Un bouleversement porté par l’innovation et les nouvelles réglementations
La place des banques dans les circuits de paiement est menacée par les fintechs comme par les groupes mondiaux des GAFAP, dans la mesure ou l’information sur le paiement est devenue plus importante que le paiement lui-même et engendre de nouvelles pratiques commerciales. Mais la mise au point des nouveaux services de paiement électronique est l’objet de nombreux tâtonnements et ce n’est pas toujours le succès assuré.
La mise en place de l’euro a été accompagnée par un ensemble de mesures visant à créer en Europe un cadre unifié en matière de paiements (Single European Payment Area). Cette unification est en cours de finalisation, mais elle est bousculée par l’évolution mondiale des technologies numériques et l’émergence de solutions nouvelles, qui ont pris forme depuis le milieu des années 1990.
Grâce à la puce, la carte est apparue comme un instrument miracle.
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En effet, une triple ambition est alors apparue : étendre l’usage de la carte au-delà du paiement ; favoriser le développement du commerce en ligne ; et enfin, profiter du potentiel apporté par le téléphone mobile.
REPÈRES
Jusqu’à la fin des années 1990, la carte est apparue comme l’instrument roi, sans concurrent, assurant à la fois le retrait et le paiement électronique, mais aussi la garantie de la transaction et l’interopérabilité mondiale, ce qu’aucun autre instrument de paiement n’autorise, détrônant les instruments domestiques.
En France, la carte a remplacé une grande part du chèque et une partie du paiement en espèces, assurant près de 50 % des transactions de paiement, et beaucoup plus dans le commerce.
LES MULTIPLES DÉCLINAISONS DE LA CARTE À PUCE
Pour l’industrie de la carte à puce, après le succès de la carte de paiement, la carte est apparue comme l’instrument miracle pour d’autres usages. D’abord pour le paiement des transports, avec le développement des cartes prépayées.
“ En France, la carte assure près de 50 % des transactions de paiement ”
Ensuite, avec le développement des paiements sans contact (avec les technologies NFC : near field communication) pour fluidifier l’acte de paiement dans les transports urbains ou sur les autoroutes.
Puis, grâce à la téléphonie mobile qui bénéficie avec la carte SIM d’un mécanisme assurant la reconnaissance du propriétaire et de son réseau téléphonique, permettant ainsi le paiement des appels.
Et enfin pour les paiements de services prédéfinis, comme le « chèque » repas ou le « chèque » vacances. On a également vu fleurir de nombreuses cartes indépendantes qui offraient de multiples services de paiement, en combinant fidélité, variété de formes de paiement, multiplicité des devises, prépaiement ou postpaiement, etc.
Ce qui est important dans toutes ces évolutions, c’est qu’elles n’ont pu émerger que par l’adoption de la carte à puce pour le paiement par carte bancaire, qui en a assuré la crédibilité et la sécurité.
PAIEMENTS EN LIGNE ET MONNAIE ÉLECTRONIQUE
Parallèlement, le commerce en ligne prenant progressivement forme, il est apparu nécessaire de trouver des solutions de paiement en ligne, pour lequel la carte plastique, même avec une puce, n’offrait pas le même degré de souplesse que l’achat en ligne, ni de sécurité que dans les paiements de face-à-face.
“ Le succès planétaire de PayPal a fait des émules ”
C’est ainsi que la monnaie électronique est apparue pour assurer cette souplesse du paiement, mais aussi pour garantir le règlement instantané dans le commerce en ligne, sans remise en cause du paiement. Elle garantit aussi la fluidité de l’achat et du paiement, d’abord sous la forme de monnaie scripturale prépayée et chargée dans une carte, puis par une réelle monnaie électronique, totalement indépendante du compte bancaire.
Mais, ces tentatives ont échoué, surtout par les contraintes de transparence des transactions qu’elles n’arrivaient pas à assurer ; une autre approche visant à créer un lecteur sécurisé de cartes à puce et utilisant les mécanismes de chiffrage des transactions en ligne a de même été abandonnée, vu son coût d’infrastructure, élevé pour les années 2000, et l’opposition des acteurs du commerce électronique, qui craignaient la remise en cause de l’achat en ligne par la lourdeur du paiement.
LA RENAISSANCE D’UN MORIBOND
Dès lors, eBay, qui était le leader mondial des achats en ligne, a relancé un système de paiement en ligne moribond, PayPal, et lui a donné un développement universel, le conduisant, in fine, à être désormais autonome pour être utilisable chez tous les acteurs du commerce en ligne.
