Piotr Ilitch TCHAÏKOVSKI : Eugène Onéguine
Parmi les onze opéras de Tchaïkovski, Eugène Oneguine est avec raison le plus célèbre. Comme pour les grands Verdi ou les grands Puccini, nous avons deux heures continues de magnifique musique.
La représentation très classique (costumes, décors) et très bien réalisée du Met, avec des artistes d’exception, est probablement la meilleure façon de découvrir ou d’apprécier cette œuvre.
Sur la seconde partie du poème intégralement en vers de Pouchkine, Tchaïkovski compose fidèlement cinquante ans plus tard une musique romantique, expressive, prenante, enivrante. L’atmosphère très tchekhovienne du premier acte est rehaussée par une mise en scène qui fait bien ressortir le temps long de la vie de la campagne russe à cette époque.
On se croit vraiment dans Les Trois Sœurs, La Cerisaie ou l’Oncle Vania. Comme dans La Dame de pique, autre chef‑d’œuvre de Tchaïkovski, toujours d’après Pouchkine, une chanson en français vient montrer l’érudition des personnages.
Et comme dans La Dame de pique, il y a une scène de duel, duel dont mourra Pouchkine peu de temps après la composition de ces œuvres.
La direction de Gergiev est merveilleuse. On est pris dès l’ouverture, dont le film montre parfaitement l’orchestre du Met dans la fosse et la façon très expressive de Gergiev de le diriger.
Mais la star de la soirée, c’est Anna Netrebko, dont on réalise progressivement année après année l’artiste d’exception qu’elle est. Sa voix expressive et chaude, chargée d’émotion, est exceptionnelle. Elle nous permet d’assister, par exemple dans la scène de la lettre, à quinze minutes de pure musique sublime, en continu. Comme Anna Netrebko enregistre beaucoup, elle laissera un legs discographique et filmé très important.
Eugène Oneguine, le seul personnage antipathique de l’opéra (il désespère Tatiana, rend jaloux puis tue son ami), « oisif, sans vocation, sans épouse, sans but », est interprété par Mariusz Kwiecien, spécialiste du rôle. Et mention spéciale à Alexei Tanovitski, dans le rôle du prince Grémine, basse russe caricaturale, au timbre très caractéristique parfait dans son célèbre très bel air.
Comme chaque fois au Met, une star habituée de cette scène new-yorkaise introduit l’œuvre, pour la télévision et les diffusions simultanées au cinéma. Ce soir-là, c’est Deborah Voigt qui présente l’œuvre, la distribution et la magnifique production.
Le Met à New York, Covent Garden à Londres sont habitués à ce type de production, où le metteur en scène se met au service de la musique, avec inventivité et recherche, mais aussi fidélité et respect. Nous n’y sommes malheureusement moins habitués à Paris, mais espérons que cela reviendra (les spectacles au Palais Garnier de l’ère Liebermann ont fait référence dans le monde entier, mais c’était il y a près de quarante ans).