À l’École, de jeunes camarades concernés et en attente de plus sur l’écologie
Le groupe X Urgence écologique a réalisé une enquête auprès des élèves de l’X en cours de scolarité pour mesurer leur sensibilité et leurs attentes dans le domaine de l’environnement. En ressort le constat de jeunes camarades informés, concernés et pour une partie d’entre eux engagés afin de répondre au défi écologique. Et aussi l’attente d’une évolution des cours dispensés par l’École dans ce domaine, dans une perspective moins strictement technique.
Cet article rend compte des résultats d’une enquête réalisée par des membres du groupe X Urgence écologique auprès des étudiants et étudiantes encore en scolarité sur le campus de l’École polytechnique. Celle-ci avait notamment pour objectif de recueillir l’expression de la sensibilité des élèves aux enjeux sociaux et environnementaux, de leur implication personnelle vis-à-vis de ces enjeux et de leurs attentes vis-à-vis de leur formation à l’X ou dans les écoles d’application.
Préalables méthodologiques
Cette enquête était adressée à l’ensemble de la communauté étudiante de l’X : Bachelors, Masters et élèves du cycle ingénieur, soit autour de 2 000 étudiants et étudiantes présents sur le campus en mai 2024. Elle a été diffusée par le binet NeXt – le binet de l’engagement écologique à l’X – sous deux formats : une version très détaillée, qui a permis de recueillir 64 questionnaires complétés, et une version plus courte qui a totalisé 76 réponses exploitables. Pour certaines questions, nous avons pu exploiter 140 réponses et pour d’autres, quand cela sera précisé, 64. Une majorité de réponses émane des élèves du cycle ingénieur, particulièrement des promotions X21 et X22, présentes sur le campus pendant la diffusion.
Le questionnaire ayant été transmis par les canaux de communication du binet NeXt, il est probable que les répondants soient parmi les plus sensibles à la question écologique. Cela étant, le volume et l’hétérogénéité des réponses indiquent que la problématique environnementale fait l’objet d’intérêts pluriels sur le campus de l’École. L’analyse que nous proposons ici n’a donc pas vocation à être représentative de la population étudiante, mais plutôt de donner un aperçu de ce que peuvent penser des élèves de l’X, en 2024, sur ces questions.
Des élèves globalement concernés par les crises environnementales
Parmi les personnes ayant répondu, on retrouve majoritairement des hommes (70 % des répondants) issus du cycle ingénieur polytechnicien (88 % des répondants sont issus des promotions X21 et 22). Lorsqu’on les interroge sur les sujets qui leur semblent les plus déterminants pour leur avenir, ces personnes citent en priorité les crises environnementales, à plus de 83 %, parmi les sujets suivants : « les inégalités sociales, la rupture numérique, le rôle de la science et des savoirs, les crises environnementales, la recrudescence des conflits, les changements dans les relations ou dans le rapport au travail, autre ». Viennent ensuite les inégalités sociales puis la recrudescence des conflits, citées par 63 % des répondants.
Sur ces sujets, les répondants se sentent bien voire très bien informés dans une grande majorité (plus de 90 % des répondants). Les ressources leur ayant donné accès à cette information sont plutôt personnelles (lectures, médias et amis). Lorsqu’on les interroge sur les enjeux et crises qui les préoccupent particulièrement, la réponse « dérèglement climatique, désertification et événements climatiques extrêmes » arrive largement en tête (86 %) ; les « risques géopolitiques liés aux pénuries de ressources » (49 %), « l’effondrement de la biodiversité » (44 %), la « pollution des terres, de l’eau et de l’air » (34 %) et « les risques de pénuries d’eau potable » (33 %) arrivent nettement derrière. Parmi les sujets qui ne préoccupent que peu les élèves, on trouve les risques liés à l’énergie nucléaire ou le bien-être animal. Au sujet de la biodiversité, on trouve une sensibilité moins importante, ce qui pourrait refléter le fait que cette question est moins valorisée médiatiquement.
Des émotions qui mobilisent
Questionnés sur la façon dont ils se sentent affectés par la crise écologique, les répondants évoquent massivement l’inquiétude, l’impuissance. Ces deux émotions dominent largement les autres, en étant sélectionnées par plus d’un tiers des répondants à chaque fois (cf. l’encadré sur le regard des psys de l’X). On retrouve ensuite de façon équivalente la colère, le scepticisme, mais aussi l’espoir. Après cette première question, les élèves étaient interrogés sur la façon dont les émotions les impactent dans leur action et leur développement personnel. 60 % déclarent que ces émotions, quelles qu’elles soient, n’impactent pas leur capacité à agir et aucun type d’action n’était suggéré. Loin de les paralyser, ces émotions sont dans le meilleur des cas une incitation à agir pour 48 % des répondants.
Des élèves engagés pour réduire leur empreinte personnelle
La suite du questionnaire portait sur les efforts individuels que les élèves étaient prêts à réaliser dans leur vie personnelle et professionnelle. Les répondants choisissent une grande diversité d’actions, allant du mode de vie (transports, alimentation, arrêter de prendre l’avion, diminuer les voyages) à des pratiques politiques (implication dans des mouvements, vote).
