À la recherche de vaccins universels
Alors que l’apparition de variants multiples du Sars-CoV‑2 remet régulièrement en question l’efficacité des premiers vaccins développés, Alexandre Le Vert et sa société Osivax se sont lancés dans la recherche d’un vaccin universel contre tous les variants du virus.
Alexandre, quel a été ton parcours avant d’arriver à cette quête du graal vaccinatoire ?
J’ai toujours été passionné par la biologie. À l’X, il y avait un département et deux laboratoires qui lui étaient dédiés. J’ai donc fait essentiellement de la biologie à l’École. Puis j’ai débuté une thèse de neurobiologie cellulaire à Harvard. Mais, en fait, j’étais autant attiré par l’entrepreneuriat. Et donc j’ai commencé ma carrière par cinq années dans un big pharma, où je me suis occupé de commercialisation de vaccins, puis j’ai rejoint le BCG pendant deux ans. Il y a dix ans, j’ai eu l’occasion de rejoindre un entrepreneur dynamique en biotech, qui avait une société plus ou moins en déshérence, et il me l’a confiée pour la relancer. Pendant six ans, j’ai travaillé à développer un vaccin universel contre la grippe et ma start-up actuelle Osivax est un spin-off de ces travaux. Nous sommes en plein essor, avec aujourd’hui 25 personnes, contre 12 l’an dernier… ce qui n’est pas négligeable pour une biotech.
Quels sont les atouts des vaccins universels développés par Osivax ?
Les vaccins classiques contre la grippe ou contre la Covid-19 ciblent la périphérie du virus, en l’occurrence la fameuse protéine S pour la Covid-19. Du coup, l’efficacité de ces vaccins est susceptible de diminuer en cas d’apparition de mutants. Cela arrive tous les ans dans la grippe et c’est la raison pour laquelle il faut se refaire vacciner tous les ans (sans parler des années où les vaccins ne sont pas très efficaces). Les vaccins que nous développons n’utilisent pas comme antigène cette protéine de surface, très exposée aux mutations, comme tous les vaccins actuels. Dans la grippe comme dans la Covid-19, nos vaccins ciblent une protéine interne au virus, qui est beaucoup plus stable. Le vaccin est ainsi moins sensible aux mutations du virus.
Grâce à notre mécanisme d’action, on évite aussi le risque que le vaccin contribue à « sélectionner » des variants et à favoriser l’échappement immunitaire du virus. Mais c’est aussi plus difficile à réaliser. Il y a de nombreuses solutions différentes. Notre vaccin cible la réponse immunitaire appelée T, contrairement aux vaccins actuels qui utilisent la réponse B (anticorps), ce qui modifie la pression de sélection. Et nous nous basons sur plus de huit ans de recherche dans le domaine de la grippe, ce qui nous donne un temps d’avance par rapport à nos concurrents.
Où en êtes-vous concrètement ?
Le vaccin OVX033 spécifique contre la Covid-19 a été mis au point en utilisant notre technologie oligoDOM®, que nous avions créée notamment dans le développement d’un vaccin universel contre la grippe saisonnière ou pandémique. Il fait intervenir une protéine recombinante, chimérique, avec l’association de cette base oligoDOM et une cible immunitaire propre à la Covid-19. Ce vaccin bénéficie donc de tout ce qu’on a appris avec les travaux de recherche effectués depuis sept ou huit ans, ce qui nous a permis de sélectionner le meilleur candidat-vaccin. Nous sommes entrés en phase d’essai pré-clinique (essais sur l’animal).
En ce qui concerne notre vaccin universel contre la grippe, nous sommes en test chez l’homme depuis deux ans et demi. Nous venons de terminer une étude clinique de phase 2, avec à peu près 400 patients qui ont été recrutés dans nos essais cliniques.
N’y a‑t-il pas un risque à arriver après la bataille, quand on voit l’afflux actuel de vaccins (Pfizer, AstraZeneca, Spoutnik, etc.) ?
Non, car nous pensons que ce virus va devenir un virus saisonnier, comme celui de la grippe, avec des mutations régulières. Du coup, nous pensons que la bataille va se poursuivre pendant de nombreuses années encore. Il sera alors intéressant d’avoir un vaccin universel, moins sensible aux variants que le sont les vaccins actuellement distribués, très ciblés. C’est une solution de long terme.
Les médias se sont émus du fait que la France semblait déclassée dans la course récente aux vaccins. Qu’en penses-tu ?
Il est vrai que constater que la France est la seule grande nation (seul membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, en y ajoutant l’Allemagne) à ne pas avoir développé son propre vaccin peut interpeller. Je crois qu’on fait de l’innovation en se fondant sur des acquis construits sur le long terme, en créant et développant des écosystèmes sur dix ou quinze ans. Par exemple, nous développons notre vaccin Covid-19 universel en nous basant sur ce que nous avons appris en travaillant sur la grippe depuis huit ans, en étudiant les mécanismes d’action, etc., tout cela en faisant travailler des réseaux de partenaires au sein d’un écosystème dynamique. C’est là qu’il faut bien reconnaître que les États-Unis ont été exceptionnels ! Je constate d’ailleurs que, plus proches autour de nous, il y a par exemple en Belgique ou au Royaume-Uni de tels écosystèmes très performants. La France n’a visiblement pas été au rendez-vous… Pourtant, c’est bien en nourrissant ces écosystèmes qu’on se préparera à la prochaine pandémie. Heureusement je pense qu’il y a une prise de conscience et j’espère que cela va aboutir à des actions concrètes pour que la France reprenne sa place dans les grandes nations du vaccin.