À l’Est, du nouveau
L’Éternel Dieu planta un jardin en Eden, du côté de l’est, et il y mit l’homme qu’il avait façonné.
Genèse, 2.4−25
Amusez-vous à faire un comptage : parmi les compositeurs majeurs des XIXe et XXe siècles, combien sont originaires d’Europe de l’Est ? Et quand vous aurez compté les Russes, de Tchaïkovski à Chostakovitch en passant par Prokofiev, Borodine, Glazounov, Weinberg, Moussorgski, Miaskovski, Rachmaninov, pour ne citer que les principaux, les Austro-Hongrois Liszt, Mahler, Bartók, Kodály, Enesco, Schoenberg, Alban Berg, Webern, Zemlinsky, les Tchèques Smetana, Dvořák, Janáček, vous serez submergé par le nombre, qui dépasse largement celui des grands compositeurs allemands, français, italiens, anglais, de la même période.
Nous laisserons à d’autres l’analyse de cette situation, mais c’est un fait : le pôle de la création musicale en Europe, au cours des deux siècles précédents, est à l’est.
Kodály, Enesco, Janáček
Sous le titre Parlando, un groupe de jeunes musiciens conduits par le violoncelliste Jérémy Garbarg a réuni trois œuvres inspirées par les traditions folkloriques de l’Europe de l’Est : la Sonate pour violoncelle seul de Kodály, le Trio n° 1 d’Enesco, le 1er Quatuor « Sonate à Kreutzer » de Janáček. La Sonate de Kodály est typiquement et joliment hongroise ; le Trio d’Enesco, œuvre de jeunesse rarement enregistrée, romantique et fauréen. Le Quatuor de Janáček, plus connu, une des œuvres les plus fortes du compositeur, a l’ambition non de décrire la nouvelle éponyme de Tolstoï mais d’évoquer les émotions ressenties à sa lecture. La divine surprise de ce disque est la qualité inespérée de l’interprétation par ce groupe de jeunes musiciens inconnus à ce jour de la scène médiatique : une merveille.
1 CD FUGA LIBERA
Trois sonates de Janáček, Bartók, Brahms
La violoniste Patricia Kopatchinskaja forme avec le pianiste d’exception qu’est Fazil Say un duo ébouriffant de virtuosité et de créativité dans l’interprétation. Ils ont choisi d’enregistrer trois sonates pour violon et piano de la fin du XIXe siècle et du début du XXe : la Sonate de Janáček, la 3e Sonate de Brahms, la Sonate n° 1 de Bartók. La Sonate de Janáček est déchirante, elle va droit au cœur. Celle de Brahms, une de ses dernières œuvres, merveilleusement mélodique et nostalgique, est jouée ici comme du Debussy, légère, subtile, impressionniste. La Sonate n° 1 de Bartók, composée en 1921, diabolique pour les interprètes, à la limite de l’abstraction, tourne le dos au romantisme et ouvre la voie à toute la musique moderne.
1 CD ALPHA
Prokofiev
Des cinq concertos pour piano de Prokofiev, un seul est fréquemment joué, le troisième. On entend parfois le premier. Le deuxième n’est pratiquement jamais joué. On peut le découvrir dans l’enregistrement récent de l’Orchestre philharmonique de l’Oural dirigé par Dmitry Liss avec le pianiste Andrei Korobeinikov. Créé en 1913, c’est une œuvre « d’une grande force émotionnelle, d’une formidable liberté lyrique, d’un souffle et d’une puissance océaniques » (Yelena Krivonogova). Il mérite, pour le découvrir, plusieurs écoutes successives, mais cela en vaut la peine. Quelle richesse mélodique, harmonique, rythmique ! On pourra même le préférer, in fine, au troisième. Sur le même disque, la Deuxième Symphonie de Prokofiev, œuvre iconoclaste et constructiviste en deux mouvements. Mais la vraie découverte est celle du pianiste Korobeinikov et de l’Orchestre philharmonique de l’Oural, qui se révèle une formation de classe mondiale. De Gaulle situait l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural » ; donc : de grands interprètes européens.
1 CD FUGA LIBERA