L’homme oublié du canal de Panama, Adolphe Godin de Lépinay
Bernard Meunier
CNRS Éditions, 2018
Après un début un peu long, le lecteur rentre dans le sujet, qui mérite intérêt à plusieurs titres. D’abord il s’agit d’une carrière de polytechnicien (promo 1840) qui sort de l’ordinaire. Il n’était pas donné à tous les ingénieurs de l’époque de partir construire des voies de chemin de fer en Algérie, en Savoie (tout juste annexée) et surtout au Mexique, où les aventures du Second Empire se terminèrent comme on sait ! Mais toutes ces expériences furent essentielles dans le conflit qui l’opposera plus tard à Ferdinand de Lesseps à propos de la nature du canal de Panama : canal au niveau de la mer comme le proposait F. de Lesseps, fort de sa réussite à Suez, ou canal à écluses comme il le proposait lui. Ensuite le livre apporte une description intéressante de ce que fut l’industrialisation de la France dans la deuxième moitié du xixe siècle : entre 1850 et 1875, le réseau ferré de notre pays passe de 3 000 à 25 000 kilomètres, au point que de bons esprits envisagent la disparition des routes ! Les techniques agricoles se modernisent, les techniques financières aussi. Mais le point le plus intéressant de ce livre, qui se veut travail de réhabilitation d’un homme, est la description des relations entre les mondes des ingénieurs, des politiques et des financiers. Les ingénieurs se battent pour la reconnaissance du réel : Panama n’est pas Suez, la pluviométrie est extrême, transformant les torrents en fleuves et favorisant les éboulements ; les maladies tropicales sont terrifiantes. Il y a les politiques, marqués par la défaite de 1870 et à la recherche de projets grandioses qui restaureraient notre grandeur. Il y a enfin les financiers, intéressés par un projet séduisant, mais assez fins pour se dégager à temps quand l’affaire risque de tourner mal.
Adolphe Godin de Lépinay mourra en janvier 1889. La Compagnie du canal de Panama sera déclarée en faillite en février. Ferdinand de Lesseps et son fils seront condamnés à cinq ans de prison. Des millions d’épargnants perdront 1,4 milliard de francs. Repris par les Américains dans sa version « à écluses », le canal de Panama sera inauguré le 15 août 1914. La France aura alors d’autres préoccupations…
Gérard Fuchs (58) – CNRS Éditions, 15, rue Malebranche, 75005 Paris. www.cnrseditions.fr – Ouvrage publié en collaboration avec l’Académie des sciences.