Le commerce en ligne a besoin de solutions de paiement nouvelles. © PHOTOS ANDRÉ TUDELA – PHOTOGRAPHE LE GROUPE LA POSTE
De leur côté, les « systèmes » cartes (VISA, Mastercard, etc.) ont favorisé l’émergence de la carte virtuelle dynamique, donc une carte digitale utilisable une seule fois, émise à chaque paiement, en remplacement de la carte plastique du détenteur (pour éviter de faire circuler les références de la carte sur Internet), puis de l’authentification forte en ligne, pour assurer la sécurité des transactions par carte plastique.
Depuis, les besoins de paiement électronique en ligne ont donné naissance à diverses solutions qui sont apparues comme de nouveaux moyens de payer (plus que de nouveaux instruments de paiement), et se sont progressivement rapprochées du mécanisme de l’achat en ligne.
Le succès planétaire de PayPal a fait des émules et on a vu se développer des solutions de paiement en ligne, « propriétaires » comme pour Apple, pour payer les achats sur son site de service en ligne, ou « indépendantes », pour de très nombreux acteurs. De nombreux acteurs ont ainsi développé des solutions pouvant inclure la messagerie électronique ou des clés sécurisées…
LE TÉLÉPHONE MOBILE DEVIENT TERMINAL DE PAIEMENT
Mais, une nouvelle évolution a vu le jour avec le développement de la téléphonie mobile et du smartphone, qui est apparu rapidement comme la nouvelle clé multiusages, pouvant à la fois assurer les transferts d’argent en ligne et le paiement en ligne, voire la sécurité du paiement.
“ Apple Pay transforme le mobile en boîtier sécurisé de paiement ”
C’est ainsi que dans les zones peu bancarisées, comme en Afrique, le mobile est apparu comme un instrument de transfert d’espèces et de paiement ; que se sont développées de nombreuses solutions de paiement en ligne accompagnant l’usage du mobile comme d’un terminal Internet ; que le mobile est apparu comme un instrument d’authentification forte des transactions en ligne, par l’émission d’un mot secret, utilisable une seule fois (OTP : one time password), envoyé sur le mobile et à reproduire sur la page d’achat Internet de son PC.
Mais, la première grande évolution a été de vouloir utiliser le mobile pour le paiement proprement dit, en intégrant les références des cartes de paiement dans le mobile, de façon à les associer en ligne à l’acte d’achat.
DE NOMBREUX TÂTONNEMENTS
Une première approche, qui n’a pas été couronnée de succès, a été de vouloir utiliser le compte mobile chez l’opérateur téléphonique pour régler les achats en ligne de petites transactions ; puis, d’utiliser la carte SIM de l’opérateur comme support de stockage des références de la carte bancaire, mais le partage des coûts et des marges entre les opérateurs et les banques n’a pas abouti et cette seconde approche a été abandonnée ; les banques ont alors envisagé de mettre en place une deuxième puce indépendante de la carte SIM sur le mobile, mais cette démarche n’a pu aboutir pour des questions de convivialité et de maîtrise de la fabrication des mobiles.
Dépasser le marché du commerce électronique, pour offrir une solution de paiement universelle, utilisable également dans le commerce de face-à-face, et non seulement en ligne sur Internet. © GOODLUZ / FOTOLIA.COM
Ce fut enfin l’émergence des portefeuilles électroniques (wallets), pouvant stocker plusieurs références de cartes bancaires, sur le mobile. Cette approche est toujours en cours de diffusion dans le monde bancaire, mais, sans une solution interbancaire large, il n’y aura pas de développement.
D’autres acteurs, comme Google, ont tenté de développer leur propre wallet non bancaire, Google Pay, pour permettre de disposer d’une solution universelle d’achat en ligne, mais cette tentative a été un échec, notamment pour des raisons de sécurité et confidentialité des transactions.
La seconde approche a été de vouloir utiliser le mobile pour payer ses achats, y compris au point de contact, donc chez les commerçants, en utilisant la technologie NFC. Cette approche permet de dépasser le marché du commerce électronique, pour offrir une solution de paiement universelle, utilisable également dans le commerce de face-à-face, et non seulement en ligne sur Internet.
Cette nouvelle approche a posé de nombreuses questions de sécurité des paiements, d’où sa difficulté de mise en œuvre. C’est Apple qui a ouvert le feu, avec sa solution privative Apple Pay, qui transforme le mobile en boîtier sécurisé de paiement.
De son côté, après sa première tentative d’offrir à son tour une solution de paiement privée, Google a proposé une solution ouverte Android Pay, fondée sur le parc de mobiles Android (qui représente 75 % du marché du smartphone) et le recours au cloud computing, pour sa solution HCE (Host Card Emulation), qui permet de stocker les références cartes réelles sur le cloud, et donc de dénouer les transactions à distance, par opposition aux solutions dans lesquelles les références des cartes sont stockées dans la carte SIM ou sur une autre puce. Ces deux solutions sont en cours de déploiement.
