Marcel ROULET (54), visionnaire et gestionnaire
Le premier président de France Télécom/Orange
Né en 1933 à La Terrasse au cœur du Grésivaudan, Marcel Roulet perd sa mère d’une méningite peu après sa naissance, puis son père lors de la Seconde Guerre mondiale.
Son instituteur le remarque et fera en sorte qu’il puisse faire des études. Pupille de la Nation, il entre au Prytanée militaire à La Flèche.
À sa sortie de l’X, il fait l’ENST et devient en 1959 ingénieur dans l’administration de la France d’outre-mer. Il va rester neuf ans en Afrique où il rencontre sa femme Danièle (mariage en novembre 1961) et où naîtront ses deux filles, Valérie et Florence. Il a eu également un fils, Henri, né en France métropolitaine.
HOMME DE TERRAIN ET DE STRATÉGIE
Nommé à Lyon (1969−1973), il a poursuivi cette carrière opérationnelle, « sur la ligne de front » comme il aimait à le dire, d’abord à Lyon (1969−1973) puis en créant la première direction opérationnelle des Télécommunications à Annecy (1973 à 1975).
Homme de terrain, il a laissé le souvenir d’un patron exigeant mais compétent et juste.
Déjà à cette époque, il se plaisait à avoir des réflexions stratégiques sur l’évolution des Télécoms, comme leur nécessaire autonomie. Il prit l’initiative d’animer un groupe qui mit au point les plans d’équipement de toute la région Rhône- Alpes, travail qui servit à élaborer les programmes pluriannuels pendant plus de dix ans.
Il fut ensuite directeur régional à Clermont-Ferrand de 1975 à 1977.
UNE RENCONTRE MARQUANTE
Gérard Théry fait connaissance avec Marcel Roulet fin des années soixante-dix. « Le poste de chef du service des programmes et affaires financières était à pourvoir. André Rousselet (33), directeur régional de Lyon, m’a parlé de Marcel en termes élogieux. J’ai reçu Marcel deux jours plus tard. Notre conversation a été brève.
Je lui propose le poste. Il l’accepte. Je lui dis que je l’attends dès qu’il peut. “Je serai là lundi.” Nous avons transigé pour le lundi d’après. J’ai compris que j’avais en face de moi un homme de décision et de devoir. »
RETOUR À PARIS
En 1977, Gérard Théry (52), directeur général des Télécommunications, le fait venir à Paris. En janvier 1982, il est nommé directeur général adjoint secondant Jacques Dondoux (51) et participe très activement à l’élaboration de la charte de gestion des télécommunications.
Devant la décision du gouvernement d’augmenter fortement la taxe téléphonique et de procéder à un prélèvement obligatoire de 13,9 milliards de francs, véritable impôt sur les télécommunications, il a le courage de présenter sa démission. Elle lui sera refusée.
LA CRÉATION DE CHRONOPOST
Fin 1984, il est nommé directeur général des Postes, une « maison », proche institutionnellement. En deux ans, il va réorganiser les services financiers, développer l’informatisation, mener une négociation avec les syndicats sur les conditions d’exercice du droit de grève et créer la société filiale Chronopost.
Cette société de droit privé, associant un partenaire extérieur (la compagnie aérienne TAT), était à même de s’opposer aux coursiers internationaux DHL et Federal Express…
C’est le mariage de la modernité (un statut d’entreprise, un service « à valeur ajoutée ») et de la tradition (le transport du courrier), mis en œuvre avec pragmatisme et habileté, deux « marqueurs » de Marcel Roulet.
UN EXCEPTIONNEL TRANSFORMATEUR DES ORGANISATIONS
Fin 1986, il prend la tête de la direction générale des Télécommunications. Il n’aura alors de cesse de préparer cette administration à faire face à une concurrence croissante, à l’international d’abord, sur les réseaux d’entreprises puis sur les mobiles, et la doter des mêmes moyens que les entreprises concurrentes.
Il crée en 1987 Cogecom, une société holding regroupant les filiales exerçant leurs activités dans le domaine concurrentiel (dont Transpac, France Câbles et Radio, Télésystèmes et Télécom Systèmes mobiles).
