Créer des liens avec les réfugiés
Depuis 2012, l’association SINGA propose aux bénéficiaires du statut de réfugiés en France une aide pour leur intégration sociale et professionnelle. De nombreux bénévoles apportent leur soutien, l’objectif n’étant pas de réaliser une prestation humanitaire, mais que chacun puisse faire ce qu’il sait et aime faire. La vente de services doit parvenir à terme à assurer une grande partie des ressources.
Nathanaël Molle m’avait donné rendez-vous 50, rue de Montreuil, dans le XIe arrondissement, « au fond de la cour à droite ». S’agissant d’une association, je m’attendais à des locaux exigus au fond d’une impasse. La cour était accueillante et bien éclairée sur deux niveaux par les fenêtres de l’association. On entrait dans une grande pièce aménagée en salle de café avec un bar derrière lequel s’affairaient deux personnes.
« Être curieux de cet Autre qui vient d’ailleurs et qui souhaite lui-même être reconnu pour ce qu’il avait conscience d’être »
L’un était Nathanaël Molle et l’autre un réfugié membre de l’association. Comme je m’étonnais de la dimension et de la qualité des locaux, Nathanaël Molle m’a proposé une visite : dans le prolongement de l’entrée, un autre espace plus étendu accueillait des gens qui, seuls ou en binômes, travaillaient sur des ordinateurs.
Un escalier menait à l’étage dans un espace où d’autres parlaient et travaillaient ensemble autour de petites tables. Une autre pièce accueillait un groupe en formation et, dans une plus petite, travaillaient les deux personnes qui tenaient les comptes de l’association.
UNE COMMUNAUTÉ DE 20 000 PERSONNES
SINGA est une association de loi 1901 fondée en 2012 à Paris par Guillaume Capelle et Nathana‘l Molle. Elle se voit comme une entreprise sociale qui crée un cadre d’accueil dans lequel les réfugiés accueillis en France vont pouvoir s’intégrer et développer un réseau social et professionnel.
Elle conseille également entreprises et collectivités locales dans l’accueil des réfugiés et l’organisation d’événements. Elle rassemble aujourd’hui 20 000 personnes, bénévoles et réfugiés, à Paris, Lille, Lyon et Montpellier.
SINGA signfie prêter en bambara (Mali) et lien en lingala (Congo et RDC).
UN CLIMAT BIENVEILLANT
Pour Nathanaël Molle, SINGA se veut une communauté dont l’objectif « est de créer un cadre d’accueil dans lequel ces réfugiés, arrivant de partout, vont pouvoir s’intégrer, développer un réseau social et professionnel, identifier des opportunités et aussi parler français, le tout dans un climat bienveillant ».
SINGA n’accueille les réfugiés qu’une fois leur situation administrative régularisée. L’association leur offre un espace de rencontre entre eux et avec des bénévoles.
Ceux-ci, de leur côté, s’engagent, chacun en fonction de ses désirs et de ses possibilités : ce peut être l’hébergement d’un réfugié, un tutorage pour l’apprentissage du français et/ou pour une initiation aux codes sociaux, la mobilisation de réseaux sociaux ou professionnels pour accompagner une recherche d’emploi, une aide à ceux qui voudraient se mettre à leur compte, l’apport d’une « vision Web » ou simplement un partage d’activités : loisirs, cuisine, sport, musique, peinture, etc.
Aux bénévoles qui s’engagent à SINGA, il n’est pas demandé d’entrer dans une relation d’assistance avec les réfugiés, mais de vivre avec eux dans une communauté, les rencontrer pour concevoir et réaliser des projets ou tout simplement pour faire des choses ensemble.
Et tout ce qu’ils font avec des bénévoles, les réfugiés peuvent aussi le faire entre eux.
L’ENGAGEMENT DES BÉNÉVOLES
Un grand nombre de bénévoles s’engagent à SINGA, autant que de réfugiés, chacun devant trouver l’interlocuteur, le buddy avec lequel former un binôme pour faire des choses ensemble. Plutôt qu’une prestation humanitaire, ils s’engagent à faire, avec les réfugiés, ce qu’ils savent et aiment faire.
Il s’agit de reconnaître les réfugiés comme des individus ayant une histoire à raconter et des compétences à faire valoir.
