À plein temps, Goliath, De nos frères blessés, L’ombre d’un mensonge
Notre camarade Christian Jeanbrau (63) nous propose une nouvelle rubrique mensuelle, autour du cinéma, qui rejoint nos deux rubriques consacrées à la musique (avec ou sans image). C’est un galop d’essai : ami lecteur, dis-nous tes satisfactions et tes critiques en commentaire ! c’est un des plaisirs du cinéma que de susciter des discussions passionnées…
Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une séance de cinéma n’ait dissipé (Montesquieu, Pensées diverses)
Repentir : au vrai, Montesquieu a écrit « une heure de lecture… »
À PLEIN TEMPS
Réalisateur : Éric Gravel – 1 h 25
Laure Calamy est décidément épatante ! Le film roule à 200 à l’heure, c’est un tourbillon ininterrompu que l’actrice maîtrise avec une efficacité étonnante, jamais écrasée par l’accumulation sidérante des « emmerdes », entre son pavillon de banlieue et Paris que des grèves non précisées mais qui clonent celles de 1995 mettent au bout d’un chemin de croix. Elle tient bon, gère ses deux gosses, mère seule, et son dynamisme fait merveille et notre empathique admiration. Son statut provisoire de première femme de service dans un palace parisien est l’occasion d’un volet documentaire du film qui l’enrichit de manière instructive et réjouissante. Riche et dense. Mention bien !
Site officiel du film À plein temps
GOLIATH
Réalisateur : Frédéric Tellier – 2 h 02
Assez bien mais trop
vu, cent fois, d’Erin Brockovich (en 2000) à Dark Waters (en 2019). Produits cancérogènes, dénonciation écolo, firmes immondes, lobbyistes infects (Pierre Niney, un dixième papa, neuf dixièmes ordure), paysans assassinés à petit feu, avocat valeureux (Gilles Lellouche, coiffé avec un pétard et passablement grossi), parents endeuillés calmés au carnet de chèques, etc. C’est l’habituelle protestation immobile, ça finit par lasser. Au fond, on sait tout ça, on l’a documenté, on nous l’a répété et on le croit, et on n’en tire aucune conséquence. La protestation cinématographique nous suffit. Réagir vraiment serait trop fatigant, trop inconfortable.
Site officiel du film Goliath
DE NOS FRÈRES BLESSÉS
Réalisateur : Hélier Cisterne – 1 h 35
Impressions mélangées autour de cette trans-position de l’affaire Fernand Iveton, décapité dans l’Algérie de la fin des années 1950 pour avoir, militant communiste ayant rejoint le FLN, posé dans un local désaffecté, à des heures lui garantissant l’impossibilité de dégâts autres que matériels, une bombe artisanale de faible puissance dont les experts qui l’ont désamorcée ont garanti l’inefficacité au-delà de 3 à 4 mètres. Seul Européen sur les 198 exécutés politiques de la guerre d’Algérie, Iveton eut la malchance de voir son recours en grâce passer entre les mains de François Mitterrand, garde des Sceaux de René Coty, qui n’avait pas encore entendu les plaidoyers de Robert Badinter et faisait fonctionner sans états d’âme les « bois de justice ». Le contexte remue l’humaniste et rappelle les pires souvenirs (« … plage interdite aux chiens et aux Arabes ») mais le propos est affaibli de nous être servi curieusement en « bluette », histoire d’un amoureux transformé en terroriste « bisounours » auquel Vincent Lacoste, tout excellent qu’il soit, ne communique aucune dimension inquiétante. Vicky Krieps est une épouse polonaise volontaire, égarée et touchante. Le film est très bien construit, très bien monté, très attachant, mais…
Site officiel du film De nos frères blessés
L’OMBRE D’UN MENSONGE
Réalisateur : Bouli Lanners – 1 h 39
L’île de Lewis, au nord de l’Écosse, un bout de terre à moutons et à taiseux minimalistes, un hameau presbytérien, des traditions. Les sentiments sous l’écorce rugueuse des gestes quotidiens et le paysage, magnifique et infini. Tout ce qui n’a pas été dit ne peut pas vraiment l’être et lentement se stratifie, et puis ceci, à découvrir dans l’étonnement des silences, qu’il n’est jamais trop tard, au péril de l’opportunité. On peut trouver bouleversant. Acteurs parfaits. Et un chien.