Sophie Bourzeix (87), la recherche appliquée n’est pas sans risques
J’ai eu quelques fois (rares) la sensation d’avoir une VRAIE idée. La première fois, j’étais encore à l’X et je faisais un stage de trois mois à l’Institut Poincaré, dans un labo de relativité générale. J’étais dans le RER et je réfléchissais. Tout à coup, j’ai eu une illumination : je savais comment faire le calcul sur lequel je travaillais depuis plusieurs semaines.
J’ai ressenti une joie vive. Du coup, nous avons publié un article. Il s’agissait de mesurer la distance (absolue) à une étoile binaire en coalescence, grâce à une signature spécifique des ondes gravitationnelles émises.
Ça m’est arrivé une autre fois dans le RER. J’étais jeune ingénieur à Photonetics. J’avais un problème avec notre laser accordable : il sautait de mode quand on le balayait en longueur d’onde.
Et là… paf ! J’ai su comment résoudre cette question, en asservissant – paradoxalement – la courbe de gain sur la longueur de cavité du laser. On a déposé un brevet et on s’est mis à en vendre beaucoup plus.
Chaque fois, c’était une cristallisation de ce que j’avais appris, de ce que les autres avaient fait avant moi. Ça venait “de dehors”. Je servais juste de creuset », analyse avec lucidité Sophie Bourzeix.
Après l’École, elle se donna un doctorat en physique quantique expérimentale, dans le laboratoire Kastler Brossel, à l’École normale supérieure. Pour mesurer le déplacement de Lamb du niveau 1 S de l’hydrogène, elle construisit un jet d’hydrogène atomique et réalisa une source laser continue dans l’ultraviolet (à 205 nm), en doublant deux fois la fréquence d’un laser titane-saphir.
DESSIN : LAURENT SIMON
La grande précision des mesures permit de trancher entre deux mesures divergentes du rayon du proton réalisées antérieurement par diffusion d’électrons, et d’annoncer une valeur de 0,861 ± 0,020 fm.
Elle défendit son doctorat début 1995, et publia ses résultats l’année suivante dans Physical Review Letters. Après sa thèse, elle travailla au CNET de Bagneux, à la mise au point d’un microscope optique en champ proche. Jusqu’à ce qu’en 1997 le directeur du CNET décide la fermeture du labo, affirmant : « Les composants, c’est bon pour les Coréens. »
Entière, ne se laissant pas abattre, se relevant au contraire, pour un nouveau départ. Souhaitant « fabriquer des choses » et ayant à surmonter une tragédie familiale, elle fit le siège du directeur scientifique de Photonetics, jusqu’à ce qu’il l’embauche en septembre 1997.
« Et j’ai fabriqué (conçu), ce que je savais fabriquer. Des lasers, puis des composants pour les télécoms tout optique. Nous étions une trentaine. En 2000, nous étions 500. Ça a été la période la plus exaltante de ma vie. Le patron de Hewlett-Packard, qui voulait nous racheter, me faisait la cour (dans le domaine professionnel !).
Finalement, nous nous sommes vendus pour un milliard de dollars à un groupe danois : Great Nordic. Nous avons fait la une du Wall Street Journal. Nous nous sentions les maîtres du monde. Maintenant, il ne reste rien de cette entreprise, de ses 200 brevets, de ses 500 employés. Rien de ces années de travail, de recherche, de créativité. Nous équipions les usines et les labos des équipementiers télécoms. Nous étions donc sensibles non aux variations du volume du marché des télécoms, mais à sa dérivée seconde.
Du jour au lendemain, à l’éclatement de la bulle Internet : plus de commande. Les acteurs du métier avaient tellement anticipé une énorme croissance qu’ils avaient des stocks : des machines, des instruments, même pas sortis de leurs cartons. Nous avons licencié. Un plan social, puis un autre, puis un autre. Nos nouveaux patrons danois étaient plus des financiers que des industriels. Ils ont revendu notre portefeuille de brevets pour 1€ symbolique et ont jeté l’éponge. Ça a été la plus grosse perte boursière de toute l’histoire du Danemark. »
C’est en potière qu’elle se reconvertit. En poterie, point d’École normale supérieure ! L’initiation se fait toujours suivant le modèle maître-apprenti : Sophie Bourzeix apprit son nouveau métier auprès de la céramiste tchèque Jana Bednarkova, puis de la Japonaise Yoshimi Futamura, qui lui enseigna la méthode japonaise traditionnelle de tournage.
Éprise de beaux émaux, elle suivit de 2007 à 2009 les cours d’Helena Klug à Paris, où elle se forma à la chimie et à la recherche des émaux de grès à haute température.
En 2009, Sophie Bourzeix quitta la ville pour installer son atelier en Dordogne : la céramique fut pour elle une école de patience. « Le travail de la terre nécessite d’accepter la lenteur du temps. D’abord, celui de la matière : ne pas brutaliser l’argile. Mais aussi la lenteur du potier : ses doutes, ses tâtonnements, ses allers-retours pour trouver sa voie. »
Quel tempérament ! La communauté polytechnicienne n’est pas épargnée par les épreuves de toutes sortes, Sophie Bourzeix est de ceux et celles qui font face !
2 Commentaires
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bravo, félicitations à ces
bravo, félicitations à ces personnes qui avancent passionnément, votre article est vraiment bien
itinéraires
A l’approche des 30 ans de la promotion, c’est étonnant de découvrir les chemins qu’on pris les uns ou les autres.
L’itinéraire de Sophie ne manque pas d’originalité !
Content d’avoir eu de ses nouvelles.