L’aviation régionale : un marché aux multiples facettes
Quelles sont les principales évolutions connues par les turbopropulseurs au coeur des dernières années ?
Les turbopropulseurs (les avions à hélices) sont parfois perçus comme des avions anciens. Néanmoins, d’un point de vue technique, il n’y a rien de plus efficace que les hélices pour propulser les avions notamment sur le plan du rendement énergétique. Sur les distances courtes ou régionales, où la vitesse n’est pas un critère majeur pour les compagnies, l’efficacité propulsive des hélices prend tout son sens. Comme nous l’avons vu ces dernières années, la volatilité du prix du carburant laisse présager un bel avenir aux avions à hélices. À la différence de ce qu’il se passait il y a encore quelques années, l’industrie ne doute plus du tout de la pertinence de cette technologie pour l’aviation régionale d’aujourd’hui et de demain. Au niveau des ATR, nous avons connu de nombreuses évolutions. Nos avions sont passés de 4 à 6 pales afin de réduire les émissions acoustiques et optimiser l’efficacité. Nous avons amélioré le confort des passagers en filtrant notamment les fréquences propres des hélices ce qui a eu pour conséquence de réduire la transmission structurale vibratoire et par voie de conséquence diminuer significativement le niveau acoustique interne. Lors de notre dernier « demo tour » aux États- Unis en 2016, les participants qui avaient encore en tête les versions précédentes de l’ATR ont été agréablement surpris par le chemin que nous avons parcouru au niveau du système propulsif et du confort passager. En parallèle, nous nous sommes aussi concentrés sur l’optimisation du cockpit : nous avons remplacé tous les voyants mécaniques par un glass cockpit équipé d’écrans numériques Thales dotés également d’une puissance de calcul. Nous avons aussi refait complètement l’avionique, qui a vocation à évoluer tous les 2 à 3 ans aussi bien pour garder une certaine avance technologique sur les fonctions de pilotage ou les outils d’aide à la navigation que pour des raisons de sécurité. À cela s’ajoute une solution innovante, le système ClearVision. Ce système est composé de lunettes en réalité augmentée que le pilote peut porter et qui lui permettent d’avoir en tête haute (Head up) toute la symbologie nécessaire pour le vol. Nous sommes précurseurs sur cette typologie de lunettes et sur les caméras associées, qui permettent des gains opérationnels de performance à l’atterrissage et le décollage, dans des situations avec une visibilité limitée. Cette prouesse technologique (connu sous le nom de EVS – Enhance Vision System) est rendue possible par l’ajout de caméras large bande sur le nez de l’avion et répliqué dans la vision tête haute des lunettes portées par le commandant de bord (vision répliquée en tête basse pour le copilote). Les hélices ouvrent, en effet, de très belles perspectives, notamment sur le volet économique et environnemental. L’ATR reste un moyen de désenclavement et d’ouverture de nouvelles routes grâce à son coût opérationnel moindre et la faible prise de risque associé. Chaque année nous ouvrons une moyenne de 100 nouvelles routes. Sans oublier, que l’ATR est un avion à très faible coût opérationnel. Je décris, d’ailleurs, souvent l’ATR comme le couteau suisse de l’aviation.
Plus particulièrement, qu’en est-il des nouvelles versions en cours de développement ? Quelles sont leurs spécificités ?
La politique d’ATR est de faire évoluer le produit de manière incrémentale afin de rester en phase avec le marché et les besoins de nos clients. Sur le marché de l’aviation régional, il est essentiel de développer une véritable proximité avec nos clients. Récemment, nous avons signé un contrat avec FedEx afin de pouvoir leur proposer une nouvelle version cargo (freighter) de l’ATR 72–600. Ce nouvel appareil, l’ATR 72–600F entrera en service en 2020. Ce n’est pas un dérivé, mais une nouvelle version qui a été développée autour de nouveaux standards de configuration. Par exemple, nous allons retirer les hublots et les portes d’évacuation, changer la porte avant gauche et changer l’ouverture de la porte arrière gauche vers le haut pourfaciliter le chargement. Nous allons aussi améliorer la protection contre la corrosion. Avec l’avènement du e‑commerce, nous nous attendons à une très forte demande pour cette nouvelle génération de cargo ATR. Toujours dans l’optique de coller aux attentes du marché, nous sommes aussi mobilisés sur l’optimisation des performances de l’ATR 42, qui actuellement a la capacité de décoller sur des pistes de 1100 m. L’idée est de réduire cette distance aux environs de 800 à 850 m, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives commerciales sur le marché des avions de 30 à 50 places. La version de l’ATR 42 à décollage court sur laquelle nous travaillons couvrirait 85 % des besoin des opérateurs sur ce secteur et représente la seule alternative de remplacement des avions de ce segment qui ne sont plus produits dans leur totalité. Nous avons également organisé un workshop avec des clients potentiels. Nous avons eu une forte adhésion et nous sommes en train de finaliser ce travail en amont pour pouvoir lancer officiellement le projet très prochainement.
Quelle est votre vision du moteur hybride dont nous entendons de plus en plus parler ?
Je commencerai par dire qu’il ne faut pas forcément croire tout ce qui se dit autour du moteur hybride. En effet, beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le tout électrique. Si cela pourrait être possible pour de très petits avions pour l’aviation régionale, le marché sur lequel nous sommes positionnés, ce n’est pas quelque chose de réalisable sur le court ou moyen termes. Dans ce contexte, nous explorons différentes possibilités d’hybridation pour lequel il existe plusieurs architectures possibles : une turbine à gaz qui alimente un moteur électrique à travers un générateur et l’utilisation de batteries (architecture parallèle) ou encore avec de l’hydrogène comme carburant qui a un pouvoir énergétique trois fois plus important que le kérosène … L’électrification et l’hybridation devraient se développer en premier dans les segments des avions à plus petite capacité. À notre niveau, celui des avions régionaux, nous regardons comment avancer sur le sujet en collaborant notamment avec Airbus et Leonardo, nos actionnaires, afin d’inclure l’ATR dans leur road map. Nous essayons d’avoir une vision technique et pragmatique avant tout, afin d’accompagner et de contribuer à cette évolution majeure.
Comment voyez-vous le marché de l’aviation régionale évoluer au cours des prochaines années ? Quelles seront les principales tendances ?
Sur le marché régional, nous sommes leader avec 75 % de parts de marché des avions turbopropulseurs. Notre ambition est de conserver ce leadership. Nous estimons que sur les vingt prochaines années, nous allons avoir un marché de 3 000 turbopropulseurs, avec notamment une forte demande venant du marché asiatique, qui continuera à proposer de grandes opportunités pour la création de routes. Nous travaillons aussi sur l’amélioration des performances, autant sur un plan industriel que des activités de maintenance, dans le but de pouvoir proposer des coûts encore plus optimisés.