A l’X, les Jaunes ne brisent pas les grèves, ils les font !

Dossier : TraditionsMagazine N°A l’X, les Jaunes ne brisent pas les grèves, ils les font !
Par Serge DELWASSE (X86)

Caveat : dans la mesure du pos­sible, je m’efforce de gar­der à mes billets un for­mat rai­son­nable, entre 5000 et 10000 signes. Ce billet, enri­chi au fur et à mesure par les contri­bu­tions des témoins et les cou­pures de presse, est un peu plus long. J’ai déli­bé­ré­ment choi­si de ne pas le cou­per en plu­sieurs épi­sodes, afin d’en conser­ver la logique. Je prie mon lec­teur de bien vou­loir me le par­don­ner et j’espère que cela ne le décou­ra­ge­ra pas d’aller au bout.

Conven­tion de lec­ture : les textes en noir sont de moi, ceux en rouge les témoi­gnages de nos cama­rades – que, pour sim­pli­fier, j’ai tous ano­ny­mi­sés. en bleu sont les extraits de la presse.

La grève de 1986 : un bran de potaches, mais qui fut pris au sérieux ou « les ennemis de mes ennemis sont mes amis »

Ceux de nos cama­rades qui ont entre 45 et 50 ans s’en sou­viennent pro­ba­ble­ment : comme à plu­sieurs reprises depuis 1975, cette période était celle d’une réelle ten­sion entre les élèves et la Direc­tion de l’Enseignement.

La ten­sion s’est cris­tal­li­sée sur deux jours de vacances de Tous­saint que ladite direc­tion pré­ten­dait sup­pri­mer. quelqu’un (qui ? pour­quoi ? com­ment ? la mémoire est assez lacu­naire…) eut l’idée d’une grève… avec occu­pa­tion du Bon­court. La sono du ∑tyx, les flip­pers du Binet loi­sirs, une voi­ture radio­com­man­dée, et l’atmosphère feu­trée des hautes sphères lais­sait place à une ambiance plus fes­tive. Mes cocons se souviennent :

  • « Je me sou­viens que quelqu’un avait sug­gé­ré lors de l’amphi Kes qui avait pré­cé­dé qu’ « il fau­drait pré­ve­nir la presse ». Cela m’avait semble tout a fait dépla­cé compte tenu des avan­tages dont nous bénéficions. »
     
  • « pour moi la cause de la grève, c’était une semaine de congés en moins, sans concer­ta­tion ni même sem­blant de consul­ta­tion préa­lable. Après la nuit d’occupation, et une mati­née ? j’ai été pous­sé par XXX, pour faire par­tie des « délé­gués » envoyés à la ren­contre du LCL Mon­tels (nous étions 2 ? 3 ? 4 ?). NdDlw : Le regret­té Chris­tian Mon­tels, mal­heu­reu­se­ment décé­dé une dizaine d’années après notre sor­tie, était notre Com­man­dant de Pro­mo, très aimé des élèves ; Il avait été pitaine de com­pa­gnie de la 68. C’est dire qu’il avait appris à mani­pu­ler des car­vas en guerre contre l’autorité…Ils nous avait fait le grand sketch jusque là on vous a pro­té­gés, mais main­te­nant on va plus pouvoir… » ( ?????).
     
    L’oc­cu­pa­tion, c’est aus­si la nuit…Pavillon Bon­court 21 décembre 1987
     
  • Par contre je n’ai pas de sou­ve­nir d’une menace d’assaut de mili­taires… Je pense qu’il était res­té flou : moins la menace est pré­cise, plus elle laisse ima­gi­ner…. Cer­tains auront ima­gi­né la « charge des mili ». J’avoue que je suis « bon public » et, pas fier, qu’il m’avait fait peur. Donc je suis d’accord pour « fin mani­pu­lée par les mili­taires ». Au retour au Bon­court, j’ai donc pris un méga­phone, et dis dedans « il faut aller au Point K », et com­men­cé à avan­cer. A ma grande sur­prise, un peu près tout le monde a sui­vi. J’en suis encore sur­pris aujourd’hui. Et c’est une bonne leçon sur le carac­tère impré­vi­sible des mou­ve­ments de foule… Au point K on avait dû débattre, et voter, et déci­der d’arrêter, sur la base d’une pro­messe de « com­mis­sion de dialogue ».
     


    Dif­fi­ciles négociations.


    Ani­ma­tion inha­bi­tuelle au Boncourt.


    Non, je ne trouve pas ça drôle


    3615, code BONCOURT

  • Le soir même, au sor­tir de sa Pâle, [le Kes­sier] m’avait remon­té les bre­telles d’avoir accep­té d’arrêter, ce qui va dans le sens d’une forte influence de la 85 sur le mou­ve­ment… La com­mis­sion de dia­logue avait bien eu lieu envi­ron un mois après, après le retour des vacances. On nous avait écou­tés, et puis sur­tout rien fait… Et la dyna­mique était suf­fi­sam­ment ancienne pour qu’on ne se remo­bi­lise pas. Une leçon en règle sur la façon d’émousser un mou­ve­ment. Il faut dire que dans la com­mis­sion, on avait en face, entre autres, Jean Pey­re­le­vade, qui avait déjà négo­cié pas mal de choses dans sa vie, dont des Air­bus. Peu de chance de faire le poids… J’ai essayé de l’ouvrir deux fois et à chaque fois il m’a démo­li pro­pre­ment mais net­te­ment. Ca m’a calmé.
     
  • Je me sou­viens aus­si de l’interview télé­pho­nique du [Direc­teur de Etudes] par [une Xette], qui s’était faite pas­ser pour une jour­na­liste de Libé. Ca nous avait pro­cu­ré une bonne tranche de rire, [le DER] essayant de noyer le pois­son. Mais c’est là que l’on voit que les temps ont chan­gé. Je ne sais pas si vous avez sui­vi, mais il y a quatre cinq ans, il y a un élève de Nor­male qui a fait un canu­lar à mon avis com­pa­rable : envoyer un mail au nom de la direc­trice. Non seule­ment il a été viré, mais il a éco­pé d’une condam­na­tion pénale. [Xette qui se fait pas­ser pour une jour­na­liste], te rends-tu compte à quoi tu as échappé ? »
     
  • Cette grève a été un grand moment de mani­pu­la­tion de notre pro­mo par son entou­rage. Ain­si : qui a eu l’idée de la grève ? La pro­mo 85 et en par­ti­cu­lier sa Kès. Il nous avait été fixé une date de pale à gros coeff. l’après-midi du jour de départ en vacances de je ne sais quelle période de congés (pro­ba­ble­ment février, puisque pour Noël, c’était a prio­ri trop tard). L’administration avait vou­lu leur faire le coup l’année pré­cé­dente, mais la 85 avait vaillam­ment résis­té, et elle vou­lait qu’on ne lâche pas. Deuxième mani­pu­la­tion : tout d’un coup, la rumeur a cou­ru que « les bazoffs allaient char­ger le Bon­court » et qu’il fal­lait éva­cuer (je rap­pelle qu’on par­lait là de nos profs de sport, et qu’il n’y en avait pas tant que ça en mesure de char­ger quoique ce soit ; et les autres étaient plu­tôt à se refaire sur l’échauffement qu’à char­ger des officiers..).
     
