Patrouille motorisée en République centrafricaine.

L’apport des X aux armées

Dossier : Le Grand Magnan 2017Magazine N°727 Septembre 2017
Par Antoine BURTIN (03)

Depuis 2006, soit depuis que j’ai fait état de ma volon­té de rejoindre le corps des offi­ciers d’active, j’entends régu­liè­re­ment la même ques­tion : pour­quoi s’engager dans l’armée de Terre quand on est polytechnicien ? 

À défaut d’être ori­gi­nale, cette inter­ro­ga­tion n’en demeure pas moins légi­time : au-delà de la satis­fac­tion égoïste d’un goût pour l’aventure, ce choix pré­sente-t-il un quel­conque inté­rêt objec­tif, ou bien ne s’agit-il que d’un ves­tige sur­an­né du pas­sé mili­taire de l’X ?

En fait, la défense des inté­rêts natio­naux fait encore plei­ne­ment sens dans le monde contem­po­rain. Or, pour res­ter à la hau­teur de cette mis­sion, notre outil mili­taire se révèle confron­té à des défis par­ti­cu­liè­re­ment exigeants. 

Dans ce cadre, la trans­for­ma­tion d’innovations tech­no­lo­giques en inno­va­tions tac­tiques demeure un enjeu essen­tiel, auquel les X semblent pou­voir appor­ter une contri­bu­tion intéressante. 

UNE MISSION TOUJOURS PRIORITAIRE

La défense des inté­rêts fran­çais m’apparaît, à l’aune des constats que j’ai pu faire ces der­nières années, comme une mis­sion tou­jours aus­si essen­tielle, non­obs­tant les aspi­ra­tions post­mo­dernes, plus ou moins sin­cères du reste, qu’entretient l’Occident depuis la fin du XXe siècle. 

“ Derrière les discours diplomatiques policés, concurrents et adversaires sont toujours bien présents ”

Tout d’abord, la notion même d’État me semble loin d’être tom­bée en désué­tude avec le déve­lop­pe­ment de la mon­dia­li­sa­tion, et jus­ti­fie plei­ne­ment qu’on se tienne prêt à employer la force pour la défendre. 

Ain­si, pour avoir été le témoin de ce à quoi se rédui­sait le quo­ti­dien de popu­la­tions dont les ins­ti­tu­tions s’étaient effon­drées, l’importance – mais aus­si la fra­gi­li­té – de ce legs de notre his­toire m’apparaît désor­mais avec une acui­té toute particulière. 

Or, der­rière les dis­cours diplo­ma­tiques poli­cés, concur­rents et adver­saires sont tou­jours bien pré­sents, que nous le vou­lions ou non. Car au-delà des enne­mis décla­rés que sont Daech et Al-Qae­da, nom­breux sont encore les États dont les ambi­tions et les inté­rêts entrent direc­te­ment en conflit avec les nôtres. 

Dans ce cadre, le recours à la coer­ci­tion reste com­mun, même si l’avènement de l’ère nucléaire le limite le plus sou­vent à des affron­te­ments indi­rects et discrets. 

UN RANG À MAINTENIR

De sur­croît, il semble que la France demeure pro­fon­dé­ment et assez una­ni­me­ment atta­chée, non seule­ment à sa sou­ve­rai­ne­té, mais aus­si à sa place au pre­mier rang de la scène inter­na­tio­nale. Or, c’est une place que bon nombre d’acteurs tendent aujourd’hui à remettre en question. 

Dès lors, le main­tien d’un outil de défense uni­ver­sel­le­ment recon­nu consti­tue un impé­ra­tif, à la fois pour dis­sua­der les vel­léi­tés d’ingérence et pour res­ter cré­dible en matière de poli­tique extérieure. 

Aus­si la néces­si­té de pro­té­ger les inté­rêts fran­çais, sur le sol natio­nal comme à l’étranger, demeure-t-elle à mon sens plei­ne­ment d’actualité. Cepen­dant les voies et moyens tra­di­tion­nel­le­ment uti­li­sés à cette fin semblent se heur­ter à des dif­fi­cul­tés considérables. 

DES DÉFIS INTERNES ET EXTERNES

En effet, notre outil mili­taire se révèle aujourd’hui confron­té à des défis, sur le ter­ri­toire natio­nal comme à l’extérieur de nos fron­tières, que seule une réflexion sur la place, la struc­ture et les modes d’action de nos armées semblent pou­voir per­mettre de surmonter. 