ET DE NOUVELLES PRATIQUES COMMERCIALES
Cet usage des solutions à distance, de l’Internet et du mobile, dans les paiements dits de face-à-face, combiné parfois avec le développement de nombreux terminaux d’achat et de paiement fondé sur les smartphones et les personal digital assistants, a conduit à une seconde révolution : celle de la révision du parcours client en magasin et à la combinaison de pratiques d’achat, de livraison du bien et de paiement en magasin et hors magasin, qui a conduit à ne considérer le paiement que comme une partie intégrée et finale de l’acte d’achat, en lui retirant sa spécificité.
C’est tout ce parcours client qui est en cours de révision, notamment via les propositions de PayPal, et qui a conduit à de multiples approches.
RÈGLEMENTS IMMÉDIATS
Enfin, une dernière révolution, en cours, vise à combiner les avantages de la monnaie électronique et du chiffrement, donc du règlement immédiat, et l’indépendance avec tous les réseaux ou infrastructures bancaires centralisés, avec la technologie des blockchains, actuellement émergente.
Le bitcoin et ses copies concurrentes ont ouvert le marché à une nouvelle génération de modes de paiement, en cours de développement. © ARROW / FOTOLIA.COM
Deux vagues sont apparues, d’abord par une première génération, le bitcoin et ses copies concurrentes, qui ont ouvert le marché et servi de proof of concept, puis une nouvelle génération de modes de paiement, en cours de développement.
Toutes ces solutions sont fondées initialement sur le recours à une « monnaie » virtuelle cryptée, cotée, qui n’impose pas l’existence d’un tiers, notamment de banque, pour gérer le compte, et dont le traitement est décentralisé auprès de tiers processeurs indépendants : toutes les transactions sont stockées sur une base de données accessible à tous ces acteurs, et chacun peut l’utiliser pour enregistrer les dernières transactions.
Plus besoin de système de compensation, voire de monnaie centrale pour le règlement, mais une finalisation de la transaction, par l’échange de la cryptomonnaie (en anglais : crypto- currency). Cette technologie est applicable à d’autres secteurs que le paiement, notamment pour des actions qui échappent aux banques centrales nationales ou régionales, par exemple pour les opérations d’achat/vente de titres internationales, et elle en constitue la dernière révolution. Elle soulève la question de la place des banques dans la chaîne du paiement.
LE RÔLE DES BANQUES EN QUESTION
Toutes ces évolutions n’ont pu se développer que par une meilleure connaissance des attentes du client, et donc la maîtrise de l’information sur le paiement, car le paiement est le symbole de l’acte d’achat réussi.
“ L’information sur le paiement est devenue plus importante que le paiement lui-même ”
Dès lors, l’information sur le paiement est devenue plus importante que le paiement lui-même, ce qui a donné naissance à une multitude d’entreprises innovantes dont la vocation première n’était pas le paiement, sous-traité à des banques et processeurs spécialisés, mais la maîtrise de l’information sur le paiement, qui est devenue la ressource rare et chère, source de la connaissance marketing du client et de ses comportements.
Dès lors sont apparus de nombreux établissements de paiement, intermédiaires entre la banque dépositaire de fonds et l’opérateur technique, avec beaucoup d’innovations dans les formes de paiement, mais avec pour objectif essentiel d’accéder aux informations sur les paiements, quitte à sous-traiter les opérations de paiement proprement dites à des opérateurs techniques pour leur traitement et à des banques pour leur dénouement.
Aujourd’hui, près de 45 % des projets élaborés par des fintechs en France concernent les paiements. Cet engouement pour l’information a conduit de nombreux acteurs technologiques, comme les GAFA, à s’intéresser aux paiements et à offrir des solutions technologiques innovantes également, s’appuyant sur le téléphone mobile comme Apple Pay ou la solution ouverte Android Pay de Google, voire sur la messagerie pour certains réseaux sociaux comme Facebook.
Ainsi, le paysage des paiements vit un grand bouleversement, et il est encore trop tôt pour indiquer qui en sera le grand vainqueur.
Mais, ces nouveaux acteurs du paiement, et en premier lieu les GAFA et BATX asiatiques, qui deviennent des conglomérats tous azimuts, doivent s’inscrire dans les nouvelles réglementations édictées par les pouvoirs publics européens pour bénéficier des agréments nécessaires à l’exercice de la fonction paiement, même à titre partiel.