Le gaz naturel, une solution pour le secteur maritime
Le transport maritime utilisant du fuel lourd à fort taux de soufre est de plus en plus contraint de réduire ses émissions de polluants. L’utilisation du GNL est une bonne solution pour satisfaire les normes, mais il faut surmonter certains obstacles logistiques, comme l’adaptation des infrastructures portuaires.
Dans le transport maritime, les émissions de CO2 sont raisonnables, il n’en va pas de même pour d’autres polluants : le secteur maritime émet entre 4 et 8 % des émissions mondiales d’oxydes de soufre (SOx), composés très présents dans les fumées des navires en raison de l’utilisation du fioul lourd à fort taux de soufre, un résidu de raffinerie dont le secteur maritime est devenu au fil des ans le principal débouché, au fur et à mesure que les normes sur les carburants utilisés ailleurs devenaient plus contraignantes.
Or, du fait même que l’efficacité de l’industrie maritime s’accroît, grâce notamment à des navires de plus grand tonnage, cette pollution devient d’autant plus concentrée et visible.
REPÈRES
L’industrie du transport maritime est – relativement – peu polluante au regard du service rendu. Elle émet par exemple moins de dioxyde de carbone par tonne et par kilomètre que n’importe quel autre moyen de transport.
Toutefois, le nombre de tonnes transportées et de kilomètres parcourus étant beaucoup plus importants (90 % des biens échangés dans le monde transitent par la mer), la contribution aux émissions de dioxyde de carbone est loin d’être négligeable : entre 2 et 4 % des émissions mondiales tous secteurs économiques confondus.
DIVISER PAR SEPT LES ÉMISSIONS SOUFRÉES
Cette industrie fait face à une pression croissante des régulateurs, des clients, des associations environnementales et des communautés locales afin qu’elle réduise ses émissions polluantes.
“ Le secteur maritime émet entre 4 et 8 % des émissions mondiales d’oxydes de soufre (SOx ) ”
La régulation s’exerce principalement via la convention internationale Marpol, développée sous l’égide de l’Organisation maritime internationale (OMI). Le durcissement a longtemps été progressif, mais un pas décisif et spectaculaire vient d’être franchi.
La dernière décision, prise en octobre dernier, fait passer de 3,5 % à 0,5 % le pourcentage maximal d’oxydes de soufre admissible dans les émissions des navires sur toutes les mers à partir de 2020. Cette limite interdira de facto l’utilisation du fioul lourd tel qu’il existe actuellement, sauf à équiper les navires, lorsque cela est possible, de dispositifs très spécifiques de nettoyage des fumées.
Elle se superpose à d’autres, plus sévères ou portant sur d’autres polluants, mais de portée locale. Une prochaine décision de l’OMI pourrait consister en un mécanisme de contrôle des émissions de CO2, voire des gaz à effet de serre en général.
LES ATOUTS DU GAZ NATUREL LIQUÉFIÉ
Il existe essentiellement deux types de réponses aux nouvelles normes environnementales : continuer à utiliser un carburant pétrolier ou utiliser le gaz naturel.
“ Le principal obstacle est le coût d’investissement, supérieur pour un navire à propulsion gaz ”
La première solution revient à déplacer le problème des rejets soufrés : les armateurs peuvent continuer à brûler du fioul lourd en s’équipant de nettoyeurs de fumée, mais dans ce cas les produits de lavage doivent être retraités avant rejet en mer (nettoyeurs en boucle ouverte) ou déchargés et traités à terre (nettoyeurs en boucle fermée) ; ils peuvent trouver d’autres carburants comme le gasoil, qui est cher, ou les fiouls lourds à basse teneur en soufre, qui requièrent des investissements importants de la part des raffineurs et une réorganisation du marché des produits raffinés, selon un processus qui prendra plusieurs années et qui générera des incertitudes sur les prix.
La seconde solution est l’utilisation du gaz naturel sous sa forme liquéfiée, la seule commode pour le stockage, donc à très basse température (GNL).
UN USAGE ENCORE CONFIDENTIEL
La technologie est disponible mais l’utilisation du gaz pour la propulsion s’est longtemps limitée aux méthaniers. Depuis une quinzaine d’années cependant, on assiste au développement de la propulsion au gaz dans les pays nordiques sous l’effet d’incitations fiscales ou de normes.
Il s’agit pour l’essentiel de navires dédiés à la navigation côtière (petits ferries, patrouilleurs, remorqueurs) à faibles tonnage et autonomie, et dont l’alimentation en GNL est assurée par camions-citernes.
DE NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS QUI CHANGENT LA DONNE
DES CHOIX FINANCIERS DIFFICILES
Le prix du MWh GNL étant plus élevé que celui du MWh fioul lourd mais moins élevé que celui du MWh gasoil, la décision de la propulsion au gaz n’est pas simple et dépend des perspectives commerciales des armateurs, de leur horizon économique et financier, et de leur perception du risque réglementaire.
Le gasoil satisfait tout autant à la réglementation sur les émissions d’oxydes de soufre et nécessite peu ou pas d’investissement mais son prix est nettement plus élevé que celui du gaz naturel.
