De la recherche à l’industrie biomédicale
La carrière d’un camarade, qui en vingt-cinq ans est passé successivement par la recherche, l’ingénierie et maintenant le management. Il voit dans les évolutions en cours du monde du biomédical deux grands axes, la recherche de traitements de plus en plus personnalisés et ciblés et de nouveaux modèles économiques où les acteurs sont payés en fonction du résultat thérapeutique obtenu.
Vous êtes X 90, à quoi ressemblait le plateau à votre époque ?
La vie passe vite, vous savez (rires). Il n’y avait pas ce bâtiment-là (le Drahi X‑Novation Center), ni tous les nouveaux labos, ni l’Ensta.
À côté, sur le plateau, là aussi c’était très différent, il n’y avait pas encore Danone, ni EDF… Mais la structure générale reste la même, et le grand hall n’a pas changé lui !
Vous avez fait une thèse, qu’est-ce qui vous y a plu ?
J’ai beaucoup aimé la stimulation intellectuelle. La démarche est d’ailleurs étonnante : au début, j’ai lu énormément de publications et j’ai contacté beaucoup de chercheurs, je pensais que des solutions à mon problème devaient déjà exister et je ne voulais pas réinventer la poudre.
“ Il fallait que j’ose trouver la solution moi-même ”
Au bout d’un moment, je me suis aperçu que la réponse n’existait pas et qu’il fallait que j’ose la trouver moi-même. Et quand j’ai finalement élaboré une théorie originale, je me suis aperçu que j’étais deuxième, après une Biélorusse qui avait développé une théorie similaire six mois plus tôt !
Mais j’étais quand même fier parce qu’on n’était que deux à avoir mis en œuvre cette approche nouvelle.
REPÈRES
Le secteur biomédical emploie plus de 575 000 personnes en Europe, pour un CA dépassant 110 milliards d’euros avec un investissement en R & D de 4 milliards par an. 95 % du secteur est composé de PME (source : MedTech Europe).
Après votre thèse, vous êtes parti dans le privé plutôt que dans l’académique.
Quelles étaient vos motivations ?
J’ai beaucoup hésité à l’issue de ma thèse, mais au bout du compte j’ai cherché une activité à cycle relativement court où on introduit des produits sur le marché tous les deux ans environ. C’est ce que j’ai trouvé en rejoignant GE Healthcare en imagerie médicale, l’autre domaine qui m’intéressait à la sortie de l’X en plus de l’environnement.
Et puis, j’allais bientôt avoir mon troisième enfant et le salaire offert par le privé aidait bien pour payer le loyer et les couches !
Est-ce qu’avoir une thèse est indispensable pour travailler dans les biotechs ?
Cela dépend du type de carrière qu’on envisage : une excellente idée et une forte personnalité permettent de se lancer dans une start-up sans thèse, Steve Jobs l’a fait !
Les « soins intégrés » pour le diabète englobent tout ce qui ne concerne pas le médicament lui-même.
© KWANGMOO / FOTOLIA.COM
Une thèse est cependant très valorisée dans une structure où l’innovation scientifique est au cœur de la stratégie de croissance, comme c’est le cas pour une biotech ou un labo pharmaceutique.
C’est moins vrai lorsque l’on travaille dans le numérique où l’innovation a tendance à se concentrer sur l’apport de solutions originales à une problématique d’usages.
Sinon, la thèse est également un bon atout lorsque l’on travaille au contact des médecins comme c’est mon cas régulièrement.
À quel moment avez-vous basculé d’un poste plus technique à un poste de manager ?
J’ai fait pas mal de technique chez GE. D’abord deux ans dans la région parisienne, puis deux ans aux États-Unis, et jusqu’en 2008, j’étais sur des postes d’ingénieur, avec une carrière assez standard : d’abord on est contributeur individuel, puis chef de projet, puis manager d’une équipe de 20 personnes, puis manager d’une équipe de 100 personnes…
“ J’ai été très heureux que le cursus de l’X ait inclus des cours de biologie ! ”
Un gros intérêt chez GE est que même ces postes de managers étaient très techniques et opérationnels sur les projets.
