Concert des Proms
Quel programme, quel magnifique concert. C’est le chef suractif Valery Gergiev qui dirige ce soir-là de 2016 le concert des Proms au Royal Albert Hall de Londres.
Dans cette salle gigantesque, toujours parfaitement décorée et éclairée quand on y joue de la musique classique, le programme choisi est remarquablement adapté à une réalisation filmée.
Écouter le Boléro de Ravel ou le voir jouer ne sont pas du tout la même expérience. Cela m’a toujours frappé en concert et à nouveau en regardant ce DVD. La même mélodie, constituée d’un couple de thèmes, répétée inlassablement dix-neuf fois, même avec la variété des timbres et un crescendo bien mis en place, peut paraître rébarbative.
Mais en le voyant interprété, bien placé dans la salle de concert, ou comme ici sur un DVD (préférez le Blu-ray, la haute définition apporte beaucoup), en voyant les instruments se succéder, on est enchanté par l’imagination et la subtilité de l’orchestration de Ravel.
Sur le rythme donné par la caisse claire et les pizzicati de cordes, les vents d’abord (y compris les saxophones), puis les cordes pendant le dernier tiers nous répètent bien le même thème, mais cela n’a plus rien d’ennuyeux et de lassant. On se plaît au contraire à admirer la progression de timbre que nous propose Ravel, on s’amuse à imaginer quel va être le prochain instrument à entonner le thème, on est constamment interpellé et d’une attention constante.
L’interprétation de Gergiev, par ailleurs, fait tout pour ne pas nous laisser de marbre et parvient, dans une œuvre aussi rabâchée, à créer des effets inédits, avec notamment un crescendo final impressionnant.
Et la qualité de l’enregistrement permet de profiter idéalement de la richesse des timbres.
Autre pilier du répertoire, le Troisième Concerto de Rachmaninov, l’Everest pour tout pianiste. Le jeune prodige ouzbek, Behzod Abduraimov, débute lentement, avec un toucher saisissant et prenant, puis c‘est un véritable feu d’artifice.
Ce pianiste sait être à la fois subtil, sensible et extrêmement virtuose, et offre une interprétation du « Rach 3 » de référence. Le bis, La Campanella de Liszt, était également mémorable dit-on, malheureusement absent du DVD.
En seconde partie de ce long concert, Gergiev joue tout d’abord la courte Troisième Symphonie de Galina Oustvolskaïa, longue plainte sur un thème unique, joué par un orchestre réduit (vents et contrebasses). Cette élève de Chostakovitch (1919−2006) est de plus en plus jouée en Occident.
Elle a développé un style très personnel, se distinguant de Chostakovitch, dès les années 50. L’œuvre jouée est sincèrement très intéressante.
Fin du concert avec la suite d’orchestre tirée du Chevalier à la rose. Une demi-heure de musique instrumentale tirée de l’opéra le plus célèbre de Richard Strauss, dont les fameuses valses anachroniques (les personnages mozartiens du XVIIIe siècle évoluent sur des thèmes de valses du XIXe siècle sur une musique du XXe siècle).
L’opéra intégral est indispensable, commenté dans ces colonnes en avril 2010, mais il dure trois heures, et cette version de la suite d’orchestre est une bonne introduction à la musique riche et luxuriante, imagée et illustrative de Strauss.
Tous les grands moments sont là, l’ouverture illustrant les ébats avant le lever du soleil sur le lit de la Maréchale et son chevalier Octavian, puis la présentation de la rose, le coup de foudre entre Octavian et Sophie, la pantalonnade de l’acte III, ponctués de la valse grotesque du burlesque Baron Ochs.
Gergiev adore Strauss et avait déjà joué deux années avant aux Proms dans la même salle, la suite d’orchestre de l’opéra La Femme sans ombre de Strauss, le DVD, tout aussi recommandé, existe également (chez CMajor). Un très beau concert !