Les actions pour lutter contre les crises environnementales qui suscitent le plus d’adhésion concernent les modes de transport et l’alimentation, sur lesquels les répondants sont plus de la moitié à se mobiliser très régulièrement ou systématiquement. On note que, pour les modes de transport, plus de 70 % des répondants ont tendance à choisir des modes de transport moins émetteurs de gaz à effet de serre, systématiquement ou très régulièrement. Concernant l’avion, une majorité semble avoir décidé de réduire ou d’arrêter de le prendre (dans le graphique ci-contre, les modalités de réponse vertes totalisent 96 réponses, soit 60 % des répondants !).
Certaines actions plus radicales sont en revanche très largement rejetées : plus de 50 % des répondants n’envisagent pas de pratiquer la désobéissance civile ou de choisir de ne pas faire d’enfant.
Des choix professionnels plus incertains
Les répondants semblent plus incertains dans les efforts qu’ils envisagent dans leurs choix professionnels. Les pratiques qui rassemblent le soutien le plus important sont le choix de l’employeur ou de la filière pour limiter l’empreinte sur l’environnement. Dans l’explicitation de la question, l’exemple choisi était le fait d’éviter un groupe, une filière qui a une activité polluante. 60 % des répondants, soit environ 80 personnes, l’ont déjà fait ou souhaitent le faire. On remarque que certaines modalités causent plus d’incertitude chez les répondants, qui sont plus d’un tiers à répondre « pourquoi pas » au choix d’un travail en milieu associatif-coopératif ou de modalités d’exercice particulières (temps partiel, travail à distance, travail en indépendant…). Enfin, concernant les actions qui relèvent d’un futur plus proche, une majorité ne sait pas si elle fera le choix d’un job ou d’un stage engagé.
L’offre de cours actuelle sur les questions écologiques
Une partie du questionnaire portait sur la manière dont l’École polytechnique pourrait améliorer son offre de formation vis-à-vis des sujets écologiques. Cette partie ne concerne que les répondants qui ont choisi la version longue du questionnaire, soit 64 répondants. Aujourd’hui, les cours portant sur ces thématiques sont concentrés dans le parcours d’approfondissement (3A) intitulé « sciences pour les défis de l’environnement ». Il s’agit majoritairement de cours scientifiques – il existe quelques modules d’économie et un module d’urbanisme – et non de cours de sciences sociales et humanités ou de gouvernance par exemple.
L’X a fait le choix de ne pas s’aligner sur d’autres universités qui ont intégré ces approches disciplinaires dans leurs parcours académiques, comme l’École des mines de Paris. Dans cette école, le module obligatoire de première année sur la transition écologique se nomme « Terre et société » et commence par des approches sociopolitiques avant d’aller vers des questions techniques.
Une attente pour un cursus dédié, et des contenus plus systémiques
Lorsqu’on les interroge sur le type d’enseignement qu’ils aimeraient recevoir, les répondants se mobilisent fortement (45 %) pour la mise en place de cours qui soient moins techniques mais qui apportent d’autres types de réponse aux questions (coopération, gouvernance, sociologie du changement…), ainsi que pour la création d’un cursus dédié au sein du tronc commun. Il faut noter que, depuis cette enquête, un nouveau cours obligatoire en deuxième année sur la transition écologique a été créé.
Dans ce nouveau module, des séances sont prévues au sujet de la gouvernance des crises écologiques et certaines notions sont abordées en petite classe avec une approche tournée vers les sciences humaines et sociales. On trouve des cours intitulés : Inequality ou Governance & Organizations. Plus de la moitié des répondants souhaiteraient qu’il y eût des modules optionnels et 38 % des cours obligatoires sur les crises écologiques. Ces répondants, nous les avons interrogés sur leurs thématiques d’intérêt, parmi les propositions suivantes : énergie ; alimentation ; agriculture ; politiques publiques et planification écologique ; eau ; déchets ; biodiversité ; financement de la transition écologique ; coopération internationale sur le thème de la transition écologique ; risques ; économie circulaire et éco-conception. En tête des réponses sélectionnées, on trouve « politiques publiques et planification écologique », suivie par « énergie » et « biodiversité ».
Les options recueillant le moins de soutien sont : « déchets », « agriculture », « coopération internationale sur le thème de la transition écologique » et « risques ». Il y a une forte demande pour le volet « politiques publiques », que ce soit en module obligatoire ou en module optionnel. Cette approche des crises écologiques n’est jusqu’à présent pas autant investie par l’École polytechnique que les aspects techniques.
Une jeunesse informée et prête à agir
Cette enquête révèle donc une forte sensibilité des jeunes générations aux questions environnementales, en particulier au dérèglement climatique. Plus de 86 % citent ce sujet comme particulièrement déterminant pour leur avenir, soit 119 répondants. Une majorité des étudiants interrogés se sent bien informée sur ces questions et traduit cette conscience en actions, telles que la réduction de l’utilisation de l’avion ou des changements dans les habitudes de consommation.
