L’emploi comme un droit Le projet Territoires zéro chômeur de longue durée
On compte en France 3 millions de chômeurs de longue durée qui ont tous des savoir-faire et des compétences. Parallèlement, de nombreux postes sont à pourvoir ou à créer et le coût social du chômage est très lourd. Pour y remédier, l’association Territoires zéro chômeur de longue durée expérimente une approche permettant de mettre en synergie ces éléments.
Le projet national Territoires zéro chômeur de longue durée est le fruit de l’expérience et de l’engagement de Patrick Valentin. D’abord entrepreneur à Angers, il se lance dès les années 70 dans l’économie sociale, créant des structures d’aide par le travail, des foyers d’hébergement, des services d’aide à domicile, etc. Devenu responsable des initiatives de retour à l’emploi chez ATD Quart Monde en 2012, il lance pendant quatre ans une première expérimentation qui convainc Laurent Grandguillaume, député de la Côte‑d’Or, de faire voter, en 2016, par l’Assemblée et le Sénat une loi officialisant le lancement d’une expérimentation sur dix territoires.
Sortir du chômage longue durée
L’objectif de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) est de résorber le chômage de longue durée. Au lieu de chercher des emplois introuvables, on commence par les créer et la tâche donnée à ceux qui en bénéficient sera de créer leur emploi. Sur les dix territoires retenus pour l’expérimentation, les chômeurs ont été recrutés par des entreprises à but d’emploi (EBE), à chacune desquelles correspondant un comité local pour l’emploi (CLE) qui, rassemblant tous les partenaires du territoire (collectivités locales, administrations, entreprises, syndicats, associations…), assistent et encadrent l’EBE. Le comité veille notamment à ce que les emplois créés n’entrent pas en concurrence avec des emplois existants.
Les trois piliers du projet
Les promoteurs fondent leur projet sur trois convictions. Tout d’abord, personne n’est inemployable. Les 3 millions de chômeurs longue durée ont des compétences et une expérience à valoriser. Deuxièmement, ce n’est pas le travail qui manque. Il existe beaucoup de besoins non satisfaits et une quantité de travaux utiles auxquels correspondent des emplois qui ne concurrencent ni ceux du secteur public, ni ceux du secteur marchand. Enfin, ce n’est pas l’argent qui manque. Le coût du chômage longue durée s’élève chaque année à 43 milliards d’euros pour l’État et les collectivités locales. Ce montant comprend les dépenses sociales liées à la perte d’emploi et au chômage, les coûts annexes (conséquences sur la santé, sur la famille…) et aussi d’importants manques à gagner en termes d’impôts et de cotisations sociales. Dans la mesure où ils permettent d’économiser ce coût de la privation d’emploi, les promoteurs de l’action ont obtenu qu’une somme correspondante soit mise au crédit de l’opération. Ainsi, un décret de juillet 2016 crée le fonds d’expérimentation dont les missions sont de gérer les crédits récupérés sur les dépenses de prise en charge des chômeurs qui ont trouvé un emploi dans le cadre de l’expérimentation et aussi d’évaluer en continu l’expérimentation. La présidence de ce fonds est confiée à Louis Gallois 1. L’association anime le dispositif et fournit les informations nécessaires à l’évaluation conduite par le fonds d’expérimentation.
L’exemple d’Emerjean, l’EBE de Villeurbanne
L’expérimentation lancée en 2016 par un vote du Parlement désigne dix territoires, dont celui du quartier Saint-Jean à Villeurbanne. La création d’Emerjean s’est déroulée en 3 phases. D’abord la fabrique du consensus afin de réaliser une coalition d’acteurs : élus locaux, entreprises, syndicats, associations, bailleurs sociaux… qui sont regroupés dans le comité local pour l’emploi (CLE). Ce comité assure une gouvernance partenariale de l’opération en s’appuyant sur une association, Le Booster de Saint-Jean, qui a été créée pour l’assister dans la mise en œuvre des phases suivantes. Puis ont lieu la rencontre et le recrutement des chômeurs du quartier Saint-Jean qui sont privés d’emploi depuis plus d’un an. S’agissant de les transformer en salariés, leur entretien d’embauche a porté sur leurs compétences et sur leur envie de travailler. Enfin vient le recensement des travaux utiles et des besoins non satisfaits dans lequel se sont impliqués sur le terrain les membres du CLE.
Une entreprise solidaire d’utilité sociale
Emerjean a été créée en mars 2017 avec un statut de SAS (société par actions simplifiée). Comme elle est agréée comme entreprise solidaire d’utilité sociale, elle peut collecter de l’épargne solidaire. Elle emploie, en CDI et à temps choisi, 80 salariés dont 70 % de femmes, 12 jeunes de moins de 26 ans et 12 seniors de plus de
55 ans. Les activités ont été dénichées dans les interstices du marché local de l’emploi. Il s’agit d’activités pour les habitants : services à la personne, soutien scolaire, bricolage, entretien et réparation, jardinage, retouche couture, coiffure, onglerie… On trouve aussi des activités pour les PME-TPE qui représentent un gros volume. Il s’agit de prestations qui leur sont rendues en dehors de leur métier : manutention, administration bureautique, nettoyage des locaux… Des activités liées à la transition écologique ont aussi été créées : compost, recyclage des déchets, etc., en tout une vingtaine d’activités pour le choix desquelles le comité local pour l’emploi a veillé à ce qu’Emerjean n’entre pas en concurrence avec des activités existantes. Tous les salariés d’Emerjean suivent un stage de deux jours sur les thèmes de la communication et de la bienveillance. Chaque lundi matin, une réunion des salariés a pour but de programmer et de répartir les travaux. Il y a trois cadres pour 80 salariés qui se répartissent en petites équipes de 6 à 8 personnes. Le fait de les avoir recrutés en amont de l’activité permet de les responsabiliser.
