Postérité
Ne pas être oublié de ceux qui viendront après lui, du moins pendant quelque temps (années, siècles ?), n’est-ce pas le désir louable de tout être humain ? Pour accroître la probabilité de cette survie virtuelle, un artiste compte sur ses œuvres : pour un musicien, composition ou interprétation enregistrée.
En matière de composition, le XXIe siècle dispose d’un recul de six à sept siècles ; quant aux enregistrements, ils ne remontent guère qu’à une centaine d’années, moins encore pour que la technique nous permette de porter un jugement.
Et le tamis du temps a des mailles d’autant plus larges que l’on remonte plus loin : les musiques de Machaut, de Monteverdi ont traversé les siècles et devraient survivre encore, mais qu’en sera-t-il de celles de Stockhausen et même de Stravinski ? Qui écoutera encore dans cent ans Carlos Kleiber ou Horowitz ?
MIECZYSLAV WEINBERG (1919−1996)
Weinberg, polonais d’origine mais russe d’adoption, est considéré comme le troisième plus grand compositeur russe du XXe siècle avec Prokofiev et Chostakovitch dont il était l’ami proche.
Ses 22 symphonies, 9 concertos, 17 quatuors à cordes, 7 opéras, ses sonates pour piano, pour violon, etc., étaient encore il y a peu ignorés du grand public en Occident1.
Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica ont enregistré les quatre Symphonies de chambre et le Quintette pour piano (arrangé pour cordes et percussion)2, musique émouvante, profondément originale, tonale à la limite de l’atonalité, clairement influencée par Prokofiev et Mahler.
Kremer a dit des Symphonies de chambre qu’elles constituent « les réflexions les plus personnelles d’un grand compositeur sur sa propre vie et sa propre génération, comme un journal intime de la période la plus dramatique du XXe siècle ».
Le Quintette est le sommet de cet enregistrement, œuvre puissante, d’une grande intensité dramatique, avec un largo monumental qui ne peut laisser les yeux secs. La musique de Weinberg survivra longtemps.
CHOPIN, OLGA JEGUNOVA
Pour Chopin, l’affaire est entendue et il est sans doute plus présent aujourd’hui qu’il ne le fut au XIXe siècle. Mais son œuvre ne se limite pas à sa musique pour piano et il est intéressant et amusant de découvrir ses Mélodies polonaises, pièces de salon écrites sur des poèmes de contemporains polonais et dont le baryton Mario Hacquard vient d’enregistrer la version en français accompagné par la pianiste Anna Zassimova3 sur un piano Érard.
Une autre découverte : celle de la pianiste lettone Olga Jegunova, à travers un disque ambitieux Sonates poétiques pour piano qui rassemble la 2e Sonate de Chopin, la Sonate Waldstein de Beethoven et la Sonate de Bartók4.
Ce qui frappe dans le jeu de cette pianiste, c’est le soin qu’elle apporte au toucher, ce qui est rendu possible par une maîtrise apparemment parfaite de la technique (le Finale presto de la Sonate de Chopin est à cet égard une pierre de touche).
Les nuances très fines de ce toucher, y compris dans le style percutant de la Sonate de Bartók, concrétisent son assimilation de la musique à la poésie, ce qu’elle explique très bien dans le livret qui accompagne le disque, où elle illustre son propos avec trois poèmes de Goethe, Pasternak et Abigail Parry. Au total, une pianiste intelligente et sensible, au jeu subtil, dont on se souviendra.
LATINOS
Le guitariste Thibaut Garcia fait une entrée fracassante dans le monde du disque avec le disque Leyendas5 qui rassemble des pièces connues de Tárrega (le célèbre Recuerdos de la Alhambra), de Piazzolla (les quatre Estaciones Porteñas), d’Albéniz (transcriptions de Asturias et Sevilla) et aussi moins connues de Falla (Siete Canciones populares españolas, avec violoncelle), de Rodrigo (Invocación y danza) et de Manjón (Aire vasco).
Garcia, jeune interprète, est de la race des Segovia et Yepes et il est merveilleusement enregistré. Retenez son nom : lui aussi est clairement destiné à rester.
Enfin, la musique du compositeur argentin Ginastera (1916−1983) franchit les frontières du monde hispanique, avec un disque qui rassemble Cinco Canciones populares argentinas, des extraits de son opéra Don Rodrigo et, surtout, la cantate Milena pour soprano et orchestre bâtie sur les Lettres à Milena de Franz Kafka, avec Placido Domingo, les sopranos Ana Maria Martinez et Virginia Tola et le Santa Barbara Symphony Orchestra dirigé par Gisèle Ben-Dor6.
Du nouveau, enfin ! La musique de Ginastera mérite la découverte : très originale, puissante, superbement orchestrée, très novatrice, elle a sa place parmi ce qui devrait rester, au fil des années, avec celle d’Astor Piazzolla, de la musique argentine.
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1. Voir La Jaune et la Rouge d’août-septembre 2015
2. 1 CD ECM
3. 1 CD Hybrid’Music
4. 1 CD Music Media
5. 1 CD Erato
6. 1 CD Warner