Les X, l’amour et la politique
Les X n’aimeraient pas la politique ? La politique n’aimerait pas les X ? Pour Hervé Mariton, X longuement passé par la politique, locale comme nationale, les choses ne sont pas si simples.
Après de nombreuses années dans la vie parlementaire, Hervé Mariton, toujours maire de Crest dans la Drôme, est actuellement ingénieur général des Mines au Conseil général de l’économie. Très engagé cette année pour le centenaire de Soljenitsyne, il poursuit une œuvre de publiciste. Entré en politique à l’UDF, il rejoint l’UMP en 2002 et se définit comme « libéral pragmatique ».
Armé de mon expérience de maire (à Crest, dans la Drôme), de député, d’élu régional ou de ministre, d’un engagement de plus de trente ans de vie politique et d’implication dans un parti (le Parti républicain, l’UDF, l’UMP, les Républicains), je proposerai ici d’examiner deux idées-forces : tout d’abord, les X n’aimeraient pas la politique ; ensuite, la politique n’aimerait pas les X. La vie étant plus complexe, tout cela n’interdit pas d’exprimer en politique un sentiment de bonheur et un sens de l’honneur – être heureux et utile. Avis !
Les X n’aimeraient pas la politique
Les X ne sont pas la catégorie de citoyens la plus évidemment destinée à s’engager en politique. D’abord, notre formation pour ce qu’elle est : la science, le doute, l’humilité, qui vont avec, ne destinent pas au mieux à l’affirmation publique. Valéry Giscard d’Estaing l’a dit… et a aussi manifestement pu surmonter ce handicap. La culture de la rationalité n’aide pas à saisir l’ampleur du champ de la psychologie. Beaucoup de mesures sont décidées au nom de l’impression qu’elles créeront ; celui qui les analyse en raison de leur nature aura du mal à dialoguer avec ses pairs, avec la presse et sans doute avec une grande part de l’opinion. Autrement dit, les équations ne résument pas la vie. Certains iront même jusqu’à refuser toute équation, et il en résultera des malheurs certains. On pourra alors regretter que la raison ne se fasse pas mieux entendre.
En général, nous comprenons vite. C’est le cas aussi de la plupart des politiques. Un ami me décrivait l’Assemblée nationale comme l’assemblée non pas des plus intelligents, mais des plus dégourdis. Mais les autres savent le cacher : nous marquons trop notre impatience. L’exercice politique exige de savoir « perdre son temps ». C’est d’ailleurs faux : le temps n’est pas donné en vain mais, oui, nous sommes rapides et même impatients.
Est bien sûr aussi en cause notre formation, pour ce qu’elle n’est pas. Nos matières sont moins immédiatement présentes dans le débat politique et médiatique que celles enseignées à Sciences-Po ou à l’ENA. C’est ainsi. La formation ascientifique des journalistes ne simplifie pas les choses. Au-delà des matières, il y a un rapport de force. Les écoles de commerce par exemple ont pris, dans la formation des élites, une place qu’elles n’avaient pas avant. À nous de ne pas déserter.
Notre lucidité nous fait aussi voir que les lieux de pouvoir, d’influence et d’action se sont déplacés. La décision politique détermine moins le destin de notre société, alors à quoi bon s’engager ?
Ajoutons, dans la vie publique, des rémunérations plutôt modestes. Et cette réalité s’est aggravée ces dix ou vingt dernières années. Les politiques n’osent pas demander une reconnaissance dont ils ont le sentiment que la société la mégoterait. Alors, désertion ou substitution… La vie politique n’y gagne pas !
Enfin, en politique plus qu’ailleurs, la roche Tarpéienne est proche du Capitole. Une carrière n’aura souvent rien de linéaire, ni de stratifié. C’est, selon, un risque matériel, psychologique, statutaire, existentiel.
“Il y a une tendance
à se méfier de l’intelligence supposée”
La politique n’aime pas les X
Évidemment, la politique n’est pas affaire de diplôme. Celui-ci est un trait parmi d’autres, qui peut distinguer ou enfermer. Plusieurs caractéristiques de notre pays se joignent : l’égalitarisme qui fait critiquer celui qui se distingue ; le relativisme qui n’apprécie pas la démonstration ; le scepticisme qui se méfie de la raison ; le lyrisme qui s’effraie des chiffres…
Le polytechnicien sera volontiers brocardé, non parce qu’il aura tort, mais parce que sa raison ne pourra pas être entendue. Il est gentil, on le laisse dire, et on laisse passer. Il sera enfermé, dans sa logique, dans des missions utiles, intéressantes, mais pas trop proches du vrai pouvoir (dans un parti, le projet plutôt que les élections ou les fédérations).
Il y a probablement, dans la vie politique française, une tendance à se méfier de l’intelligence supposée. On éliminera volontiers un argument au nom de son intelligence ! Curieux. Loin de moi l’idée antidémocratique d’un parti des gens intelligents, mais la politique française a pris trop d’aisance avec l’intelligence, la formation, la culture des électeurs.
À l’ingénieur, soit d’avancer masqué soit, en effet, de s’enfermer dans la case de l’esprit, utile peut-être mais pas dangereux.
J’ai ressenti cela lors de vœux auxquels un collègue député m’avait invité. Il me présenta : « Vous verrez, c’est passionnant, c’est construit et en plus Hervé Mariton a un grand avantage, il n’a pas d’ambition. » Quelle gifle d’impuissance ! Je décidai sitôt de le contredire et, quand les conditions se présentèrent, s’enclenchèrent ma candidature à la présidence de l’UMP, puis pour les primaires de la droite et du centre.
L’Assemblée nationale rassemble non pas les plus intelligents, mais les plus dégourdis.
Désamour ou engagement ?
La droite a vu s’éloigner de plus en plus les cadres, issus de la plus petite école comme de la plus grande. Clairement, en 2017, elle l’a payé.
La vie publique et sociale française n’aime pas les chiffres. Être ignorant en littérature ou en cinéma, c’est humiliant et disqualifiant. Être ignorant en sciences ne l’est pas et beaucoup même s’en glorifient. La République n’a jamais trop aimé ses savants, et elle n’aime pas les chiffres. Parce que les chiffres sont gênants (les équilibres budgétaires évanouis…) et que, de toute manière, on ne les comprendrait pas. La France est spécialement rebelle. Les polémiques sur le pouvoir d’achat, sur les effets du passage à l’euro sont particulières à notre pays. Je l’ai mis en évidence dans un rapport parlementaire en 2008 : Mesurer pour comprendre.
On ne s’arrêtera pas évidemment à ce désamour réciproque. La France a besoin d’hommes et de femmes qui s’engagent et les polytechniciens n’ont pas le droit (« Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire ») de ne pas se poser la question de leur engagement. Sans doute connaîtra-t-on à l’avenir davantage d’allers-retours entre la vie publique et la vie civile, des engagements plus tardifs, mais toujours cette extraordinaire combinaison du plaisir et de l’utilité, du bonheur et de l’honneur. Recevoir et servir. Notre pays et notre cité.