Les trois organismes qui structurent l’opération sont :
• Le comité local pour l’emploi (CLE) qui assure une animation continue du projet sur le territoire où il est mis en œuvre. Il assure l’entretien du consensus local et la régulation du fonctionnement de l’EBE : non-concurrence, gestion de l’entrée des chômeurs dans le dispositif, organisation de coopérations…
• L’entreprise à but d’emploi (EBE) qui assure l’accueil des nouveaux salariés, leur formation, la mise en place d’une politique des ressources humaines bienveillante, la prospection et le développement de nouvelles activités.
• Le fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée (ETCLD) qui accompagne les CLE et les EBE dans l’apprentissage de la production d’emplois tout en veillant qu’ils n’entrent pas en concurrence avec les emplois existants.
Premier bilan
Ce bilan a été publié en octobre 2018 par le fonds d’expérimentation et ne prend en compte qu’une année de fonctionnement opérationnel pour la plupart des EBE. Le bilan donne une description des opérations que nous avons classées selon les trois convictions sur lesquelles est fondé le projet.
Personne n’est inemployable
Il s’agit d’atteindre l’exhaustivité, à savoir un recrutement local sans sélection de toutes les personnes privées durablement d’emploi (PPDE) pour les amener dans un emploi adapté, de qualité et à temps choisi. En juillet 2018, 600 personnes ont été recrutées par les EBE. Reçues individuellement, on a débattu avec elles sur trois questions : que savez-vous faire ? Que désirez-vous faire ? Qu’acceptez-vous d’apprendre ? Ne pouvant recruter tous les candidats rapidement, il a fallu gérer et animer dans la durée les groupes de futurs salariés. On a diffusé la culture du projet au plus grand nombre afin de faciliter leur intégration dans les EBE quand ils seraient recrutés. Le travail d’animation de ces groupes de personnes volontaires est devenu primordial. La mobilisation des chômeurs de longue durée par les comités locaux n’a pas abouti seulement à leur embauche au sein des EBE. Nombre d’entre eux, impliqués dans le projet, ont trouvé un emploi en dehors des EBE.
“Nombre d’entre eux ont trouvé un emploi en dehors des EBE”
Ce n’est pas le travail qui manque
Sous le contrôle des comités locaux, les EBE ont recherché des emplois « supplémentaires » dont la prospection implique une mobilisation et un consensus local. Il s’agit d’emplois dont se passe sans dommage l’économie lucrative, mais qui présentent une véritable valeur pour la société. Leur choix est soumis à deux conditions : ils doivent correspondre à une activité non concurrentielle qui, soit n’existe pas sur le territoire, soit existe mais une partie de la population n’y a pas accès pour des raisons économiques, soit existe mais la capacité du secteur marchand ou non marchand à répondre à la demande est insuffisante. L’exercice doit aussi en être principalement territorial. Dans leur ensemble, les EBE des dix territoires expérimentaux participent à la mise en œuvre des politiques publiques de développement local par des travaux utiles parce que contribuant au développement du tissu économique local, à la cohésion sociale, à la lutte contre l’exclusion et à la transition écologique.
Des exemples
• Une EBE dans un territoire rural est sollicitée pour des activités dans les espaces verts et des services à la personne. Le CLE rencontre les entrepreneurs et organisations du territoire intervenant dans ces domaines pour établir un diagnostic concurrentiel.
• La même EBE est sollicitée par des artisans qui recherchent des renforts ponctuels.
Le CLE décide qu’elle peut intervenir pour des prestations qui
ne dépassent pas une demi-journée avec une facturation aux prix du marché.
• Emerjean, l’EBE de Villeurbanne, est sollicitée par une entreprise locale qui devait remplacer dans un délai très court les vélos en libre-service de la Métropole de Lyon. Emerjean était seule en mesure de mobiliser un nombre important de salariés pendant un temps très court et le critère territorial a été retenu par le comité local du fait que l’entreprise cliente résidait sur le quartier Saint-Jean.
Ce n’est pas l’argent qui manque
Le coût moyen annuel d’un salarié EBE à plein temps est évalué à 26 000 euros, ce coût incluant celui du capital nécessaire à la création de l’EBE et les rémunérations de l’équipe de direction. Par emploi à temps plein, la contribution du fonds d’expérimentation se montant à 18 000 euros et le chiffre d’affaires moyen d’une EBE rapportant 3 000 euros, il restait à trouver 5000 euros. Il a été trouvé avec des subventions des collectivités locales et du ministère du Travail et avec du mécénat… en attendant une progression attendue du chiffre d’affaires des EBE.
Ressources
« Expérimentation visant à résorber le chômage de longue durée – Bilan intermédiaire 2018 »
Site internet du projet www.tzcld.fr
Conférence de Louis Gallois du 29 janvier 2019 à l’École normale supérieure de Lyon
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1. Ancien président de la SNCF, puis d’Airbus, Louis Gallois, qui est actuellement président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, préside également la Fédération nationale des acteurs de la solidarité (anciennement la FNARS).