Repenser l’organisation des grands groupes ?
S’ouvrir vers l’extérieur a des conséquences sur toutes les directions d’une grande organisation. Chaque service doit pouvoir absorber l’arrivée de données nouvelles et les intégrer dans les processus habituels de travaux.
L’open innovation invite les entreprises à s’appuyer sur des partenaires externes pour innover plus efficacement et rapidement. Pour beaucoup, il s’agit surtout de faciliter la relation start-ups – grands groupes, les premières étant réputées agiles et les plus aptes à explorer de nouveaux concepts, alors que les seconds seraient seuls capables, via une présence mondiale et des processus efficients, de produire et distribuer un produit ou service toujours identique à un coût optimisé.
“ Organisation et processus décisionnel sont les facteurs clés ”
L’open innovation se résumerait donc, selon cette théorie, à une réponse au manque d’« ambidextrie » des grands groupes.
Pourtant, de nombreuses PME n’innovent pas et ont avant tout une activité de sous-traitance.
A contrario, lorsqu’il s’agit de citer des entreprises innovantes, le nom d’Apple, multinationale de plus de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires et de près de 100 000 employés, vient souvent en premier.
REPÈRES
Michael Tushman et Charles O’Reilly ont forgé l’expression d’organisation ambidextre, pour désigner une organisation capable à la fois de se renouveler en explorant de nouveaux territoires, tout en tirant le meilleur parti de leurs ressources existantes (The Ambidextrous Organization, Harvard Business Review, avril 2004).
IL FAUT REPENSER L’ORGANISATION
En matière d’innovation ouverte, l’organisation et le processus décisionnel plus que la taille de l’entreprise sont les facteurs de réussite clés. Ce n’est pas une réponse « magique » au manque d’agilité des grandes entreprises, qui retrouveraient ainsi un dynamisme perdu en s’appuyant sur des start-ups.
“ L’innovation n’est un succès que si elle atteint le marché ”
L’open innovation ne se substitue pas au processus classique d’innovation qui est d’abord un processus de conception. En ouvrant considérablement les bases de connaissances, elle démultiplie les champs d’innovation qui, sans pilotage, risquent d’être sans lien avec la stratégie de l’entreprise.
S’ouvrir vers l’extérieur est donc une transition qui a des conséquences sur toutes les directions d’une grande organisation, d’autant plus que ce partenaire extérieur ne se limite pas aux start-ups, mais peut être un inventeur isolé ou un client, une autre entreprise, un laboratoire de recherche académique, etc.
UNE STRATÉGIE DE COOPÉRATION NOUVELLE
Pour se lancer dans l’ouverture en innovation, l’insertion dans un écosystème tel que les pôles de compétitivité ou la création de cellules d’innovation (Silicon Valley, Technion, etc.) apparaît comme une évidence. Mais détecter rapidement un partenaire ne suffit pas, encore faut-il bien gérer la collaboration pour le conserver.
Un service propriété intellectuelle compétent, des achats qui comprennent les enjeux de trésorerie des start-ups, une gestion budgétaire des projets d’innovation agile, des équipes d’experts capables d’évaluer rapidement les projets qui leur sont soumis sont autant d’atouts.
L’objet du partenariat est lui-même beaucoup moins bien défini et amené à évoluer au cours du temps, d’où la difficulté à le contractualiser.
UNE RÉVOLUTION DU PROCESSUS INTERNE D’INNOVATION
Faire de l’open innovation ne veut pas dire externaliser sa R&D, mais plutôt l’accélérer en s’appuyant sur des ressources externes. Une entreprise sans R&D interne n’aurait pas la capacité d’évaluer les technologies qu’elle identifierait. Néanmoins, le processus interne d’innovation se trouve de toute évidence modifié.
LA THÉORIE C‑K
La théorie C‑K (pour concept-knowledge ou concept/connaissance) est une théorie de la conception.
Elle prône un espace de réflexion, partant d’un concept sur lequel le groupe de réflexion va greffer des caractéristiques supplémentaires qui induiront des manques dans l’espace des connaissances.
L’augmentation des connaissances permettra à son tour de créer de nouveaux concepts.
La première étape consistera souvent à clarifier les grands axes de la R&D : ce qui n’est pas clair en interne le sera encore moins pour l’extérieur.
Les méthodes permettant de cartographier la démarche de conception, comme la théorie C‑K, apportent une aide précieuse car elles identifient systématiquement les bases de connaissances et les concepts sur lesquels s’appuie la conception.
L’apport du management visuel qu’offre la démarche évite les situations implicites dans lesquelles les équipes internes perçoivent parfaitement qu’il faudrait aller voir à l’extérieur, mais tentent d’y échapper pour s’éviter une remise en cause.
Lorsqu’il s’agit de collaborer avec un partenaire académique, par nature plus axé sur le long terme, la mise en place de thèses en contrat CIFRE ou l’implication de collaborateurs dans les enseignements du laboratoire sont un bon moyen d’asseoir la relation.
Autre partenaire en innovation, l’utilisateur final, associé à la phase de conception par le Design Thinking, change le cycle de conception en « V » traditionnel pour un processus itératif qui demande agilité, rapidité et humilité.
REPENSER LES RESSOURCES HUMAINES
L’open innovation pose de nombreuses questions aux ressources humaines. Il faut manager des « scouts », profils seniors souvent isolés du siège, stimuler la prise de risque et l’entrepreneuriat, et changer les mentalités en passant du Not Invented Here au Proudly Found Elsewhere, comme l’indiquait Procter & Gamble en faisant la promotion de son programme Connect & Develop (C&D) plutôt que Research & Develop (R&D).
Mais il s’agit aussi d’identifier de nouveaux profils : des experts dans plusieurs domaines capables de tisser des liens entre eux. On parle de profils en « M » par opposition aux experts d’un domaine isolé (profil en « I »).
RACCORDER INNOVATIONS EXTERNES ET PROCESSUS INTERNES
L’innovation n’est un succès que si elle atteint son but : le marché. Se pose alors le problème du raccordement d’une innovation conçue partiellement en dehors de l’entreprise et de ses processus classiques.
Accélérer la R & D en s’appuyant sur des ressources externes. © RAWPIXEL.COM
Comment s’assurer que ce qui a été développé sera accepté par les équipes en aval qui devront industrialiser, commercialiser et maintenir le nouveau produit ou service ?
Ce point constitue aujourd’hui la grande désillusion de l’innovation et n’est que rarement traité, l’essentiel des efforts étant aujourd’hui porté sur l’amont de l’innovation : la production d’un prototype. Il est souvent renforcé par la coupure créée par la mise en place d’un hub ou d’un lab dédié à l’innovation.
La participation des métiers « traditionnels » de l’entreprise ou l’identification d’un sponsor favorisent ce raccordement, à condition qu’ils interviennent dès la genèse du projet et qu’il ne nécessite pas la création d’une nouvelle ingénierie ou d’un modèle d’affaire en rupture.
Dans ces derniers cas, il devient indispensable de « sortir » de l’organisation, par exemple par la création de joint-venture (Toyota et Toshiba pour développer les batteries de la Prius, ou entre Autoliv et SNPE pour les générateurs de gaz d’airbag) voire de spin-off (Nespresso).