  • Tou­jours est-il que le Bon­court s’est vidé très vite (pour l’amphi (!)), et que mon ami XXX et moi-même nous sommes retrou­vés bien seuls le temps de finir une par­tie d’un jeu de socié­té. Inutile de vous dire qu’on a pas vu un bazoff arri­ver. Je crains qu’on se soit fait là aus­si un peu mani­pu­ler, et que glo­ba­le­ment nous n’ayons pas eu une grande convic­tion sur le bien-fon­dé de cette occu­pa­tion… J’ai juste com­pris qu’il y avait eu un sem­blant de négo avec Mon­tels. En tout cas, j’ai un sou­ve­nir très net que Mon­tels avait ten­té (un vieux sur-moi de mili­taire à la mode Egyp­to-Thaï­lan­daise peut-être) d’influer sur l’élection Kès qui se pro­fi­lait en pous­sant en avant XXX, qui n’était sur­tout pas can­di­dat (par­ti­cu­liè­re­ment dans ces conditions).
     
  • En conclu­sion, j’ai trou­vé ce moment glo­ba­le­ment un peu pathé­tique (même s’il était amu­sant dans ses détails), assez révé­la­teur sur cer­taines indi­vi­dua­li­tés (pour le meilleur et le pire), et m’a convain­cu que les mou­ve­ments de groupe étaient très peu fiables, puisque même une popu­la­tion en théo­rie plus maligne, réflé­chie et au top de sa forme phy­sique que la popu­la­tion moyenne se fai­sait bala­der par ses « anciens » et par la pre­mière rumeur de vio­lence venue ! Il n’en demeure pas moins que c’est le seul mou­ve­ment réel­le­ment col­lec­tif et non contraint de la pro­mo de 1986 à nos jours.
     
  • Le Kes­sier, interrogé,
    • confirme avoir orga­ni­sé et ani­mé l’amphi kès qui avait valeur d’Assemblée Générale,
    • affirme qu’il ne l’a fait qu’en qua­li­té de kes­sier en fonction
    • nie farou­che­ment la mani­pu­la­tion – mais en même temps, on n’a jamais vu un mani­pu­la­teur admettre la mani­pu­la­tion, même 30 ans après.
    • confirme néan­moins le concept de « sales gosses » qui se plaignent alors qu’ils ont, somme toute, la belle vie

Alors, mani­pu­la­tion ou pas mani­pu­la­tion ? peu importe au fond, nous nous sommes bien marrés 🙂

A cette époque, l’X était une machine beau­coup moins grosse qu’aujourd’hui, et deux jours sans acti­vi­té sérieuse au Bon­court pas­saient tota­le­ment inaper­çus. Tou­jours est-il qu’il faut savoir finir une grève.

La sagesse était, comme sou­vent, du côté des vieux, et le Géné­ral, au fond pas mécon­tent de don­ner tort au corps pro­fes­so­ral, nous ren­dit nos deux jours de vacances, non sans avoir eu l’idée, pour le moins sau­gre­nue, de nous reti­rer deux jours de solde – en fait, un seul – au pré­texte que l’on ne payait pas les ouvriers en grève. J’ai donc le plai­sir de vous infor­mer que, via la pro­mo 86, le Géné­ral Paul P. a offi­ciel­le­ment accor­dé le droit de grève aux militaires !

En remon­tant les années 80 et la fin des années 70, je passe sur le com­bat pour la sup­pres­sion de l’uniforme d’intéreur, la « BD », fina­le­ment obte­nue pas les 85, pour remon­ter direc­te­ment à la pro­mo 75.

La grève de 1977 : quand un kessier utilise des méthodes de missaire !

Il me faut tout d’abord replan­ter le décor. 3 décors en fait :

  • Le pla­tâl : la pro­mo 75 a essuyé les plâ­trals – vous note­rez le niveau du calem­bour – arri­vant seul sur un plâ­tal désert et abso­lu­ment pas adap­té à une vie estu­dian­tine. De quoi agacer…
  • L’antimilitarisme : nous arri­vions à la fin du maoïsme et des comi­tés de sol­tats, mais l’ambiance était encore fran­che­ment anti-milis / che­veux longs/ peace & love : Hair…
  • enfin, je rap­pelle que la Kès n’avait pas son pen­dant clan­des­tin qu’est la Khô­miss. ce n’est pas un hasard si tous les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires ont une vitrine poli­tique et un bras armé mili­taire offi­ciel­le­ment dis­tincts. Par exemple Sinn Fein et IRA.

Le Monde du 2 décembre 77 rap­porte ain­si les faits : « Les élèves de l’École poly­tech­nique, à Palai­seau (Essonne) ont déci­dé, mar­di 29 novembre, dans leur qua­si-tota­li­té, la » sus­pen­sion des acti­vi­tés « . Ce mou­ve­ment fait suite à des sanc­tions pour infrac­tion au port de l’uniforme. Des sanc­tions, pour le même motif avaient été prises en octobre (le Monde du 22 octobre). Ce mer­cre­di, après une assem­blée géné­rale, la grève a continué.

Lors du bal de l’X, le 25 novembre à l’Opéra de Paris, un élève « en tenue débraillée » – selon les mili­taires – « ayant ouvert le col de sa veste » – selon ses cama­rades, a été rap­pe­lé à l’ordre par le géné­ral […], direc­teur de l’École poly­tech­nique. La réponse de l’élève, M. […], a été jugée » inso­lente » et celui-ci a été mis aux arrêts de rigueur pour un mois, c’est-à-dire enfer­mé dans un « local de tra­vail » . Il s’agit d’une petite pièce en sous-sol, éclai­rée par un soupirail.

Selon les élèves, le géné­ral […] aurait inter­pe­lé […] en le pre­nant pour un autre. « Cela ne vous a pas suf­fi quinze jours de trou ? » , lui aurait-il dit, alors que M.[…] n’avait, jusque là, pas été puni. Il s’agit même d’un « bon élé­ment » puisque, tou­jours selon les élèves, il a été clas­sé pre­mier à l’issue de sa période d’été au camp du Lar­zac. Il aurait seule­ment répon­du au direc­teur de l’École : « Quand on danse il fait chaud. »

Cette déci­sion a entraî­né, le 29 novembre, le boy­cot­tage d’une épreuve de mathé­ma­tiques par la pro­mo­tion 1975, et une assem­blée géné­rale. Une élève qui cir­cu­lait alors avec un uni­forme » panache » (jupe mili­taire et che­mise indienne) a été inter­cep­tée par le colo­nel […], char­gé des rela­tions entre l’administration mili­taire et les élèves, qui lui a infli­gé quinze jours d’arrêt simple – c’est-à-dire que l’élève doit res­ter dans sa chambre lorsqu’elle ne va pas en « amphi » .

