David Fattal (98), danser, et faire danser les photons
Il est fidèle — non seulement en amitiés, à ses idées tout autant. Diablement sympathique et attachant ! Une joie de vivre toute juvénile transparaît dans son parler, d’une voix légèrement chantante, parsemé d’expressions américaines.
La physique comme vocation
Un premier angle d’approche est la vocation contrariée de son père. Il voulait être physicien. Comme il était juif, l’Université américaine de Beyrouth lui fut interdite. Il se lança dans des études de pharmacie, puis partit les poursuivre à Paris. Il y tomba amoureux de son professeur et l’épousa. David Fattal résolut donc, très jeune, de devenir physicien. Encore lycéen, il s’efforçait de lire la Mécanique quantique de Claude Cohen-Tannoudji (1973). Les maths acquises en prépa (à Louis-le-Grand) lui permirent d’enfin maîtriser cette lecture.
Que l’hologramme soit avec toi !
Un second angle ? Le tout premier film de la série des Star Wars, de George Lucas, sortit en 1977. David en retint surtout l’appel au secours de la Princesse Leia à Obi-Wan Kenobi, via un hologramme — la projection R2-D2 pour les initiés. Devenu physicien, il mit au point un ingénieux dispositif de production d’images en 3D sur un téléphone portable. La start-up qu’il fonda, à Silicon Valley, se dénomme d’ailleurs Leia. David Fattal, son PDG fondateur, se donna l’objectif de commercialiser les premières unités à temps pour Noël 2017. Elles le seront, en fait, un peu plus tard en 2018 seulement, par accord avec leur partenaire de lancement – la société RED de Jim Jannard (fondateur de Oakley) connue pour ses caméras haut de gamme.
Stanford plutôt que les Mines
Que fit-il de 1977 à 2017 ? Quatrième ou cinquième dans le classement de sa promotion, passant outre aux objurgations d’un ministre le fixant droit dans les yeux, il déclina l’admission dans le corps des Mines : il voulait être physicien. « J’étais à l’époque épris de mécanique quantique et impatient d’aller commencer mes études doctorales. Le département de physique de Stanford en particulier venait de recevoir le prix Nobel quatre années de suite (95 Martin L. Perl, 96 Douglas Osheroff, 97 Steven Chu, 98 Robert B. Laughlin) et je ne pouvais contenir mon désir d’aller rejoindre cet environnement. » Son projet fut vigoureusement soutenu par Jean-Louis Basdevant et Alain Aspect.
“Après l’X, je suis allé à Stanford faire une thèse en physique quantique”
« Après l’X, je suis allé à Stanford faire une thèse en physique quantique, travaillant sur le sujet bourgeonnant de l’ordinateur quantique. Le milieu était extrêmement stimulant, on était entouré de collègues brillants et motivés, avec pas mal de compétition en interne. » Puis il entra comme ingénieur chez Hewlett-Packard, où il travailla, entre autres, sur la physique des photons isolés et les interconnections optiques.
Fattal est constamment en ébullition cérébrale. Il fourmille d’idées, qu’il a soin de noter. L’une d’elles fut de produire des images en relief par un procédé de diffraction de lumière LED standard, qui s’affranchit des exigences rigoureuses de l’holographie traditionnelle mais reste en qualité bien supérieure aux techniques d’imagerie 3D classiques : « Ces systèmes très simples de lentilles ou de barrière de parallaxe (un écran, un masque noir avec des petits trous dedans) existent depuis plus de cent ans (Auguste Berthier, “Images stéréoscopiques de grand format”, revue Cosmos, en mai 1896). Notre système de rétroéclairage diffractif est une alternative toute nouvelle qui va nous permettre de créer des images très proches de vrais hologrammes sur n’importe quel écran – téléphones, ordinateurs, TV, voitures et même panneaux publicitaires ! »
David Fattal publia cette invention en mars 2013 dans l’hebdomadaire Nature, qui lui consacra sa couverture. Cela lui valut encore de recevoir la même année le prix du MIT pour les innovateurs de moins de 35 ans.
Apothéose de la danse
La physique et sa famille ne sont pas ses seules amours. Fattal éprouve aussi une passion pour la danse. Dans une autre existence, il aurait été danseur de ballet. Il a rencontré sa femme (sino-américaine) par la salsa. Il continue à en faire, à un niveau professionnel, une fois par semaine, à présent que sa start-up lui consume à peu près tout son temps et toute son énergie.
Il pourrait faire sien le credo de Molière dans Le Bourgeois gentilhomme : « Il n’y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse. Sans la danse, un homme ne saurait rien faire. Tous les malheurs des hommes, les travers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques et les manquements des grands capitaines, tout cela n’est venu que faute de savoir danser. »
Pour en savoir plus
Charles Santori, David Fattal et Yoshihisa Yamamoto, Single-photon Devices and Applications, Wiley-VCH, 2010.
« The ultimate guide to 3D technologies »
« The Dawning of Holographic Reality »
Article de Nature au format PDF
RETOUCHE
article mis à jour le 18 juin 2020
David Fattal (98), fondateur et PDG de la société Leia, a eu l’an dernier une grande satisfaction professionnelle. Son dispositif de visualisation tridimensionnel non holographique a été adopté par un équipementier automobile allemand Continental, de Babenhausen, dans la Hesse, qui le commercialise sous l’appellation 3D Lightfield Instrument Cluster. Cette percée augure d’une généralisation de tels dispositifs dans les voitures, préfigurant les véhicules autonomes de demain.