Éolien marin : un financement légitime ?
L’éolien marin bénéficie d’un grand intérêt de la part des investisseurs par son régime de financement actuel de la subvention publique. Le prix de rachat de l’électricité devrait être mieux modulé en fonction des coûts variables du prix de l’énergie pour rendre cette technologie plus vertueuse et proche des objectifs de la transition énergétique.
Les articles consacrés à l’éolien marin dans La Jaune et la Rouge d’avril 2016 (n° 714) présentent beaucoup d’intérêt : rédigés par des spécialistes de la profession, ils donnent un éclairage favorable sur le déploiement en cours de ce moyen de production d’énergie.
“ Les subventions allouées à l’éolien permettraient de mettre aux normes thermiques 100 000 à 200 000 logements ”
Mais ils n’abordent pas son fonctionnement économique, alors que de nombreux citoyens s’interrogent en observant chaque année la montée inexorable de la contribution au service public de l’énergie (CSPE), instituée pour permettre, en particulier, le financement des énergies renouvelables.
L’éolien bénéficie, comme le photovoltaïque, de deux privilèges exorbitants : l’obligation faite à EDF d’enlever sa production, quelles que soient les conditions de charge du réseau, et un tarif d’achat supérieur aux prix de marché, fixé pour vingt ans ou plus.
LA LOGIQUE ÉCONOMIQUE EST À REPENSER
La logique économique voudrait que l’obligation de reprise de l’énergie produite s’accompagne d’un tarif d’achat fixé sur le marché EPEX SPOT (soit 31 €/ MWh le 1/04/2017).
LA CSPE EXPLOSE
La CSPE augmente régulièrement, passant de 2 600 M€ en 2009 à 4 800 M€ en 2012 et 7 000 M€ (hors TVA) en 2016, dont 65 % pour financer les EnR.
Les charges à couvrir en 2025, essentiellement du fait du développement de l’éolien marin, atteindraient plus de 10 G€ et la CSPE augmenterait de 50 % d’ici là. Observons que le taux actuel de la CSPE ne permet pas de couvrir toutes les obligations et qu’il subsistait un défaut de recouvrement cumulé de 4,9 G€ fin 2015.
On pourrait aussi admettre que le prix accordé aux champs éoliens marins, dont la production est assez constante et prévisible, soit un tarif de base plus élevé que le tarif SPOT, mais à la condition que le promoteur prenne en charge le coût d’immobilisation des moyens nécessaires au maintien de la production en cas d’absence de vent, 40 à 50 % du temps.
Des calculs assez simples permettent de conclure que chaque mégawattheure produit par un champ éolien marin, vendu aux environs de 200 € à ERDF, pour les premiers projets en cours, bénéficie d’une subvention de 100 à 150 €. Ainsi pour le champ de Fécamp en cours de construction (83 éoliennes de 6 MW), le total des subventions sur vingt ans serait de l’ordre de 3 à 5 G€, pour un investissement de 2 G€.
À terme, la réalisation du plan de 6 000 MW installés en 2020–2025, même avec un tarif de rachat en baisse, pourrait exiger un besoin de subventions de 2 à 3 G€ chaque année. En comparaison, une telle somme permettrait de mettre aux normes thermiques 100 000 à 200 000 logements, suivant le taux d’aide retenu.
UNE UTILITÉ ENVIRONNEMENTALE DOUTEUSE
Du côté des émissions de CO2, l’analyse n’est pas non plus favorable à l’éolien marin : en effet, chaque mégawattheure produit par l’éolien « évite » la production de 0,85 t de CO2, par rapport au gaz naturel.
Pour évaluer économiquement ce bénéfice, il faut donner une valeur à la tonne de CO2 : soit la valeur du marché (environ 10 €/t), soit une valeur de référence définie par les autorités pour évaluer les investissements publics, valeur fixée à environ 40 €/t aujourd’hui et à 100 €/t à l’horizon 2030 (rapport de la Commission Quinet de 2009).
On peut donc facilement conclure que le niveau des subventions accordées à l’éolien marin (100 à 150 €/MWh, soit 120 à 180 € par tonne de CO2 évitée) est excessif, en utilisant les outils d’évaluation des investissements publics.
Tout cela laisse penser que le plan de déploiement de l’éolien marin est d’abord dû à la conjonction de l’activisme des promoteurs et des industriels, avec une certaine bienveillance dogmatique des responsables politiques, sans que l’opinion publique, assez mal éclairée, ne prenne conscience de ses conséquences.