L’administration mili­taire de l’École se défend de pro­cé­der à la moindre reprise en main. « Nous ne fai­sons qu’appliquer les règle­ments mili­taires qui régissent l’École depuis tou­jours. » Les offi­ciers qui admi­nistrent l’X font valoir que tous les élèves de l’École – élèves-offi­ciers ayant grade d’aspirant ou de sous-lieu­te­nant et per­ce­vant une solde d’officier – se sont enga­gés à res­pec­ter la dis­ci­pline mili­taire, qui les oblige à res­ter en tenue « pen­dant les heures de ser­vice » , c’est-à-dire de 8 heures à 18 heures.

L’administration consi­dère que cette dis­ci­pline fait par­tie de la péda­go­gie de l’École. « Ce sont des jeunes qui n’ont jamais ren­con­tré la moindre résis­tance, explique le colo­nel […]. Tout leur a réus­si jusqu’à pré­sent. Ni la socié­té ni leur famille ne leur ont jamais rien refu­sé. Il faut bien que cela com­mence un jour. »

Cer­tains vont même jusqu’à dire : « Nous leur ren­dons ser­vice en les punis­sant : quand ils sont aux arrêts, au moins ils tra­vaillent. » L’administration mili­taire ne semble nul­le­ment inti­mi­dée par les ten­ta­tives de résis­tance. « Des puni­tions, il y en aura d’autres » , a pré­ve­nu le colonel […].


Le Micral et son cou­loir d’accès, sous le PC sécurité

Le len­de­main ; « La grève se dur­cit à l’École poly­tech­nique de Palai­seau (Essonne), où les élèves ont ces­sé toute acti­vi­té depuis le mar­di 29 novembre à la suite des sanc­tions infli­gées à deux de leurs cama­rades (le Monde daté 1er et 2 décembre). En plus des deux élèves mis aux arrêts pour infrac­tion au port de l’uniforme, quatre « kes­siers » (élèves char­gés des rela­tions avec l’administration mili­taire et res­pon­sables de l’animation) de la pro­mo­tion 1975 ont été consignés.

La qua­si-tota­li­té des quelque six cents élèves de l’École par­ti­cipent matin et soir à des « amphis » (assem­blées géné­rales) depuis mar­di, pour récla­mer la levée des sanctions. 

L’élève délé­gué au conseil d’administration, M. […], a été man­da­té par ses cama­rades pour effec­tuer une démarche au minis­tère de la défense, l’administration de tutelle. Mais on lui a répon­du lors de sa démarche, jeu­di 1er décembre, que sa demande était « irre­ce­vable » et qu’il lui fal­lait pas­ser par « les voies hié­rar­chiques normales » . 

Ce ven­dre­di matin, les élèves ont déci­dé de conti­nuer le boy­cot­tage des cours et de res­ter cette fin de semaine à l’École, par « soli­da­ri­té avec les cama­rades aux arrêts » . Quant à l’administration mili­taire, elle déclare que « les élèves vaquent à leurs occupations » .

Et le 5 décembre « La crise de l’École poly­tech­nique / Le direc­teur géné­ral adjoint ne sera pas renou­ve­lé dans ses fonc­tions / La grève des élèves conti­nue à Palai­seau. La situa­tion à l’École poly­tech­nique de Palai­seau (Essonne), où la qua­si-tota­li­té des élèves sont en grève depuis mar­di 29 novembre pour pro­tes­ter contre des sanc­tions dis­ci­pli­naires, est tou­jours bloquée.

Les élèves ont déci­dé de pas­ser tous le week-end à l’École et ont invi­té la presse à venir dia­lo­guer avec eux. Un élé­ment, qui n’est pas de nature à apai­ser leur mécon­ten­te­ment, vient d’intervenir avec la déci­sion de ne pas renou­ve­ler, à dater du 1er décembre, M.[…], direc­teur géné­ral adjoint de l’École, dans ses fonctions. »

Vous note­rez qu’une petite affaire (il sem­ble­rait néan­moins que le cama­rade cran­té pour « tenue débraillée », pas très frais à 4 heures du matin, ait répon­du assez ver­te­ment au géné­ral. D’un autre côté, quand on est géné­ral, on quitte le bal de l’X vers 1 heure du matin au plus tard…) prend rapi­de­ment des pro­por­tions impor­tantes. On passe de deux élèves aux kes­siers puis à la pro­mo. On passe de l’uniforme à la pâle de maths, puis au direc­teur de l’enseignement.

L’animateur de la grève, LE kes­sier qui aurait été GénéK s’il avait vécu 10 ans plus tôt ou plus tard, dont je ne garde l’anonymat que par sou­ci d’homogénéité avec l’ensemble du texte, car il assume très bien, donne sa ver­sion des faits :

  • L’élève puni – donc j’ai mas­qué le nom par égard pour ne pas empê­cher ses petits enfants d’entrer un jour à la grande Ecole – était plu­tôt anti­mi­li­ta­riste et le Géné­ral l’avait « dans le nez »
  • LE kessier,du fond de son micral – qui ne s’appelait plus micral, et qui était situé sous le bureau des pom­piers – ani­mait les AG en amphi, grâce à un ingé­nieux sys­tème de sonorisation
  • Il garde d’ailleurs un bon sou­ve­nir de cette semaine au fond de son micral… La rumeur veut queles jolies Xettes du pla­tâl se soient relayées pour lui tenir com­pa­gnie. Il dément vigoureusement.
  • In fine, « il faut savoir finir une grève », les arrêts ont été levés, et les X ont repris une vie nor­male. Il a tota­le­ment oublié le Direc­teur de l’Enseignement, bouc émis­saire de l’affaire

Peu de gens connaissent l’existence des locaux dis­ci­pli­naires sous le PC sécu­ri­té. Le Règle­ment de Dis­ci­pline Géné­rale a été modi­fié par Charles Her­nu en 81 ou 82. les arrêts de rigueurs ont été sup­pri­més. Le micral éga­le­ment. Il sert main­te­nant de locaux d’astreinte aux pompiers.

1975 : Le chant du cygne du Parti communiste

Le Monde écrit le 22 mai 75 « Pour pro­tes­ter contre les sanc­tions infli­gées à quatre élèves/ » GRÈVE DE L’UNIFORME » à L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE/ Ces sanc­tions font suite à la dis­tri­bu­tion par la Kes (le bureau des élèves) aux can­di­dats qui subis­saient les épreuves du concours d’entrée à l’école, jeu­di 15 mai, à la sor­tie du centre de Vin­cennes, d’un tract cri­ti­quant la réforme du ser­vice mili­taire des poly­tech­ni­ciens, qui entre­ra en vigueur pour la pro­mo­tion 1975.