C’était un politique au sens noble du mot, il savait faire franchir la rivière au bateau, sans incantations inutiles, avec tout son équipage, sans mutinerie.
UN BÂTISSEUR EUROPÉEN
Il a construit et développé un partenariat, puis une alliance capitalistique, avec Deutsche Telekom. Il avait été marqué comme son homologue allemand par les horreurs de la guerre dans sa jeunesse.
“ Il a laissé le souvenir d’un patron exigeant mais compétent et juste ”
Plus largement, il a impulsé des relations et des groupes de travail avec les opérateurs des pays voisins, pour armer l’Europe, dans la concurrence totale, face aux acteurs américains.
Retiré des affaires, il regrettait amèrement l’échec de ces rapprochements, que les forces pourtant chargées de construire l’Europe n’ont eu de cesse de freiner.
LA CRÉATION DE FRANCE TÉLÉCOM
C’est suite à l’arrivée de Paul Quilès (61) en mai 1988, qu’au travers de la mission confiée à Hubert Prévot, il va préparer le changement de statut de la « DGT » en établissement public France Télécom.
LA RÉFORME DES PTT
L’ancien ministre Paul Quilès qui a engagé cette réforme en 1989 évoque la participation de Marcel Roulet à ce grand projet. « Il participa pleinement aux travaux de préparation, dans le cadre du débat public, conduit par Hubert Prévot et ce fut une occasion pour lui de montrer non seulement son esprit de synthèse, mais aussi ses indiscutables qualités humaines, si utiles en pareille circonstance. »
Il en précise d’emblée les objectifs principaux : séparation de la réglementation et de l’exploitation, autonomie opérationnelle des exploitants, possibilité de recruter et de fidéliser les cadres, contrôle direct des filiales.
Le 17 décembre 1990, il est nommé président du conseil d’administration de France Télécom jusqu’en août 1995, date à laquelle il devra laisser sa place pour la transformation de l’établissement public en SA et l’ouverture de son capital. En février 2003, il en sera nommé administrateur.
LA PRIVATISATION DE THOMSON
En 1996, il est nommé par le gouvernement d’Alain Juppé président de Thomson SA (nationalisé) et de sa filiale cotée Thomson-CSF. Son mandat est explicitement de conduire la privatisation de ce groupe. Marcel Roulet, qui sait que la durée de son mandat est limitée, se dédie totalement à ce dossier de privatisation, et a la sagesse de maintenir dans la continuité la stratégie et les opérations du groupe.
“ Une occasion de montrer non seulement son esprit de synthèse, mais aussi ses indiscutables qualités humaines ”
Une première tentative de privatisation entre les mains des groupes Lagardère et Daewoo, en 1996–1997, échoue sur une question de valorisation de la branche grand public, fortement endettée.
La deuxième sera la bonne sous forme de privatisation séparée de Thomson-CSF, avec Alcatel et Dassault, et de Thomson SA, sous forme plus progressive et internationale.
Touché par la limite d’âge de 65 ans en janvier 1998, Marcel Roulet laissera la place à Thierry Breton et à Denis Ranque (70), respectivement chez Thomson SA, devenu Technicolor, et Thomson-CSF, devenu Thales. Il en restera administrateur pendant de nombreuses années.
FIDÉLITÉ ET DÉVOUEMENT
Marcel Roulet était un homme de fidélité. Fidélité à son terroir du Dauphiné, et aux valeurs qui en étaient issues. Fidélité à ses amis, dont la plupart sont des amis de longue date ; loin de l’image un peu austère, voire bourrue, qui prévalait lors d’un premier contact rapide, il laissait découvrir à ses amis une sensibilité profonde, empreinte de beaucoup de délicatesse et d’une grande pudeur.
Il fut également un homme de dévouement, comme en attestent son engagement pour l’AX qu’il présida de 1994 à 1998 et son rôle dans la création de l’Institut Paul Delouvrier (think tank sur la modernisation des administrations, célèbre pour son baromètre annuel sur la perception qu’en ont les citoyens).
Marcel Roulet était grand officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du Mérite.