“ Ne mélangeons pas protection du climat et transition énergétique ”
Des voix éminentes commencent à s’élever pour dire que cet argent serait mieux dépensé à réduire la demande d’énergie, à séquestrer le carbone, à développer une production électronucléaire encore plus efficace ou à mettre en place des technologies nouvelles plus performantes : ainsi, notre camarade Claude Mandil (61), ancien directeur de la DGEMP et de l’Agence internationale de l’énergie, a publié un excellent article dans Le Monde du 7 mai 2016, intitulé « Ne mélangeons pas protection du climat et transition énergétique », qui analyse avec lucidité l’impasse dans laquelle le déploiement de l’éolien marin pourrait nous conduire.
UNE MEILLEURE APPROCHE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE EST POSSIBLE
Un vrai débat s’impose pour tenter de fixer un cadre de marché européen pour un système de production énergétique compétitif, le plus décarboné possible, homogène, avec une sécurité de fourniture satisfaisante.
COP 21 : POUR UNE POLITIQUE GLOBALE
Seule la gestion objective d’un véritable mécanisme de taxe carbone « énergie » européenne, à un niveau suffisant, combinant taxation et subvention, à somme nulle, permettrait la conduite d’une politique globale visant à atteindre les objectifs de la COP 21, en sanctionnant économiquement le recours aux énergies fossiles ou les projets purement spéculatifs, et en facilitant le développement de moyens alternatifs dans la production, dans l’économie d’énergie ou dans le stockage de carbone.
Une première étape serait de fixer une valeur tutélaire européenne pour le CO2 à un niveau élevé, avec des mécanismes cohérents d’application. En effet, si aujourd’hui la France, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Suède, la Slovénie, le Danemark et la Finlande ont mis en place des taxations du carbone, ces pays utilisent des tarifs très variables de 3,50 €/tCO2 à 110 €/tCO2, avec de nombreuses exemptions, des assiettes et des utilisations très hétérogènes.
N’oublions pas aussi un autre moyen de financement évident : la réduction des coûts d’investissement, d’exploitation et de démantèlement des champs éoliens ; mais s’agissant d’une industrie mature (11 000 MW installés en Europe fin 2015) et oligopolistique, peut-on espérer la baisse significative promise par les promoteurs ?
Enfin, une voie mérite d’être explorée, celle du tarif variable de rachat de l’électricité EnR, selon les coûts réels, les besoins du réseau, les capacités de stockage hydrauliques disponibles, les prix du marché SPOT, en y intégrant bien sûr un bonus pour une production décarbonée.
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Éolien marin : un financement légitime ?
Aujourd’hui, avec des mécanismes d’appel d’offre ouvert dans l’éolien en mer, des pays européens approchent, ou atteignent les prix de marché dans certaines conditions. Les réductions de coût à venir avec des turbines de 13 à 15 MW en projet et d’autres innovations seront encore importantes.
Les coûts obtenus en 2011 pour des parcs qui seront construits au mieux 10 ans plus tard reflètent un investissement pour démarrer en France une filière industrielle d’avenir, dont la place majeure dans le mix futur dans le monde apparaît claire aujourd’hui. Je n’entends pas de critique sur le très fort support d’un état stratège pour préparer l’avenir d’une autre filière que vous connaissez bien, dans le passé et encore aujourd’hui, pourquoi y aurait-il eu deux poids, deux mesures ?
Divers décideurs enfermés dans une monoculture énergétique monopolistique ont par le passé empêché qu’une filière éolienne terrestre prenne à temps son essor. La perte d’opportunité en termes d’emploi et de balance commercial est affligeante par rapport à l’Allemagne, au Danemark, à l’Espagne, au Portugal, aux USA, à la Chine, à l’Inde… Le retard ne sera jamais rattrapé.
Sachons investir à temps pour ne pas répéter les erreurs du passé. Sur l’objectif à terme de parvenir à une compétitivité dans un cadre de prix de marché, je suis d’accord avec vous, et la forte dynamique compétitive au niveau européen permet déjà d’être très confiant ! Et cela ne doit pas empêcher non plus d’investir dans l’efficacité énergétique, la réponse aux défis de demain nécessite d’avoir plus d’une corde à notre arc !