Ce tract ne met­tait donc pas en cause le sta­tut mili­taire de l’école, comme nous l’avions indi­qué par erreur (le Monde du 21 mai), mais s’inquiétait de l’obligation faite aux « X » d’accomplir leur ser­vice mili­taire avant leur entrée défi­ni­tive à l’école et des pres­sions qui pour­raient être exer­cées sur eux à cette occa­sion s’ils mani­fes­taient une « insuf­fi­sance d’esprit mili­taire « .La plu­part des élèves de la pro­mo­tion 1974 de l’École poly­tech­nique observent depuis mar­di 20 mai une « grève de l’uniforme » pour pro­tes­ter contre les sanc­tions infli­gées par le com­man­dant mili­taire de l’école à quatre de leurs cama­rades, MM. [suivent les noms des 4 kes­siers 73]

Un sit in a été orga­ni­sé, mar­di 20 mai, sous les fenêtres du bureau du géné­ral Bri­quet, com­man­dant de l’École, par ailleurs démis­sion­naire (le Monde du 30 avril). Les quatre élèves ont été mis aux arrêts de rigueur pour dix jours, les deux pre­miers à la caserne Dupleix, en qua­li­té de « réci­di­vistes » (ils avaient déjà signé au début de l’année une péti­tion où ils se décla­raient soli­daires de « l’appel des Cent » (voir le Monde du 7 jan­vier 1975), et les deux autres à l’École poly­tech­nique elle-même.

M. Daniel Dal­be­ra, dépu­té (com­mu­niste) de Paris, demande, dans une ques­tion écrite au ministre de la défense, » quelles mesures il compte prendre pour faire lever les sanc­tions et res­pec­ter la liber­té fon­da­men­tale des élèves de l’école » .

Comme on dit « même motif, même puni­tion » : vous cran­tez nos cocons, nous on fait la grève de l’uniforme. les pré­textes ne changent pas, et les modes d’action non plus.

Je laisse la place aux sou­ve­nirs des acteurs

Ce n’était donc qu’un pré­texte ? Et les com­mu­nistes ? il n’aurait pas mis un peu d’huile sur le feu ?

Je ne sais pas qui a fait le bat­tage média­tique mais ce mou­ve­ment n’est pas pas­sé inaper­çu. Cela devait être en rela­tion avec l’UGE, syn­di­cat qui avait recueilli pas mal d’adhésion dans notre pro­mo (une qua­ran­taine ?). J’ai notam­ment par­ti­ci­pé à une confé­rence de presse où nous étions cagou­lés pour ne pas subir de sanc­tions. Je n’ai plus trop la chro­no­lo­gie de la période média­tique. Il y a eu notam­ment un tour­nage pour les infos de TF1. L’équipe de TF1 était en effet accom­pa­gnée d’un pho­to­graphe qui a pris beau­coup de pho­tos. C’était en réa­li­té un pho­to­graphe de Paris Match qui a fait tout un article sur le sujet. Je me sou­viens éga­le­ment d’un titre (du Figa­ro je crois) qui était cho­quant : l’Ecole Poly­tech­nique envi­sage de mar­cher sur l’Elysée. Nous avions peut-être évo­qué une manif mais pro­ba­ble­ment pas vers l’Elysée. Et cela nous cho­quait car cela don­nait une tour­nure de ten­ta­tive de coup d’état.

Ce qui est éga­le­ment inté­res­sant, c’est la façon dont le dépu­té Dal­bé­ra récu­père l’affaire. Je vous mets ici une copie inté­grale du Jour­nal Offi­ciel. c’est instructif :

Jai bien l’impression que les kes­siers 73 se sont fait un peu instrumentaliser…

  • les 74, tout d’abord. ce sont bien eux les gré­vistes, beau­coup ne s’en sou­viennent pas.
    • Fran­che­ment, je n’ai aucun sou­ve­nir de cet épi­sode (plu­sieurs fois)
       
    • En effet, il y a eu un sit-in auquel j’ai moi-même par­ti­ci­pé, ce qui m’a valu une convo­ca­tion per­son­nelle chez le Géné­ral Bri­quet pour remon­trance, mon rang d’entrée impo­sant selon lui un com­por­te­ment exem­plaire… J’avoue ne pas bien me sou­ve­nir des tenants et des abou­tis­sants de l’affaire. Vu de loin, tout ce qui s’opposait à la « Mili » avait la faveur des élèves et c’est dans ce contexte de fin d’époque post soixante hui­tarde sur la Mon­tagne que s’est dérou­lée cette histoire !
       
    • c’est en effet un évé­ne­ment qui avait mar­qué les deux pro­mo­tions pré­sentes sur la Montagne !
       
    • le sou­ve­nir que j’avais était plus radi­ca­le­ment celui d’un appel à la démi­li­ta­ri­sa­tion de l’école (mais je n’ai pas le tract), la modi­fi­ca­tion des moda­li­tés de la période mili­taire à par­tir de la pro­mo 75 (12 mois dès l’intégration, alors que nous avions sept mois à l’intégration et cinq mois en fin de sco­la­ri­té) n’était qu’un corol­laire du trans­fert de la Mon­tagne Sainte-Gene­viève à Palai­seau. L’action dont j’ai le sou­ve­nir s’est ter­mi­née par une convo­ca­tion des pro­mos 73 et 74 dans l’amphi Foch et l’annonce de l’éventualité de leur dis­so­lu­tion si la grève se pour­sui­vait. La grève a ces­sé quelques heures plus tard.
       
    • Je pense que cela a debu­té par un sit-in dans la cour prin­ci­pale, sous l’égide de quelques « meneurs » qui étaient membres de l’UGE (Union des Grandes Écoles). Je me rap­pelle avoir par­ti­ci­pé a ce sit-in, au cours duquel les adju­dants de com­pa­gnie « pre­naient des noms ». Les slo­gans scandes étaient du genre « libé­rez nos cama­rades ». C’est après ce sit in que la grève de l’uniforme a com­mence, avec des consignes du genre : ne déso­béis­sez pas a un ordre direct de remettre l’uniforme, agis­sez en groupes, etc… Nous allions donc en classes en groupes, en civil. Le géné­ral Bri­quet convo­qua un amphi de toute la pro­mo, ou nous étions en uni­forme. Il y pro­non­ça les mots » mais l’UGE, c’est com­mu­niste », qui lui valurent quelques quo­li­bets ano­nymes, fort peu appré­ciés par les mili­taires… Dans les heures ou jours qui sui­virent, il y avait une rumeur que la pro­mo­tion entière allait être envoyée en manœuvres au Larzac.
       