“ La présence d’X au sein de l’institution militaire est un atout objectif pour celle-ci ”

Ain­si, la pro­fes­sion­na­li­sa­tion comme les coupes bud­gé­taires qui se sont suc­cé­dé au cours des vingt der­nières années ont pro­gres­si­ve­ment conduit l’armée de Terre à s’apparenter à un modèle réduit d’armée de conscrip­tion, alors que c’était pré­ci­sé­ment l’effet de masse qui consti­tuait le prin­ci­pal atout de ce type d’outil. Le for­mat actuel atteint rapi­de­ment ses limites d’emploi dès lors qu’il s’agit d’atteindre une forme d’efficacité durable. 

Or, l’histoire récente semble avoir défi­ni­ti­ve­ment consa­cré l’inefficacité stra­té­gique du concept de « guerre éclair expé­di­tion­naire » mis en appli­ca­tion par l’Occident depuis la guerre du Golfe. En effet, cette approche, même quand elle obtient ini­tia­le­ment de réels suc­cès, se voit in fine mise en échec par la stra­té­gie d’usure impo­sée par l’adversaire.

Le temps joue dès lors contre la force d’intervention, qui finit inva­ria­ble­ment par se reti­rer sous la pres­sion de son opi­nion publique. 

UN OUTIL MILITAIRE À RÉINVENTER

Face à ces impasses, le besoin de repen­ser en pro­fon­deur la place, l’organisation et l’emploi de notre outil mili­taire s’impose à la fois comme une urgence et un véri­table défi. En effet, il appa­raît illu­soire d’exiger une hausse spec­ta­cu­laire des cré­dits alloués aux armées, ou encore d’espérer un hypo­thé­tique retour à une armée de conscription. 

Mais à l’inverse, aban­don­ner la défense de nos inté­rêts, où que cela se révèle néces­saire, revien­drait à se résoudre au déclin. 

Ain­si, l’adaptation de nos armées à notre monde et à ses conflits, si dif­fi­cile soit-elle, consti­tue un enjeu véri­ta­ble­ment vital, qui mérite à n’en pas dou­ter que les esprits les plus aigui­sés de la Nation s’y confrontent. 

INNOVER ET S’ADAPTER DANS UN CADRE EN MUTATION RAPIDE

Dans ce cadre, l’innovation tech­no­lo­gique semble pou­voir appor­ter sa part de solu­tions, sous réserve que notre outil de défense se révèle capable non seule­ment de suivre son rythme, mais éga­le­ment de la trans­po­ser effi­ca­ce­ment dans un contexte tactique. 


Patrouille moto­ri­sée de la 3e Com­pa­gnie en Répu­blique centrafricaine.

Certes, il s’est sou­vent avé­ré illu­soire – et même dan­ge­reux – de comp­ter exclu­si­ve­ment sur la tech­nique pour résoudre les pro­blèmes aux­quels une armée se voyait confron­tée. Néan­moins, l’innovation tech­no­lo­gique a inva­ria­ble­ment tenu une place impor­tante dans les dif­fé­rentes révo­lu­tions mili­taires qu’a connues notre histoire. 

Il est dès lors rai­son­nable de pen­ser qu’elle a de nou­veau un rôle essen­tiel à jouer aujourd’hui.

Et jus­te­ment, il semble man­quer à notre outil de défense la sou­plesse néces­saire à l’adaptation au rythme actuel du pro­grès tech­no­lo­gique, notam­ment dans les domaines issus de la révo­lu­tion numérique. 

Ain­si, de la numé­ri­sa­tion de l’espace de bataille à la maî­trise du cybe­res­pace en pas­sant par le déve­lop­pe­ment des drones, nos armées, en dépit d’efforts réels, semblent encore loin de pou­voir s’imposer comme des acteurs de pointe dans ces domaines pour­tant essentiels. 

D’un autre côté, l’innovation tech­no­lo­gique se révèle bien sou­vent inutile si l’on ne se montre pas capable de faire évo­luer les struc­tures et les modes d’action tac­tiques afin d’en tirer le meilleur parti. 

À cet effet, la pré­sence accrue d’officiers, notam­ment issus de l’École poly­tech­nique, capables de tenir ce rôle d’interface en com­bi­nant une solide culture scien­ti­fique et une réelle expé­rience tac­tique, appa­raît tout à fait pertinente. 

UN ENGAGEMENT TOUJOURS D’ACTUALITÉ

Pour conclure, l’engagement de poly­tech­ni­ciens au sein des forces armées, si rare soit-il, est loin de consti­tuer à mes yeux une curio­si­té issue du passé. 

Non seule­ment notre pays mérite tou­jours qu’on le défende par la force lorsque cela se révèle néces­saire, mais les défis aux­quels son outil de défense fait face aujourd’hui, notam­ment dans le domaine tech­no­lo­gique, font de la pré­sence d’X au sein de l’institution mili­taire un atout objec­tif pour celle-ci et pour notre pays.

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