L’X ou la laïcité intelligente
Sur le campus de l’X, il se passe un phénomène étonnant, au regard des tensions qui existent dans notre pays sur la question de la laïcité. Dans cette école consacrée au primat de la science, les religions non seulement trouvent leur place, mais en plus coexistent harmonieusement.
Mémorable partie de babyfoot avec de gauche à droite : Louis Pernot, Nadir Mehidi, Miguel Roland-Gosselin (prédécesseur de Nicolas Rousselot) et Haïm Korsia.
Le statut militaire de l’École a rendu évident la présence des aumôneries, où toutes les religions peuvent être représentées. Il en résulte une laïcité exemplaire, où les aumôniers participent à tous les événements importants et se réunissent avec les élèves en quête de sciences, mais aussi de sens.
Pour comprendre le secret de cette réussite polytechnicienne, La Jaune et la Rouge s’est rendue dans le « couloir des sorciers », rencontrer ceux que l’on surnomme aussi les « quatre mousquetaires » : le père Nicolas Rousselot, sj, le pasteur Louis Pernot du Temple de l’Étoile, le grand-rabbin de France Haïm Korsia et l’imam Nadir Mehidi, aumônier militaire à la DGGN.
Origine des aumôneries
Cette tradition de la présence des religions est ancienne, depuis les débuts de l’École ; celle des aumôneries est un peu postérieure et a ses traditions. « Les Jésuites s’occupent de l’aumônerie catholique des élèves de l’X depuis 1903 » nous indique le père Nicolas.
Haïm Korsia de nous expliquer : « L’aumônerie israélite a toujours été liée au directeur de l’École rabbinique de France de la rue Vauquelin dans le 5e arrondissement, qui, de tradition, est l’aumônier israélite de l’X. »
Selon Louis Pernot, la présence protestante remonte « à Napoléon Ier ». Quant à l’aumônerie musulmane, elle est la dernière-née des aumôneries, en 2013, et l’imam Nadir Mehidi en est le premier aumônier.
Une aumônerie devenue militaire
C’est le statut militaire de l’X qui a facilité la présence, comme dans un régiment, des aumôneries. Puis, en 1964, le père Jean Dumort (46) – aumônier de l’X de 1964 à 1984 – œuvre pour donner aussi à l’aumônerie un statut militaire.
Depuis lors, toutes les religions peuvent être représentées et jouissent d’une certaine liberté d’expression dans les locaux de l’École. Les aumôniers sont présentés chaque année aux nouvelles promotions et participent à tous les événements importants, de sorte que les élèves savent qu’il y a des aumôniers et qui ils sont.
Un excellent laboratoire français de laïcité
Et les quatre mousquetaires sont unanimes : la laïcité à l’X est exemplaire. « Pour voir comment devrait se vivre la laïcité, il faut aller dans les armées ou à l’X » témoigne Nadir Mehidi. Même son de cloche chez chacun : « L’X est un modèle pour la société.
La laïcité n’y empêche pas de parler de ce qui nous anime. On ose en parler, en débattre et c’est une richesse », dit le père Nicolas Rousselot. « La laïcité ne suppose pas l’annulation de toute religion, mais l’indépendance et la liberté entre les religions, ce que permet la présence des quatre aumôniers à l’École » révèle le pasteur Pernot.
Pour Haïm Korsia : « C’est une laïcité intelligente où chacun garde son caractère propre, est ce qu’il est, mais le vit avec les autres, sans communautarisme. »
Les aumôniers proposent une ou deux
conférences par an.
Les aumôniers s’accordent pour témoigner
de la grande soif des élèves.
Des élèves en quête de sciences et de sens
Cette présence de quatre aumôniers attitrés à l’École est exceptionnelle parmi les grandes écoles. Et l’on peut dire qu’elle participe à l’excellence de l’offre de l’École aux élèves, qui ont la possibilité d’approfondir leur soif intellectuelle, mais aussi spirituelle.
Les aumôniers s’accordent pour témoigner de la grande soif des élèves. Après la prépa, qui laisse peu de temps aux questionnements existentiels, l’arrivée à l’X avec son grand panel de possibles laisse parfois les élèves en difficulté. « Beaucoup d’entre eux, brillants à l’école, ont suivi les conseils qu’on leur a donnés et ont intégré l’X sans avoir posé de choix vraiment personnels et se trouvent démunis au moment de faire un choix de formation ou de carrière » explique le père Rousselot.
Lors de l’épisode tragique des deux suicides d’élèves qui a violemment secoué l’École en 2016, nombreux ont été les élèves à les solliciter. « Sur ces questions existentielles, la parole des aumôniers est différente de celle d’un chef de corps ou d’un professeur », ajoute le père Nicolas.
Libérer la parole
Les aumôniers proposent une ou deux conférences par an tous les quatre. Au moment des attentats de 2015, une conférence sur la violence dans les religions a été proposée. « L’amphi était plein, les élèves ont pu poser des questions pour discerner, je parle et réponds sans tabou », témoigne Nadir Mehidi.