  • Cer­tains se doutent néan­moins que l’affaire est plus com­pli­quée qu’il n’y paraît, ils ont, en par­ti­cu­lier, com­pris qu’il y avait eu manipulation :
    • Je pense que les rai­sons de ce mou­ve­ment étaient mul­tiples : l’UGE vou­lait de l’agitation, nous étions heu­reux d’être en plein air, à Paris , au prin­temps, après cinq mois de ser­vice mili­taire, et comme le dit si bien Bras­sens, « Sous tous les cieux sans ver­gogne,…., tout le monde se réconcilie. »
       
    • Le com­man­dant de pro­mo­tion, X 57, essayait de négo­cier une solu­tion pour sau­ver la face. Et il eut l’idée sui­vante : amnis­tie des Kes­siers pour la Sainte Barbe, patronne des artilleurs et de l’X, contre fin de la grève de l’uniforme. C’est ain­si que la grève se ter­mi­na, mais les rap­ports entre la pro­mo 74 et l’encadrement mili­taire sont res­tés ten­dus après ces évé­ne­ments… Je me sou­viens très bien de l’histoire de la Sainte Barbe. il me semble qu’il y ait eu une manœuvre habile, de la part [le mili]: la patronne des artilleurs est fêtée le 4 Décembre. Ce sont deux autres saintes Barbes qui sont fêtées le 27 Mai, aux alen­tours de la fin de la grève !
       
    • Je me sou­viens d’un article plein d’erreurs dans Paris Match, qui me mon­tra pour la pre­mière fois com­ment un évé­ne­ment dont j’étais très fami­lier pou­vait être dis­tor­du dans sa rela­tion par une cer­taine presse.
       
    • les agi­ta­tions de la 74 étaient (essen­tiel­le­ment ou toutes ?) liées au trans­fert à Palai­seau que nous refu­sions. Le trans­fert à Palai­seau était déci­dé et deve­nu inévi­table. Jusqu’à la 74, le ser­vice mili­taire se fai­sait 5 mois en début de sco­la­ri­té et 7 mois en fin. Les quelques retards des tra­vaux ren­daient impos­sible un accueil cor­rect des élèves dès jan­vier 76. Il fut donc ima­gi­né par les auto­ri­tés de modi­fier les condi­tions de ser­vice mili­taire en fai­sant accom­plir celui-ci entiè­re­ment la pre­mière année. Cela retar­dait donc l’arrivée des 75 à Palai­seau à sep­tembre 76. Cela ren­dait éga­le­ment dif­fi­cile le contact entre 75 et 76 avant cette date et donc ren­dait dif­fi­cile de s’opposer au trans­fert à Palaiseau.
       
    • Si l’on consi­dère éga­le­ment que le der­nier semestre de sco­la­ri­té est consa­cré à un stage, on pré­voit une situa­tion où les 75 arrivent à Palai­seau alors que les 74 y sont peu pré­sents. La mili en pro­fi­ta d’ailleurs pour lais­ser les 74 à Paris , limi­tant ain­si leurs contacts avec la 75, cal­mant un peu leur grogne contre le démé­na­ge­ment puisque la 74 en était exemp­tée, et évi­tant une conta­gion de la 75 par la 74. Le flam­beau des tra­di­tions en a été plus dif­fi­cile à pas­ser, mais l’isolement de Palai­seau a beau­coup aidé. C’est dans ce contexte que quelques élèves on vou­lu pré­ve­nir les futur 75 dès les concours. La réac­tion du géné­ral Bri­quet fut effec­ti­ve­ment quelques arrêts de rigueur, ce qui se tra­dui­sit par une grève de l’uniforme des autres élèves en guise de protestation.
       
    • Le prin­ci­pal reproche fut que le pro­blème avait été ren­du public en étant publié dans le Monde qui fut à cette occa­sion trai­té de tor­chon par le géné­ral. Aus­si le jour­nal des élèves fut-il désor­mais renom­mé « Le tor­chon » (en lettres gothique, comme le titre du Monde). Fina­le­ment, le Monde n’avait iden­ti­fié que le côté super­fi­ciel de débat ; le chan­ge­ment des dis­po­si­tions rela­tives au ser­vice mili­taire. Le pro­blème de fond était le démé­na­ge­ment à Palai­seau. En défi­ni­tive, la 74 a mené un com­bat d’arrière garde qui n’a pas empê­ché le déménagement.
       
    • Les élèves concer­nés étaient des élèves de la pro­mo 73 qui ont effec­ti­ve­ment été sanc­tion­nés pour la dif­fu­sion d’un tract avant les épreuves du concours d’entrée. Je n’ai pas ce tract, mais de mémoire, il aver­tis­sait que le sta­tut mili­taire de l’école n’était pas sim­ple­ment du folk­lore comme on le pré­sen­tait assez sou­vent dans les pré­pa, mais une cer­taine réa­li­té qu’on ne pou­vait igno­rer. Et nous mêmes avions quelques déboires sur le sujet. Après nos 5 mois de ser­vice, nous étions reve­nu à Paris en février 75 et décou­vrions par exemple que l’on nous deman­dait de faire nos lits en bat­te­rie tous les jours, et autres bri­coles de ce genre.
       
    • Donc la sanc­tion de ces élèves pour avoir pré­ve­nu les can­di­dats de ce que nous avions nous même désa­gréa­ble­ment consta­té a frap­pé nos esprits. Nous avons démar­ré un mou­ve­ment de grève de l’uniforme (et je pense que c’était essen­tiel­le­ment sinon uni­que­ment le fait de la pro­mo 74). En tout cas, je ne me sou­viens pas d’une quel­conque connexion avec la pro­mo 73 sur cette affaire. Cela a assez rapi­de­ment dégé­né­ré en bras de fer, l’administration mili­taire met­tant en place des plan­tons à l’entrée des amphis pour n’autoriser que les élèves en tenue. De ce fait, la grève de l’uniforme s’est trans­for­mée en grève tout court.​Il y a eu un moment des sanc­tions contre les meneurs de notre pro­mo. De mémoire, ils étaient 4 à être sanc­tion­nés (10 jours de mémoire, mais à véri­fier). Un par com­pa­gnie. Au fil des jours (quelques jours en tout, moins de 10 en tout cas), les choses s’envenimaient et la pres­sion montait.
       
    • Notam­ment des rumeurs sur l’avancement de notre deuxième période mili­taire, voire sur la dis­so­lu­tion de notre pro­mo, se fai­saient insis­tantes. Nous nous sommes donc réunis en amphi, déci­dant de quit­ter au plus vite l’école pour ne pas ris­quer de devoir céder à la pres­sion. Et au plus vite, vou­lait dire immé­dia­te­ment. Remon­ter prendre ses papiers et un blou­son et quit­ter l’école. L’amphi devait être écou­té par la hié­rar­chie puisque, avant même que nous arri­vions aux portes de l’école (j’ai du mettre moins de 5 mn), un ou deux camions mili­taires déver­saient des sol­dats qui se sont mis aux portes en ayant reçu l’ordre de ne pas lais­ser sor­tir les élèves. Ce fut le baroud d’honneur ; nous étions pra­ti­que­ment à la fin des 10 jours.
       