Je me suis réorienté vers le business à partir de 2010. Tout d’abord, j’ai pris la responsabilité d’une initiative stratégique pour GE Healthcare pour tout ce qui concerne le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Il s’agissait de coordonner les stratégies des différents business afin de mettre en place une approche multimodalités (IRM, PET, logiciels de quantification, agents de contraste, marqueurs sanguins, etc.).
Au-delà de l’aspect business, j’ai dû me plonger dans la biologie de la maladie d’Alzheimer et de ses biomarqueurs… et je me souviens alors avoir été très heureux que le cursus de l’X ait inclus des cours de biologie.
Au bout d’un an, mon rôle a été étendu et je suis allé à Londres prendre la responsabilité directe du business d’imagerie de neurologie PET tout en continuant à mener l’initiative stratégique au niveau du groupe. C’est ainsi que j’ai finalisé ma réorientation de la technique vers le business.
Et aujourd’hui au quotidien, en quoi consiste votre travail ?
Il faut s’attendre à une très grande innovation autour de traitements de plus en plus personnalisés et ciblés. © PAKPOOM NUNJUI / SHUTTERSTOCK.COM
Je suis rentré en France en 2014 pour rejoindre Sanofi en tant que responsable de la stratégie commerciale de ce qu’on appelle les « soins intégrés » pour le diabète, c’est-à-dire tout ce qui ne concerne pas le médicament lui-même mais les dispositifs médicaux ou services associés.
Dans ce rôle, j’ai défini la stratégie du groupe pour les soins intégrés (au quotidien, on doit convaincre les parties prenantes multiples) et contribué à la mise en œuvre de cette stratégie, soit par des développements internes, soit par la mise en place de partenariats.
Par exemple, j’ai passé beaucoup de temps à la mise en place d’un partenariat entre Sanofi et Google qui s’est concrétisé par la création d’une nouvelle société appelée Onduo ; au quotidien, on a dû développer un business plan et se mettre d’accord sur un nombre important de contrats définissant les relations entre Sanofi, Google et Onduo…
Il ne faut pas avoir peur de rentrer dans beaucoup de détails pour faire aboutir un tel projet.
Quels sont les grands changements dans le monde du biomédical ?
Je vois deux grands axes. D’un point de vue produit, il faut s’attendre à une très grande innovation autour de traitements de plus en plus personnalisés et ciblés.
On le voit par exemple avec l’explosion actuelle de médicaments biologiques, ou avec les perspectives incroyables de la génétique ou de la médecine régénérative.
D’un point de vue économique, les difficultés budgétaires vont s’amplifier compte tenu de l’accroissement des dépenses liées au vieillissement de la population et à l’accroissement des maladies chroniques.
BIENTÔT LA SANTÉ CONNECTÉE
Onduo est une entreprise détenue à parts égales par Sanofi et Google dont la vocation est de fournir des solutions complètes pour les patients atteints de diabète. L’idée des deux partenaires est de partager l’expérience de Verily, la filiale dédiée de Google pour la santé, en matière d’électronique miniaturisée, de techniques analytiques et de développement de logiciels grand public et celle de Sanofi dans les médicaments et la connaissance du marché.
Dans ce contexte, sont en train d’émerger, en particulier avec beaucoup d’innovations menées par le CMS aux États-Unis (le Center for Medicare and Medicaid Services, une sorte d’équivalent de notre Sécurité sociale pour une partie de la population).
Ces nouveaux modèles reposent sur l’idée qu’il faut payer les différents acteurs (corps médical, industriels des médicaments ou des dispositifs médicaux) en fonction du résultat thérapeutique obtenu, c’est-à-dire fondamentalement qu’on ne paie que si le traitement marche.
À l’extrême, les acteurs médicaux seront payés tant que les personnes resteront en bonne santé et non plus quand elles tombent malades !
C’est un peu le même principe que celui appliqué dans l’aviation où des contrats garantissent un nombre d’heures de vol…, mais c’est particulièrement compliqué à mettre en œuvre pour la santé des hommes.