À la Mémoire de Misha
Notre association avait relayé l’appel à venir en aide à Mikhael Krotov (2002), atteint d’une maladie rare. Malgré une mobilisation exemplaire, la course contre la montre engagée pour sauver notre camarade n’aura pas suffi. Misha est décédé le 6 mai dernier. Ses amis lui rendent ici hommage.
Mikhael Krotov, Misha pour certains, c’était un camarade de la 2002, un étudiant, un professionnel brillant aussi ; quelqu’un dont on se souvient.
Un parcours cosmopolite
Il était né à Moscou d’une mère aux racines ukrainiennes, et d’un père d’origine éthiopienne, puis élevé par son beau-père savoyard. Mikhael avait un style bien à lui : un sourire poli, attentif et nonchalant, un français soigné. Longiligne – il pratiquait la danse en compétition – et plein d’humour.
Arrivé en France à l’adolescence, il avait commencé ses études à Chambéry, avant d’être reçu à l’X deux fois, d’abord par le concours étranger, puis en tant que Français quand il obtint la nationalité !
La même détermination tranquille l’avait conduit au MIT, où il était l’un des rares à faire des « vraies » mathématiques, avec papier et crayon. Puis, Mikhael avait fait du financement de projets chez Ernst & Young à Paris, avant de rejoindre Alstom, devenu GE Energy. Bien que gros bosseur, il en savait trop sur la vie pour se laisser déborder par l’ambition. Ce détachement du matériel lui permettait une fidélité sans pareille pour sa famille et ses amis.
La maladie
À l’âge de 12 ans, les médecins russes lui avaient diagnostiqué une maladie de la moelle osseuse qui l’emporterait probablement jeune. Le diagnostic était incertain et, malgré ce sinistre augure, les années s’écoulaient normalement. Un douloureux rappel intervint en 2007, lorsque sa mère mourut du même mal. Plus tard un diagnostic précis fut posé, celui de la dyskératose congénitale, une maladie génétique rare, qui conduit au vieillissement accéléré et à la défaillance subite d’organes vitaux.
Cette maladie, Mikhael n’en parlait pas. Ses amis proches avaient connaissance d’un vague problème génétique, suffisamment sévère pour qu’il se refuse à avoir des enfants, mais qui le laissait vivre normalement.
La vie s’éclaire
Un jour il quitta sa réserve. Il avait retrouvé un amour de jeunesse, Iryna. Ukrainienne, il l’avait rencontrée à l’X en 2004 alors qu’elle y fréquentait aussi le club de danse. Treize ans plus tard, Iryna vivait en Norvège, mère de deux enfants d’un premier mariage. Elle sut rapidement tout de la maladie de Misha. Mais ils décidèrent de braver la fortune ; Mikhael quitta sa vie de célibataire parisien pour devenir beau-père de deux petits Norvégiens pour lesquels il se mit rapidement à apprendre leur langue en å et en ø. En 2019 ils se mariaient en Bourgogne, puis naissait la petite Freja Alexandra, qui ne porte pas les gènes de la maladie. Cette vie de famille fut un miracle inespéré pour Mikhael.
Rattrapé par la maladie
Mais cette belle histoire prit rapidement une tournure tragique. La petite Freja Alexandra à peine née survinrent les premiers problèmes de santé de Mikhael. Ses poumons étaient atteints, et très vite le diagnostic des médecins fut sans appel. Il ne lui restait plus que quelques mois à vivre, peut-être un an. Les spécialistes divergeaient : des médecins aux États-Unis avaient soigné des patients comme lui, grâce à une greffe des poumons et de la moelle osseuse d’un même donneur, au prix d’un compromis sur la compatibilité de la moelle. Un pari iconoclaste, auquel les médecins européens consultés étaient farouchement opposés.
L’espoir viendrait d’Amérique
En 2020 la piste américaine semblait inaccessible. Mais Mikhael et Iryna contactèrent l’équipe médicale basée à Pittsburgh. L’équipe répondit présente et, après examen à distance, confirma en février 2021 qu’il était médicalement admis à l’hôpital de Pittsburgh pour réaliser ce traitement innovant.
Cette admission était une lueur d’espoir inattendue ! Mais les obstacles paraissaient insurmontables. D’abord financier : la double greffe coûterait un million de dollars, sans compter les frais annexes. Logistique : Mikhael n’était pas en état de résister aux variations de pression d’un vol commercial transatlantique, et les frontières étaient fermées du fait de la Covid-19. Familial : là-bas, Mikhael aurait besoin d’Iryna, peut-être pendant de très longs mois, mais était-il raisonnable d’emmener toute la famille, dont des enfants en bas âge ?
Mais il fallait essayer ! Sa famille et ses amis se rangèrent en ordre de bataille pour lever les obstacles un à un. Le 9 mars ils lançaient une campagne de solidarité internationale, et en quelques semaines récoltaient le million de dollars nécessaire. Le 16 mars Mikhael obtenait son visa et une autorisation d’entrée qui lui permettait d’échapper aux restrictions imposées par la pandémie. Le 23 mars il s’envolait avec Iryna et Freja Alexandra dans un petit avion ambulance, qui en quatre étapes l’amenait à Pittsburgh.
À Pittsburgh la communauté locale, notamment française, lui réservait un accueil splendide. On leur prêtait un appartement, on leur trouvait des solutions de garde pour les enfants et un soutien médical pour Mikhael… Le 6 avril, après la quarantaine, Mikhael commençait la longue série d’examens afin de confirmer sa capacité à subir la double greffe. À la clé, l’inscription sur la liste d’attente des greffes de poumons, une complexe loterie médicale.
Un miracle de solidarité
Ce qui se produisit, entre février et avril, fut un miracle de solidarité, qui prit de court Mikhael et ses proches. Non seulement ses amis étaient prêts à tout pour le sauver, mais ils étaient aussi capables de convaincre leurs propres amis de mettre leurs occupations entre parenthèses un moment pour soutenir, à leur façon, Mikhael.
Au sein de cet élan, la communauté des anciens de Polytechnique joua un rôle essentiel. Les anciens, dans leur ensemble, contribuèrent généreusement à l’effort financier, et certains mirent leur sens de l’organisation et leurs réseaux à l’œuvre pour lever certains des plus gros obstacles pratiques et logistiques. Nous remercions chaleureusement toute cette communauté fantastique pour son immense soutien.
Malheureusement, même les meilleures équipes ne gagnent pas toujours. Dans ce contre-la-montre, Mikhael se battit jusqu’au dernier jour, mais la maladie le prit de vitesse. Le 5 mai 2021, au terme d’un mois d’examens intensifs, son inscription sur la liste d’attente des greffes lui était confirmée. Le 6 mai les forces lui manquaient et, placé sous respirateur en coma artificiel, il décédait quelques heures après, entouré de sa famille.
Mikhael mourut en paix ; malgré son courage extraordinaire, il savait que la bataille était inégale, et s’y était préparé.
Dans la tristesse de cette perte, nous adressons toutes nos pensées d’affection à Iryna et à ses 3 enfants. Nous nous souviendrons de Mikhael, ami cher. Comme disait Brassens :
« Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l’eau n’se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore »
Les amis de Misha