  • les 73 sont un peu plus cyniques
    • Mon seul sou­ve­nir mar­quant de cette époque est une « AG » au cours de laquelle a été ins­truite la ques­tion : « que fait-on pour les kes­siers ? » Ca mer­doyait jusqu’à l’intervention d’un capi­taine de com­pa­gnie qui a sug­gé­ré (habi­le­ment) que nous uti­li­sions la pos­si­bi­li­té offerte à tout offi­cier de deman­der le rap­port du ministre. Après pas­sage par cette porte de sor­tie la pres­sion est retom­bée jusqu’à d’autres épi­phé­no­mènes de moindre ampleur.
       
    • Il y avait conco­mi­tance de la volon­té de la direc­tion de pro­fi­ter du démé­na­ge­ment de la 74 à Palai­seau pour cou­per les liens entre les pro­mos et un direc­teur aus­si fait pour le mana­ge­ment que moi pour gar­der les chèvres.
       
    • Déjà lors de notre incor­po la mili avait cher­ché à nous cou­per du monde et la Kes 72 avait dû inter­ve­nir fer­me­ment à notre profit.
       
    • « Bri­quet, la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres » : notre nou­veau géné­ral était visi­ble­ment mal pré­pa­ré aux talents diplo­ma­tiques dont il aurait dû faire preuve, et … avait une mécon­nais­sance, une incom­pré­hen­sion totale de la men­ta­li­té X
       
    • Le géné­ral Pierre Bri­quet, n’était pas un Cyrard, mais un X38. Il est vrai néan­moins qu’il était tota­le­ment non qua­li­fié pour diri­ger l’X au milieu des années 1970. C’était un géné­ral comme on en voit dans Tin­tin, ou « Les sen­tiers de la gloire »
       
  • Et puis il y a celui qui SAIT. X73, Il était délé­gué au Conseil d’Administration :
    • Il est impor­tant de rap­pe­ler le contexte dans lequel la grève de l’uniforme est inter­ve­nue en 1975. Ma pro­mo­tion ( la 73) était l’une des der­nières à rési­der sur le Mon­tagne Sainte Gene­viève et lorsque nous avons décou­vert, en y arri­vant, que les géné­ra­tions futures de poly­tech­ni­ciens seraient exi­lées sur un cam­pus éloi­gné de Paris, nous avons été très oppo­sés à ce démé­na­ge­ment. Nous avons même pen­sé, un temps, être en mesure de faire recu­ler le CA et les auto­ri­tés de tutelle sur ce projet.
       
    • Cette oppo­si­tion s’est révé­lée vaine : le pro­jet était déjà très avan­cé, même si tous les bâti­ments n’étaient pas encore construits – notam­ment pas les chambres des élèves – et sur­tout il résul­tait d’une déci­sion prise au plus haut niveau, que le pré­sident du CA de l’époque (André Giraud) et le Délé­gué Géné­ral pour l’Armement tenaient à mettre en œuvre. L’idée cou­rait par­mi les élèves que ce pro­jet était une réac­tion aux évè­ne­ments de mai 68 et mani­fes­tait le désir d’éloigner les X du foyer d’agitation tou­jours pos­sible qu’est le Quar­tier Latin … mais les auto­ri­tés de l’Ecole n’ont ces­sé de se jus­ti­fier en expli­quant qu’ils sou­hai­taient don­ner à l’X un cam­pus » à l’américaine », un lieu vaste où toutes les acti­vi­tés – notam­ment spor­tives – pour­raient être exer­cées ( alors que sur la Mon­tage il fal­lait prendre des cars, pour des tra­jets par­fois très longs, pour accé­der aux dif­fé­rents stades).
       
    • Nous n’étions guère convain­cus et voyions sur­tout que nos cama­rades du futur n’auraient plus la mer­veilleuse vie que nous avions la chance de vivre : les bis­trots du quar­tier, les ciné­mas, les sor­ties le soir – un grand nombre d’élèves fai­sant régu­liè­re­ment « le mur »- voire pour les plus entre­pre­nants les petites copines qu’ils allaient rejoindre fré­quem­ment (pas excellent pour les études, certes…). Quel que soit l’habillage qu’on lui don­nait le démé­na­ge­ment était une façon d’éloigner les élèves de la vraie vie… de les main­te­nir encore un peu dans le tun­nel qu’ils avaient tra­ver­sé en classes pré­pa­ra­toires. Notre oppo­si­tion était donc réso­lue mais rési­gnée à son échec .
       
    • Tout cela créait un sen­ti­ment géné­ral de malaise, et de très mau­vaises rela­tions avec les auto­ri­tés mili­taires – et notam­ment le géné­ral com­man­dant l’école . L’annonce de la modi­fi­ca­tion à venir, avec le démé­na­ge­ment , dans l’organisation de la période mili­taire a été un bon pré­texte pour mani­fes­ter cette oppo­si­tion latente à tout ce qui nous était impo­sé : d’où les tracts, la grève de l’uniforme, et l’agitation à laquelle nous avons eu soin de don­ner les plus d’impact média­tique pos­sible… Mais encore une fois nous savions que tout cela était vain et avons fini par « ren­trer dans les rangs » avec un peu d’amertume mais le sen­ti­ment que nous étions allés aus­si loin que nous le pou­vions pour mani­fes­ter notre désap­pro­ba­tion au pro­jet de déménagement.

Ce n’était donc qu’un pré­texte ? Et les com­mu­nistes ? il n’aurait pas mis un peu d’huile sur le feu ? Je ne sais pas qui a fait le bat­tage média­tique mais ce mou­ve­ment n’est pas pas­sé inaper­çu. Cela devait être en rela­tion avec l’UGE, syn­di­cat qui avait recueilli pas mal d’adhésion dans notre pro­mo (une qua­ran­taine ?). J’ai notam­ment par­ti­ci­pé à une confé­rence de presse où nous étions cagou­lés pour ne pas subir de sanc­tions. Je n’ai plus trop la chro­no­lo­gie de la période média­tique. Il y a eu notam­ment un tour­nage pour les infos de TF1. L’équipe de TF1 était en effet accom­pa­gnée d’un pho­to­graphe qui a pris beau­coup de photos.

C’était en réa­li­té un pho­to­graphe de Paris Match qui a fait tout un article sur le sujet. Je me sou­viens éga­le­ment d’un titre (du Figa­ro je crois) qui était cho­quant : l’Ecole Poly­tech­nique envi­sage de mar­cher sur l’Elysée. Nous avions peut-être évo­qué une manif mais pro­ba­ble­ment pas vers l’Elysée. Et cela nous cho­quait car cela don­nait une tour­nure de ten­ta­tive de coup d’état.

