Éruptions solaires : des chercheurs de l’X à la une de “ Nature ”
Tahar AMARI et son équipe ont publié dans la revue « Nature » leurs travaux d’observation et de calcul permettant de prévoir l’énergie maximale libérée lors d’une éruption solaire.
L’atmosphère du Soleil est sans cesse perturbée par des éruptions solaires, dont les plus intenses sont susceptibles d’impacter les installations technologiques de notre planète (réseaux de satellites de communication, de localisation, distribution d’électricité, trafic aérien, etc.).
“On peut estimer l’énergie maximale libérable par l’éruption solaire”
Afin d’améliorer la prévision de ces éruptions, une équipe de chercheurs a mis au point un modèle capable d’estimer l’énergie maximale potentiellement libérée lors d’une éruption solaire.
Ces travaux, menés par Tahar Amari et Aurélien Canou du Centre de physique théorique (CNRS / École polytechnique), en collaboration avec Jean-Jacques Aly du laboratoire d’Astrophysique, interprétation – modélisation (CNRS / CEA / Paris- Diderot), François Delyon du Laboratoire de physique théorique de la matière condensée (CNRS / Sorbonne Université) et Frédéric Alauzet de l’Inria, ont fait la une de Nature le 8 février 2018.
Une équipe spécialiste des éruptions solaires
En 2014, une équipe de recherche pilotée par Tahar Amari faisait déjà la une de la prestigieuse revue grâce à la mise en évidence d’une structure particulière des lignes de champs magnétiques qui forment une corde torsadée dans les heures précédant une éruption solaire.
Mais alors qu’il s’était concentré sur les éruptions éjectant de la matière, le chercheur s’est, cette fois-ci, interrogé sur le mécanisme régissant les éruptions sans éjection de masse, qui peuvent être tout aussi puissantes mais ne libèrent de l’énergie que sous la forme de rayonnements puissants.
Rendre visible l’invisible
« Pour avoir accès au champ magnétique, nous avons étudié les dernières heures de la “grossesse” qui a donné naissance à l’éruption », explique Tahar Amari. Le chercheur image ainsi le phénomène afin de mieux faire comprendre la méthode, analogue à une échographie, qui leur a permis de déduire le champ magnétique dans l’atmosphère du Soleil.
HASARD SOLAIRE
Le hasard a voulu que l’objet d’étude pour cette nouvelle publication soit une éruption solaire qui s’est déroulée le 24 octobre 2014, le jour même de la publication des précédents travaux dans Nature.
En effet, les méthodes d’observation « classiques », qui consistent à analyser le spectre de lumière du Soleil pour en déduire le champ magnétique, ne fonctionnent pas pour l’atmosphère solaire car ce spectre est dégradé par les très hautes températures.
Afin d’observer l’éruption, ce « bébé magnétique », Tahar Amari récolte des données qu’il image comme des échographies magnétiques : « En mesurant le champ magnétique à la surface du Soleil, nous en déduisons les champs magnétiques dans l’atmosphère solaire. L’analogie s’arrête ici car contrairement à une échographie qui observe l’intérieur du corps, notre méthode permet de voir le bébé magnétique à l’extérieur du Soleil à partir de mesures à sa surface. »
Les mesures réalisées par des satellites sont couplées à la résolution d’équations dans un modèle théorique développé par les chercheurs et similaire aux modèles météorologiques. Grâce à cette méthodologie, les chercheurs ont réussi à déterminer la forme des champs magnétiques dans la couronne solaire.
Dans leur modèle, le comportement de l’atmosphère terrestre est remplacé par le comportement de l’atmosphère solaire qui obéit à des lois de la physique bien spécifiques : la dynamique des fluides électriquement conducteurs.
En réalisant une succession de ces échographies (mesures + résolutions par leur modèle théorique), ils ont pu, dans la continuité de leurs travaux de 2014, mettre en évidence qu’une corde magnétique se développait également lors de ces éruptions sans éjection de masse.
La nature des éruptions solaires déterminée par un rapport de force magnétique
Les chercheurs ont fait une autre découverte : la corde grandit dans un « cocon », une cage de champs magnétiques, qui aide la corde à se développer en la confinant à proximité du Soleil. Lorsque la corde est suffisamment intense, un rapport de force s’établit alors entre elle et sa cage.
Échographie magnétique à l’aide des données du champ magnétique à la surface du Soleil (satellite SDO de la NASA) et d’un modèle puissant multi-échelles, quelques minutes avant le début de l’éruption. Le résultat révèle la présence d’une cage magnétique renforcée multicouche (jaune, rose, blanc) dans laquelle se développe pendant les dernières heures avant l’éruption la corde magnétique (bleu).
© Tahar Amari et al./Centre de physique théorique (CNRS-École polytechnique)
Dans le cas de l’éruption observée le 24 octobre 2014, les chercheurs ont pu établir que la cage était suffisamment renforcée pour retenir la corde et l’empêcher d’éjecter de la matière. Leur modèle théorique dynamique va plus loin car à partir de données mesurées dix minutes avant l’éruption, les chercheurs ont été capables d’estimer l’énergie maximale libérable par l’éruption solaire.
Cette méthode les a aidés à bien comprendre le rapport de force entre la cage et la corde : ainsi, comme dans l’éruption qu’ils ont étudiée, une cage très renforcée empêche l’éruption de produire une éjection de masse. Mais ce modèle est également valable pour les éruptions qui éjectent de la masse : en affaiblissant la cage dans leur modèle, ils ont démontré que si cette dernière n’est pas assez renforcée par rapport à la corde, l’éruption va pouvoir rompre la cage en éjectant une bulle magnétique de plasma.
Des conséquences pour le GPS
Tahar Amari et ses collaborateurs ont ainsi amélioré la compréhension des mécanismes qui régissent les éruptions solaires et laissent ainsi entrevoir la possibilité de réaliser des prévisions précoces de leurs intensités, s’ils disposent de mesures en amont d’une éruption solaire.
Ce paramètre est essentiel pour anticiper notamment l’extinction de satellites dont les appareils technologiques pourraient être endommagés, coupant ainsi les accès au système GPS ou aux réseaux de communication.
Ces prévisions ne seront possibles qu’à condition de disposer de suffisamment de données nécessitant l’envoi de nouvelles missions, dans lesquelles la France est impliquée, afin de surveiller le Soleil sous différents angles.
Article paru sur le site de l’École, reproduit avec son aimable autorisation.
L’article de Nature (payant)