“Une majorité des étudiants interrogés se sent bien informée sur ces questions et traduit cette conscience en actions.”
En revanche, des actions plus radicales, comme la désobéissance civile, sont moins répandues. Bien que les étudiants soient sensibles à des choix d’employeurs et de filières respectueux de l’environnement, ils restent indécis quant au fait de s’engager dans des organisations « alternatives » comme des coopératives. Surtout, ils expriment une demande claire pour que leur formation inclue davantage de contenus sur les thématiques liées à l’écologie, avec un intérêt marqué pour des contenus moins techniques. Cette enquête souligne ainsi une jeunesse informée et prête à agir, mais en quête de soutien institutionnel pour mieux structurer son engagement professionnel dans les transformations en cours et à venir. Espérons qu’elle sera entendue !
Références
- Notre maison brûle et nous regardons ailleurs : le sous-traitement médiatique
de la crise de biodiversité ? | CNRS Écologie et Environnement
https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/notre-maison-brule-et-nous-regardons-ailleurs-le-sous-traitement-mediatique-de-la-crise-de - Lancement du cours « Engineering Sustainability – s’ingénier pour durer », Communiqué de presse de l’École polytechnique https://www.polytechnique.edu/presse/communiques-et-dossiers-de-presse/lecole-polytechnique-lance-le-cours-engineering-sustainability-singenier-pour-durer-pilote-par
Les jeunes générations souffrent-elles d’éco-anxiété ?
Le regard de l’équipe des psychologues de l’X
L’éco-anxiété, bien que ne faisant pas l’objet d’un consensus médical, a néanmoins été définie par l’American Psychological Association comme la « peur chronique d’une catastrophe environ-nemen-t-ale ». Selon l’Inserm, il ne s’agirait nullement d’une maladie mentale, mais d’une anxiété qui serait en fait une réponse rationnelle et saine face à la gravité des problématiques environ-nementales.
Nous avons voulu savoir si l’état de la planète, préoccupation largement partagée sur le plateau, exposait nos jeunes camarades étudiants à une anxiété problématique. Pour cela, nous avons interrogé l’équipe des psychologues qui interviennent à l’École. Sans trahir aucunement le secret des entretiens conduits dans ce cadre, ces professionnels nous ont fait part de quelques observations.
L’éco-anxiété ne semble pas être un motif de consultation très fréquent. Rares sont les étudiants qui viennent consulter pour des troubles anxieux relatifs à leur perception du dérèglement climatique ou de la dégradation de l’environnement.
En revanche, ce thème semble constituer une préoccupation majeure fréquemment évoquée par les personnes qui s’adressent au centre de psychologie de l’X. Elle s’exprime de différentes façons. C’est d’abord évoqué en termes de responsabilité : nos jeunes camarades se sentent une responsabilité d’action, notamment sur le plan professionnel du fait de l’éducation de qualité qu’ils ont reçue. Autrement dit, ils questionnent la façon de mettre leur vie professionnelle à venir en accord avec, voire au service de l’environnement. Un certain nombre d’entre eux se disent notamment prêts à renoncer à des parcours habituels chez les X au profit de carrières engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique ou pour la préservation de notre environnement.
« Renoncer à des parcours habituels chez les X au profit de carrières engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique ou pour la préservation de notre environnement. »
Ensuite cette préoccupation s’exprime aussi par la décision que prennent certains de ne plus prendre l’avion, décision potentiellement impactante dans les choix professionnels à venir. Pour d’autres, c’est le choix d’adopter une ali-mentation essentiellement végétale. Enfin un certain nombre de jeunes camarades affirment d’ores et déjà ne pas vouloir d’enfant pour ne pas aggraver l’empreinte de l’humain sur l’environnement et / ou pour ne pas projeter des enfants dans un monde dont nous savons qu’il risque d’être difficile à vivre.
Puisqu’environ un étudiant sur 5 a eu, a ou aura l’occasion de fréquenter le centre de psychologie de l’X, ces considérations nous donnent un aperçu de la force avec laquelle l’urgence écologique imprime les choix de nos jeunes camarades. La bonne nouvelle c’est que, en décidant d’agir, ils échappent à un degré d’anxiété qui pourrait se révéler envahissant, voire handicapant.
Une autre bonne nouvelle, c’est que ces étudiants formés pour prendre des postes de responsabilité se sentent complètement chargés de la problématique environnementale. La moins bonne nouvelle, c’est que, même si le constat de l’état de la planète en tant que fait établi est plus un moteur pour l’action qu’une source d’angoisse, la question des enfants traduit un sérieux doute sur la capacité de l’humain à inverser la situation. Et ce doute, quoique légitime, a de quoi nous attrister.
Références
- Publication Inserm : https://presse.inserm.fr/canal-detox/leco-anxiete-une-maladie-mentale-vraiment/
- Antoine Pelissolo et Célie Massini, Les Émotions du dérèglement climatique, Paris, Flammarion, 2021
- Fondation Jean-Jaurès : https://www.jean-jaures.org/publication/eco-anxiete-analyse-dune-angoisse-contemporaine/