Ce qui est éga­le­ment inté­res­sant, c’est la façon dont le dépu­té Dal­bé­ra récu­père l’affaire. Je vous mets ici une copie inté­grale du Jour­nal Offi­ciel. c’est instructif :

j’ai bien l’impression que les kes­siers 73 se sont fait un peu instrumentaliser…

La grève des 71 , la grève du mythe

Grève du mythe parce que la 71 a eu droit à une belle pho­to dans Paris Match, mais sur­tout parce que, à mon sens, c’est une grève réel­le­ment poli­tique, très bien gérée par la Strass (pour une fois)


Le sit-in sur les plates-bandes du Géné­ral, tel qu’il a été publié, quelques mois plus tard, dans Paris-Match

Qu’en dit le Monde ? 29/9/72 : « Après une jour­née de » grève de l’uniforme « / Les élèves de Poly­tech­nique ont repris les cours/

Les cours ont repris nor­ma­le­ment, jeu­di 28 sep­tembre, à l’École poly­tech­nique, après la » grève de l’uniforme » effec­tuée la veille par les élèves de la pro­mo­tion 1971 (le Monde du 28 septembre).

Invi­tés « fer­me­ment » par l’administration – diri­gée depuis le 1er sep­tembre par le géné­ral Bri­quet – à se pré­sen­ter au cours de chi­mie « en uni­forme » , mer­cre­di 27 à 13 h. 30, les élèves avaient pro­cé­dé à un vote et refu­sé – par cent quatre-vingt-huit voix contre quatre-vingt-onze – cette déci­sion. L’administration répli­quait alors en deman­dant à chaque élève de signer indi­vi­duel­le­ment, avant 17 heures, un texte par lequel il s’engageait à obser­ver le sta­tut de l’école. ä nou­veau réunis, les élèves déci­dèrent de signer le texte qui, a décla­ré l’un de leurs repré­sen­tants, « ne remet nul­le­ment en cause notre action » .

« Il s’agissait pour nous, a‑t-il pré­ci­sé, de faire une jour­née de grève de l’uniforme pour pro­tes­ter contre le dur­cis­se­ment du règle­ment et, en par­ti­cu­lier, contre les sanc­tions frap­pant deux de nos cama­rades. Le mou­ve­ment a eu lieu, et c’est ce qui importe. Quant à remettre en cause le sta­tut (mili­taire) de l’école, c’est un pro­blème que notre action de mer­cre­di ne sou­le­vait pas. C’est l’administration qui, par le texte sou­mis, a vou­lu le poser en ces termes » .

Il appa­raît donc que si l’incident de mer­cre­di est ter­mi­né, ses causes pro­fondes ne sont pas sup­pri­mées pour autant. La pro­mo­tion 1971, ren­trée depuis le 1er sep­tembre seule­ment, paraît vou­loir « faire le point » sur l’ensemble de la ques­tion avant d’affirmer ses posi­tions. On sait que la « jour­née de grève de l’uniforme » avait été déci­dée en par­ti­cu­lier à la suite de sanc­tions prises contre deux élèves qui avaient refu­sé de faire cou­per leurs che­veux. Aux arrêts de rigueur pour vingt jours, tous deux doivent com­pa­raître devant le conseil de discipline.

Qu’en dit l’huma ?

Je vous pro­pose de lais­ser la paroles aux acteurs de la 71. Pour mémoire, j’ai reçu une ving­taine de témoignages :

  • Je ne me sou­viens de rien (30%)
     
  • Sur les causes
    • Très hon­nê­te­ment, aujourd’hui, je ne me sou­viens plus vrai­ment des motifs invoqués.
       
    • Oui, notre pro­mo­tion était bien turbulente…
       
    • Cette his­toire de lon­gueur de che­veux invrai­sem­blable après 68, la manière dont les mili­taires ont géré le truc, avec des sym­boles forts comme des jours de for­te­resse, com­plè­te­ment déca­lés pour des élèves qui se sen­taient très peu mili­taires et impré­gnés de l’esprit liber­taire de l’époque.
       
    • Il y avait donc dans cette pro­mo une frac­tion impor­tante « anti­sys­tème » plus ou moins poli­ti­sée. Cela s’est vu dès l’élection du repré­sen­tant des élèves, où le major d’entrée […] s’est fait battre par […] puis aux élec­tions par matière, où les can­di­dats tra­di­tion­nels ont sou­vent été bat­tus par des can­di­dats pré­sen­tés plus ou moins offi­ciel­le­ment par l’aile gauche si il faut lui don­ner un nom.
       
    • Le conflit entre élèves et direc­tion de l’Ecole por­tait sur un sujet d’une impor­tance autre que la lon­gueur des che­veux de quelques indi­vi­dus. Il por­tait sur les mis­sions de l’Ecole qui ne pou­vaient qu’être mise en ques­tion. En fait, une crise que ni le rap­pel au règle­ment, ni quelques ten­ta­tives de main­te­nir les tra­di­tions ne pou­vaient masquer.
       
    • Ce n’est pas pour avoir refu­sé de se faire cou­per les che­veux qu’ils y étaient, mais parce que, en tant que délé­gués des élèves au CA de l’école, ils avaient fait un compte ren­du assez per­si­fleur d’un CA, qui s’était « plus occu­pé des bacs à fleurs du bâti­ment du géné­ral que des cher­cheurs des labos de l’école » (je cite approxi­ma­ti­ve­ment, de mémoire, je pour­rai essayer de retrou­ver le tract de l’époque et te le scanner).
  • Sur le déroulé
    • Je me sou­viens de l’amphi qui a « voté » la grève. Les agi­ta­teurs étaient à la tri­bune, et ils ont deman­dé que l’on vote en se dépla­çant : les pour à la gauche de l’amphi, les contre à droite. Tout le monde s’est levé, et comme il y avait une majo­ri­té de dépla­ce­ments vers la gauche, j’ai sen­ti une grande mon­tée d’adrénaline… Je n’ai pas eu le cou­rage de par­tir à droite, et je suis mon­té en haut comme beau­coup d’autres. Un seul a eu ce cou­rage, et je peux attes­ter que c’était [suit le nom d’un ci-devant], qui a fait face stoï­que­ment aux huées des élèves mas­sés à gauche.
       
    • Je me sou­viens aus­si que le matin de la grève, on a vu arri­ver beau­coup d’élèves habillés… en tenue de sport, ce qui était une façon de ne pas prendre posi­tion (je reven­dique le fait que j’étais en uni­forme). Quelqu’un a allu­mé une radio, et on a enten­du un bul­le­tin d’information évo­quant notre grève, ce qui a pro­vo­qué des hourras.
       
    • Par contre, à l’époque, j’avais trou­vé que le capi­taine com­man­dant la Nième com­pa­gnie avait un peu pani­qué. Mais c’est sans doute sub­jec­tif, je n’avais pas tous les élé­ments en main.
       