Il leur faut être curieux de cet Autre qui vient d’ailleurs et qui souhaite lui-même être reconnu pour ce qu’il avait conscience d’être. Pour avoir une communauté, il faut un lieu de rencontre accueillant, comme celui de la rue de Montreuil.
Durant ma visite, une dame est entrée qui demandait à s’engager : enseignante retraitée, elle avait entendu parler de SINGA par sa belle-sœur qui, elle-même, avait lu une interview de Nathanaël Molle dans le journal La Croix. Aussitôt prise en charge par un membre de la communauté, bénévole ou réfugié, peu importe, elle a été initiée à la communauté.
LE SITE INTERNET DE SINGA
Le site Internet, très documenté, présente le projet et les activités de SINGA et il rend compte de son fonctionnement associatif : statuts, composition du CA, compte rendu d’assemblées générales, etc. Le site appelle et informe les bénévoles et les donateurs, et il propose les services de SINGA aux entreprises et aux collectivités locales confrontées aux réfugiés et/ou à la recherche d’une expertise pour des actions de solidarité.
En cours d’étude, une plateforme numérique conçue avec l’aide de réfugiés déjà installés doit permettre à chaque nouvel arrivant de trouver, dans sa langue, les informations dont il aura besoin en arrivant pour s’orienter, pour connaître les modes de vie du pays d’accueil et pour trouver les interlocuteurs qui faciliteront son insertion sociale.
L’HISTOIRE DE SINGA ET SES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT
Guillaume Capelle et Nathanaël Molle ont créé SINGA en 2012. Ils s’étaient connus lorsqu’ils préparaient ensemble à Paris un master en droit international. Ayant beaucoup voyagé l’un et l’autre, ils avaient rencontré le problème des réfugiés en Syrie, au Maroc et en Australie.
« Pour Nathanaël Molle, SINGA est plus une entreprise sociale qu’une association »
Voyant le problème se poser en France et dans l’Union européenne, ils ont imaginé SINGA pour les accueillir et les insérer socialement, une fois obtenue la régularisation de leur séjour. La communauté SINGA a connu une croissance très rapide : elle rassemble actuellement 20 000 personnes, réfugiés et bénévoles. Sur le modèle de la communauté parisienne, de nouvelles communautés ont été lancées à Lyon, à Lille et à Montpellier.
Avec l’afflux des réfugiés, Nathanaël Molle prévoit la poursuite de la croissance, celle des communautés et leur multiplication en France, en Belgique, en Allemagne, etc.
LES DÉPENSES ET LES RESSOURCES
Les principales dépenses résultent de l’emploi de 14 salariés et de la location des locaux dont nous avons vu l’importance. Du côté des ressources, elles proviennent actuellement pour 30 % de subventions sur fonds publics, pour 40 % de dotations de fondations ou d’entreprises et pour 30 % de produits de la vente de services.
Bénévoles et réfugiés élaborent ensemble des projets : préparer des repas, organiser une formation, une exposition, un concert, un événement…, créer une entreprise.
Mais pour Nathanaël Molle, SINGA est plus une entreprise sociale qu’une association. Conscient des aléas sur la disponibilité des fonds publics, il s’est fixé pour objectif de porter à 80 % la part des produits de la vente de services.
Quels services ? SINGA fait valoir sa capacité d’organiser les contacts avec les réfugiés en mobilisant les bénévoles et les réfugiés eux-mêmes. Il s’agit de conseiller les entreprises ou les collectivités locales confrontées aux problèmes des réfugiés, d’apporter un concours à celles qui souhaitent organiser des actions de solidarité, d’organiser des événements, etc.
C’est ainsi que SINGA est intervenue dans une bibliothèque de la Ville de Paris pour mettre en place une procédure d’accueil du grand nombre de migrants qui envahissaient les locaux. Dans un autre domaine, SINGA a proposé ses services aux municipalités qui décident d’héberger des réfugiés.
L’association travaille aussi avec la BNP pour la mise en contact et l’accompagnement de réfugiés porteurs de projets, etc.
