Ingénieur

Étymologie :
À propos de l’ingénieur

Dossier : L'ingénieur dans la sociétéMagazine N°737 Septembre 2018
Par Pierre AVENAS (X65)

On tra­duit ingé­nieur par engi­neer en anglais, mais ces deux mots n’ont pas la même conno­ta­tion. En fran­çais, ingé­nieur fait pen­ser à ingé­nieux, à un tra­vail concep­tuel, créa­tif, alors qu’en anglais engi­neer est per­çu comme un simple déri­vé de engine « machine, moteur », et peut prendre le sens pra­tique de « méca­ni­cien, répa­ra­teur, dépan­neur ». Des mots qui ont pour­tant la même ori­gine latine.

Le point de départ est le latin inge­nium, élé­ment de l’immense famille du verbe latin genere « engen­drer, créer, pro­duire, faire naître, cau­ser », relié à la racine indo-euro­péenne *geno- « engen­drer ». D’où une mul­ti­tude de mots en fran­çais, tels que géné­rer, engen­drer, ger­mer, genre, géné­reux, gens, gent, gen­til, ingé­nu, génie… et donc aus­si engin, ingé­nieux, ingénieur.

L’ingénieur est ingénieux

Reve­nons en effet au latin inge­nium, qui dési­gnait d’abord les qua­li­tés natu­relles d’une chose, puis les dis­po­si­tions natu­relles d’un être humain et sur­tout son intel­li­gence, son talent, voire son génie (du latin genius) et fina­le­ment ce qu’il peut inven­ter (on est par­ti d’une chose et on y revient !). Et dans ce der­nier sens, inge­nium devient en ancien fran­çais engin (res­té en fran­çais moderne), d’où son déri­vé engi­gneor (XIIe siècle) pour celui qui conçoit et construit des engins. Et comme sou­vent, l’ancien fran­çais passe à l’anglais engine et engi­neer. Jusque-là, les mots fran­çais et anglais sont sem­blables, mais l’évolution du sens, sur­tout en fran­çais, va les différencier.

En effet, à tra­vers le sens d’« inven­ti­vi­té », le mot engin a pris très tôt en fran­çais le sens de « ruse » (cf. l’ancien pro­verbe « engin vaut mieux que force »). De plus, engin s’est appli­qué plus par­ti­cu­liè­re­ment aux machines de guerre, en même temps qu’aux dis­po­si­tifs tels que les engins de chasse. Et paral­lè­le­ment, l’ancien verbe eng(e)ignier signi­fiait « ima­gi­ner, inven­ter », « fabri­quer avec art et tech­nique », mais aus­si « tromper ».

C’est sans doute pour évi­ter ce sens péjo­ra­tif, que engi­gneor est refait au XVIe siècle en ingé­nieur, d’après ingé­nieux, plus valo­ri­sants, venant de l’adjectif inge­niuo­sus, déri­vé de ingé­nium déjà en latin. Ain­si, on sépa­rait la notion d’ingé­nieur de celle d’engin, trop conno­tée « trom­pe­rie » et trop spé­cia­li­sée « engin de guerre ».

Et en anglais ?

Les mots engine et engi­neer ont pris comme en fran­çais des sens liés à la ruse ou à la guerre, res­té dans l’armée amé­ri­caine pour le Corps of Engi­neers, c’est-à-dire le Corps du génie, mais le mot engine a conser­vé son sens com­mun de machine (aus­si moteur), d’où l’usage très appli­qué de engi­neer.

En fait, ingé­nieur en fran­çais se com­prend tan­tôt comme une fonc­tion, tan­tôt comme une qua­li­fi­ca­tion, le titre d’ingénieur, dont l’équivalent à l’étranger est un titre uni­ver­si­taire : bache­lor, PhD, Herr ou Frau Dok­tor en Alle­magne, où le mot Inge­nieur, repris tel quel au fran­çais, a un sens très pratique.

Épilogue

L’une des acti­vi­tés impor­tantes de l’ingénieur est le génie, mili­taire ou civil, indus­triel ou rural… Et cette fois, on pense à génial, mais pas en anglais, où le génie, tout court, se dit genius (le latin tel quel) et l’activité de l’ingénieur se dit engi­nee­ring, mot emprun­té en fran­çais. Un décret de 1973 recom­mande ingé­nie­rie, entré dans l’usage en effet, mais engi­nee­ring n’en est pas sor­ti pour autant. En défi­ni­tive, c’est par ce mot engi­nee­ring que l’anglais engi­neer, moins bien conno­té qu’ingé­nieur en fran­çais, s’est tout de même lar­ge­ment impo­sé dans le monde aca­dé­mique et industriel.

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