    • Puis la convo­ca­tion un à un chez le com­man­dant Grillot et le dis­cours : « on sait bien que vous êtes sérieux et que vous vous êtes lais­sé entraî­ner par vos cama­rades, etc.. Main­te­nez vous votre posi­tion?… ». Ma moti­va­tion n’était pas très forte. Je fai­sais par­tie d’un groupe d’amis beau­coup plus moti­vés que moi. J’ai donc cédé. Eux aus­si d’ailleurs.
       
    • J’ai voté pour, puis signé les desi­de­ra­ta mili­taires, ayant com­pris depuis un moment déjà que le dia­logue était impossible.
       
  • Sur les conséquences
    • Grand moment et beau­coup d’agitation que je n’ai pas tou­jours bien com­pris sur le moment !
       
    • Je me sou­viens d’un sit-in sur la pelouse du géné­ral, qui don­né lieu à un repor­tage pho­to dans Paris-Match et à un tirage au sort d’élèves blâ­més (par le géné­ral) dont j’ai fait partie.
       
    • Si tu cherches tu devrais trou­ver un article dans Paris Match, avec pho­to… [Ndlw : le texte inté­gral de l’article de Paris Match : Paris Match no 1249 du 14 avril 1973 – article concer­nant les filles à l’X] Je suis de ceux qui jouent au bridge au pre­mier rang, c’est dire le sérieux de l’affaire.
       
    • Le len­de­main, dans un quo­ti­dien (Le Monde ?), j’ai vu une cari­ca­ture qui nous ridi­cu­li­sait : on voyait 3 ou 4 « jeunes cadres dyna­miques » tous habillés pareil en cos­tume-cra­vate et criant d’une même voix « Grève de l’uniforme ! ».
       
    • Je n’ai aucun sou­ve­nir pré­cis de cet inci­dent, qui pour moi rele­vait du non-évè­ne­ment. Des gami­ne­ries de pseu­do-anti­mi­li­ta­ristes bien contents par ailleurs de béné­fi­cier de tous les avan­tages de l’X.
       
    • J’ai vrai­ment sui­vi cela de loin, sans inté­rêt par­ti­cu­lier. Comme vous le savez bien, je ne par­ta­geais abso­lu­ment pas le point de vue des gré­vistes. Je sou­hai­tais inté­grer l’armée après l’X. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait.
       
    • Cette grêve a été un non-eve­ne­ment, ain­si que le laisse trans­pa­raître l’article du Monde. Ce dont je me rap­pelle est d’avoir, ain­si que les autres gré­vistes, com­pa­ru devant le Géné­ral pour une remon­tée de bre­telles. Le car­can mili­taire était un peu pesant pour une géné­ra­tion post-68 mais nous n’étions pas prêts a sacri­fier nos avan­tages pour cela….
       
    • Ne don­nons pas trop d’importance à cette médiocre péripétie.
       
    • Je les avais alors res­sen­ties comme un mou­ve­ment de gosses de riches, mal dans leur peau.
       
    • En ce qui me concerne, je n’étais donc pas gré­viste, mais un peu récal­ci­trant à l’autorité, et l’ai payé d’un prix exces­sif… j’ai eu droit à la sol­li­ci­tude de l’administration mili­taire, qui m’a taxé de 20 jours d’arrêt de rigueur pour avoir envoyé paître un adju­dant qui vou­lait me sor­tir du lit de façon un peu rude… L’époque était donc assez ten­due (on était 4 ans après Mai 68, les « Mao » jouaient les gros bras…) et il était clair que les blagues de potaches n’étaient pas tou­jours prises comme telles par une Direc­tion qui y voyait de la sub­ver­sion politique…ce qui était peut être un peu vrai pour cer­tains, mais cer­tai­ne­ment pas pour la majorité.
       
  • Et puis il y a ceux qui tiraient (ou s’efforçaient de tirer) les ficelles
    • Nous étions un groupe proche du PCF, assez nom­breux. On devait être aux jeu­nesses com­mu­nistes, je crois. Au moins cer­tains d’entre nous puisqu’il exis­tait un cercle « Max Bar­rel ». D’ailleurs, je me sou­viens qu’avait été consti­tuée à l’X une sec­tion secrète du syn­di­cat UGE (Union des Grandes Ecoles), en contra­ven­tion fla­grante avec le règle­ment mili­taire qui inter­dit l’appartenance syndicale.
       
    • Côté orga­ni­sa­tion, il y avait une cel­lule syn­di­cale clan­des­tine et active, le GAS, groupe d’action syn­di­cale, qui se réunis­sait dans le plus grand secret dans la tour um, au des­sus de la rue des écoles. J’y par­ti­ci­pai, je me sou­viens de [cen­su­ré…] également

Vous l’avez com­pris, la vio­lence et l’antimilitarisme sous jacents étaient assez pre­gnants. Et le Par­ti en profitait…

C’était mieux avant

Néan­moins, tout ça ne vaut pas la grève de… 1889. La Croix écrit le 13 février : « GRÈVE A L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE/ Les poly­tech­ni­ciens qui se sont consi­gnés [NdDlw : en fran­çais, auto­cran] eux-mêmes pen­dant plu­sieurs semaines pour faire pièce au com­man­dant de l’école, le géné­ral Hen­ry, viennent d’avoir un nou­veau démê­lé avec lui. Le géné­ral trou­vait que les poly­tech­ni­ciens rece­vaient trop d’invitations à des soi­rées. Pen­sant que la danse nui­sait aux études, il leur inter­dit toute soi­rée autre que celles de l’Elysée, de la Légion d’honneur ou des ministères.

Quelques jours plus tard, il les invi­tait lui-même à une soi­rée qu’il don­nait, mais les élèves s’abstinrent en masse. Le géné­ral, se jugeant per­son­nel­le­ment offen­sé, a fait sup­pri­mer le congé de dix jours dit de fin d’examens, et il à prié les majors de pro­mo­tion d’annoncer aux élèves que doré­na­vant il n’aurait plus que des rap­ports offi­ciels avec eux et qu’il les invi­tait à ne plus saluer Mme Hen­ry. Nous sommes curieux de savoir quel sera le dénoue­ment de cet étrange conflit. »

Ça c’est une puni­tion ! Inter­dic­tion de saluer Madame la Générale…

Remerciements

  • Madame B., du jour­nal le Monde, qui a eu la gen­tillesse de m’aider à plon­ger dans les archives du journal
  • Un Y85
  • Un Y75
  • Le conscrit Nègre, Y12 – dont vous remar­que­rez qu’i n’a pas droit au titre de Mon­sieur, faut pas que décon­ner ! – qui a eu la gen­tillesse de me trans­mettre quelques photos
  • les 86, 74, 73 et 71 qui ont eu la gen­tillesse de creu­ser au fond de leurs sou­ve­nirs, et par­ti­cu­liè­re­ment ceux qui
    • m’ont scan­né cou­pures de presse, pho­tos, bul­le­tin de solde, Règle­ment intérieur
    • m’ont consa­cré un peu de leur temps au téléphone
    • m’ont écrit quelques lignes

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