« À chaque attentat, c’est aussi pour les élèves musulmans une blessure qui se rouvre. Dans ces moments-là, j’invite les élèves à verbaliser, à parler avec les autres, à dialoguer pour sortir de l’inquiétude. »
Pour Louis Pernot, ces conférences « sont un témoignage auprès de toute l’École que les religions peuvent vivre ensemble et dialoguer. Ça rassure toute l’École de nous voir ensemble, bien au-delà de l’amphi, même ceux qui n’y participent pas. »
Et pour le rabbin Korsia : « Les élèves ont besoin d’un endroit pour parler sans être jugés ; c’est ce que leur offrent les aumôniers. Quand il y a des tensions, ce qui est rare, nous servons d’amortisseurs. »
Un haut niveau d’exigence
Qui dit Polytechnique, dit haute exigence intellectuelle. Et le pasteur de témoigner : « Les élèves ont ceci de particulier que leur formation leur donne une grande capacité à s’interroger et à ne pas prendre pour acquis tout ce qu’on leur dit. Ils décèlent rapidement les failles d’un raisonnement. »
C’est même pour Louis Pernot, un très bon moyen de « tester » sa prédication dominicale. Pour confirmer ce bon alliage entre science et religion, l’aumônier jésuite nous a annoncé qu’un centre Teilhard de Chardin destiné au dialogue avec les chercheurs était en projet sur le campus de Saclay.
Par-dessus tout, le témoignage de la fraternité
« L’entente entre les aumôniers est très bonne » témoigne Nadir Mehidi. « Nous déjeunons régulièrement ensemble, et c’est toujours une surprise pour les gens de voir que nous nous entendons bien », révèle le père Nicolas. « La preuve en est qu’à l’X nous partageons le même bureau » indique Haïm Korsia, « et parfois les mêmes élèves » surenchérit le pasteur Pernot.
« Un des derniers papes (NDLR président du CCX, comité chrétien de l’X) était protestant ! » Des élèves chrétiens participent aux cours de Talmud et de Bible donnés tous les quinze jours par Haïm Korsia, et lui-même participe aux discussions sur la Bible avec les élèves protestants et catholiques.
Paroles d’aumôniers de l’X
Tous disent leur joie. Pour Nadir Mehidi, « être aumônier, c’est une vocation, c’est être prêt à aider les autres, à les écouter. Et être aumônier à l’X, c’est un régal. » C’est aussi l’occasion de rencontrer de belles personnes, « qui vont faire de belles choses pour la société de demain » témoigne le père Nicolas.
« Ma joie de pasteur, témoigne Louis Pernot, réside en ce contact très stimulant et exigeant avec les élèves et aussi dans la grande diversité des personnes que je rencontre : des moniteurs de sport, des sous-officiers, des hauts gradés, des Prix Nobel… »
Pour Haïm Korsia, la notion de don est très forte à l’École. « J’ai rencontré ça – et ça m’a beaucoup touché – chez Caroline Aigle (94)1, cette volonté de vivre mais aussi d’être prête à mourir.
Pour reprendre la devise de Spiderman, “un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”. L’X est la meilleure école, et ses membres ont une grande responsabilité d’exemplarité et d’engagement. Ce n’est pas anodin que les élèves de l’X défilent en premier le 14 Juillet sur les Champs-Élysées. »
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1. Le dernier envol de l’aigle. Hommage rendu au commandant Caroline Aigle (94)
4 Commentaires
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Légende de la photo
Le prédécesseur direct du Père Nicolas est le Père Miguel Roland Gosselin, et j’ai l’impression que c’est lui et non le Père Lang sur la photo du baby foot.
Merci beaucoup de nous avoir
Merci beaucoup de nous avoir signalé cette erreur, aussitôt corrigée.
bizarrre, bizarre
Bizarre, cet article qui semble assimiler laïcité et offre plurielle de religions. En fait, selon la définition du Petit Robert, la laïcité est « le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’Etat n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Eglises aucun pouvoir politique. « La laïcité, c’est-à-dire l’Etat neutre entre les religions » (Renan) ». Il est bon de rappeler de temps en temps les fondamentaux.
laicité
La laïcité en France repose sur 3 piliers : l’État est sécularisé, la liberté de croyance et de culte est garantie, et les croyances sont égales entre elles.
Pour reprendre wikipédia qui reprend Baudelot : « chacun insiste davantage sur l’un ou sur l’autre de ces trois aspects : le laïciste sur la sécularisation, le croyant, sur la liberté de conscience, et enfin celui qui adhère à des croyances minoritaires sur l’égalité entre toutes les croyances ».
Il me semble que l’article ne contredit pas ces principes, même si on peut débattre de la focalisation plus ou moins forte sur tel ou tel.