Le fioul lourd est moins cher que le gaz naturel mais nécessite d’investir dans des nettoyeurs de fumée et n’est pas à l’abri de restrictions environnementales plus sévères.
Plus récemment ont été mis en service des navires de gros tonnage : grands ferries, navires porte-conteneurs, navires porte-véhicules dont l’autonomie est importante et qui ont vocation à être alimentés par des barges de soutage dédiées au GNL, capables de livrer en une seule fois des quantités de plusieurs centaines de tonnes.
Au cours des derniers mois, plusieurs navires de croisière géants à propulsion gaz ont été commandés. Le mouvement est lancé. L’avantage du gaz naturel est que, composé essentiellement de méthane (CH4), sa combustion génère le minimum de dioxyde de carbone par unité d’énergie produite : environ 25 % de moins que les carburants pétroliers.
Par ailleurs, sous forme liquéfiée, il est exempt de composés soufrés et autres impuretés incompatibles avec le procédé de liquéfaction. Le choix de la propulsion au gaz naturel apparaît donc comme valable à long terme.
OBSTACLES LOGISTIQUES
Du côté de l’offre, la vingtaine d’usines de liquéfaction en service dans le monde produisent environ 300 millions de tonnes par an de GNL.
Le navire ravitailleur en gaz naturel liquéfié d’Engie.
© ENGIE / AGENCE MARC PRAQUIN
Celles qui entreront en service dans les cinq prochaines années porteront cette capacité aux alentours de 400 millions de tonnes par an.
Du côté de la demande, les navires propulsés au gaz, existants ou en construction, représentent seulement une consommation de l’ordre de 1 million de tonnes par an de GNL. Si toute la flotte mondiale utilisait le gaz comme carburant, la demande serait de 250 millions de tonnes par an. Pour des raisons techniques et logistiques, le GNL ne captera qu’une fraction de cette demande, qu’on estime généralement à environ 10 % à l’horizon 2030.
Il est clair que l’offre de GNL est à même de satisfaire une telle demande sans perturbation du marché.
UNE TRANSITION QUI S’ACCÉLÈRE
La généralisation en 2020 de la restriction sur les émissions de SOx accélérera la transition vers le GNL. Le principal obstacle est le coût d’investissement, supérieur pour un navire à propulsion gaz : le moteur lui-même, mais aussi le stockage et la tuyauterie à bord, qui doivent faire appel à des matériels cryogéniques plus coûteux.
La masse volumique du GNL est beaucoup plus faible, d’où, à autonomie donnée, une occupation plus importante à bord du navire et donc des volumes plus réduits des espaces utiles. Au total, on estime que le surcoût d’investissement pour un navire à gaz, à même autonomie et même capacité utile, est de l’ordre de 10 à 25 %, en fonction de la catégorie du navire.
CONTRAINTES LOGISTIQUES
Si l’on considère que la durée de vie d’un navire peut excéder vingt ans, et que le GNL est le seul carburant maritime dont la pérennité vis-à-vis des normes environnementales est à peu près assurée, pourquoi son développement n’est-il pas plus rapide ?
Le Gravifloat développé avec le chantier naval Sembcorp Marine.
© ENGIE / SEMBCORP MARINE
Des paramètres logistiques doivent être pris en compte. Pour un navire neuf destiné à être opéré pendant toute sa durée de vie sur la même ligne, il suffit qu’une infrastructure de livraison de GNL soit disponible dans l’un des ports desservis. C’est dans cette configuration – la plus favorable au GNL – que se situent la plupart des armateurs ayant fait ce choix.
Pour d’autres, la problématique est différente : certains types de navire doivent pouvoir être réaffectés à d’autres lignes en fonction de la conjoncture économique (porte-conteneurs, pétroliers, vraquiers) ; ou, ce qui revient au même, les armateurs aiment garder la possibilité de revendre leur navire.
Or, pour le moment les barges de GNL sont en petit nombre car les décisions d’investissement les concernant ont été prises avant la décision de l’OMI d’octobre 2016 et ne concernent que les zones à émissions contrôlées : une en service à Stockholm, une demi-douzaine d’autres en construction, destinées à l’Europe et l’Amérique du Nord.
NOUVELLES OPPORTUNITÉS
La question n’est plus la crédibilité de la propulsion au gaz pour les navires, mais celle de son rythme de développement.
“ La question n’est plus la crédibilité de la propulsion au gaz, mais celle de son rythme de développement ”
Il dépendra de plusieurs acteurs : les armateurs (en fonction de la demande des opérateurs et des clients de ces derniers), les fournisseurs de GNL (qui pour le moment portent l’effort d’investissement dans les infrastructures de soutage, mais qui apprécient l’émergence de nouveaux débouchés) et les ports (qui supervisent les études de risque nécessaires à la délivrance des autorisations de soutage de GNL, et qui sont les premiers concernés par la réduction de la pollution, mais qui cherchent aussi à attirer le trafic maritime).
C’est la contrainte environnementale qui en est à l’origine, mais le développement est en cours, et il est porteur de nouvelles opportunités économiques pour chacun des acteurs concernés.