée à la stérilisation des sondes envoyées dans l’espace.