UN AUTRE REGARD SUR LES RÉFUGIÉS ET UNE AUTRE CONCEPTION DU BÉNÉVOLAT
« Dans les représentations collectives, le réfugié est devenu un élément indistinct, non identifié, au sein d’une horde en mouvement potentiellement menaçante, en marche vers chez nous. Ce sont ces images de crise, de guerre et de misère qui, relayées par les médias et les acteurs politiques, forgent cet imaginaire collectif très négatif. Il s’agit donc d’un problème de perception au sein des sociétés d’accueil. »
« Alors que nous redoutons une invasion de crève-la- faim, SINGA les voit comme une richesse en ressources humaines »
Ces réfugiés exerçaient une profession dans leur pays et ils avaient une position sociale. Il s’agit de les reconnaître comme des individus ayant une histoire à raconter et des compétences à faire valoir. SINGA les accueille dans « une communauté de professionnels, d’entrepreneurs, d’artistes, de sportifs, de danseurs, de chanteurs, d’étudiants, bref une communauté d’êtres humains souhaitant mieux se connaître et mieux se comprendre ».
Les bénévoles qui s’engagent dans cette communauté le font parce que cela leur permet de rencontrer des gens nouveaux et de faire avec eux ce qu’ils savent et aiment faire.
Cela commence par l’apprentissage du français afin de pouvoir parler avec eux et élaborer ensemble des projets. Quel type de projets ? Préparer des repas, organiser une formation, une exposition, un concert, un événement…, créer une entreprise.
AVEC DOMINIQUE MOYEN, UNE SECONDE VISITE À SINGA :
RENCONTRE AVEC GUILLAUME CAPELLE
« Accueillir les réfugiés renforce la société » proclame la page d’accueil du site Internet de SINGA. Alors que nous redoutons une invasion de crève-la-faim, SINGA les voit comme une richesse en ressources humaines, richesse qu’il faut faire valoir en mobilisant des bénévoles pour aller à leur rencontre, pour les connaître, les accueillir et réaliser ensemble des actions.
N’était-ce là qu’un discours utopique ? Avec Dominique Moyen, nous sommes retournés rue de Montreuil pour voir les lieux et rencontrer à nouveau les acteurs de SINGA. Nathanaël Molle était en voyage, nous a‑t-on dit.
Qu’importe ! Nous avons parcouru les locaux où, comme la première fois, s’affairaient partout de petits groupes, le plus souvent réunis autour d’un ordinateur.
Dans un groupe, j’ai reconnu Guillaume Capelle, l’autre fondateur de SINGA que j’avais vu sur le site Internet. Nous l’avons questionné : qui étaient ces gens ? qu’étaient-ils en train de faire ici ? et finalement qu’était SINGA ? Il nous a répondu en parlant de la rencontre : celle des réfugiés avec les bénévoles de SINGA, mais aussi la rencontre entre les religions, entre les générations, etc.
NOS SOURCES
Les citations proviennent du compte rendu d’une conférence donnée le 1er juin 2016 par Nathanaël Molle à l’École de Paris du management dans le cadre de son séminaire « Économie et Sens ».
Le compte rendu dont nous nous sommes largement inspirés pour l’ensemble de l’article a été rédigé par Pascal Lefebvre.
SINGA partage ses locaux avec des associations qui ont, elles aussi, pour objet ces rencontres. Sous l’égide de la Ville de Paris, l’espace de la rue de Montreuil allait être officiellement baptisé Kiwanda et en français, La fabrique des interpreneurs.
Chaque jour passaient rue de Montreuil une cinquantaine de personnes d’appartenances et de vocations différentes, réfugiés, retraités, musulmans, juifs, chrétiens, musiciens, peintres, et ce n’était qu’un début !
Que dire d’autre, sinon proposer aux lecteurs d’aller voir ce lieu, de le visiter, de poser des questions, de s’en faire leur propre idée et peut-être à leur tour d’entrer dans la démarche de la rencontre ?
Commentaire
Ajouter un commentaire
Bravo !
Magnifique initiative.
Nous sommes en train de créer avec qqs. bénévoles une association dans ce sens dans la région de Langres.
Matériel sur notre projet actuel,
Dernière représentation de notre pièce
Ce serait bien de nous contacter.
Bonne chance pour vous !
Werner Engelmann