Étymologie :
À propos de l’internet des objets
Du filet à la toile d’araignée et au nid de guêpes, l’étymologie d’Internet renvoie virtuellement à des réalités bien réelles, voire inquiétantes. Le vieux rêve de communion universelle par la vertu de la connexion blogosphérique est parsemé de pièges.
Des pièges de toutes sortes
Internet est issu du latin inter « entre » et de l’anglais net « filet », lui-même abréviation de network « réseau ». Mais net se relie à une racine indo-européenne *nad-, à laquelle on peut rattacher aussi le latin nassa « nasse », lui-même en rapport possible avec les verbes nodare « nouer » et nectere « lier ».
Or un filet est un piège, encore plus efficace quand c’est une nasse. De plus, Internet héberge le (World Wide) Web, ou Toile (d’araignée), un autre piège en réseau, nom qui vient du latin retiolum, dérivé de rete « rets, filet ».
Filet, nasse, toile d’araignée, rets… pas étonnant que l’on devienne facilement accro à Internet et aux objets connectés.
Quant au verbe latin nectere « lier », il ne passe en français qu’avec un préfixe. Ainsi, conectere (= cum + nectere) devient en français connecter (to connect en anglais, de l’ancien français), et les objets connectés sont même interconnectés, avec un double préfixe qui tient du pléonasme.
D’ailleurs, on ressent aussi dans Internet une certaine redondance que l’on évite en parlant simplement du Net.
Mais revenons à nos objets connectés, qui sont bien réels mais reliés à des objets virtuels.
Objets réels, objets virtuels
Si le terme réel dérive sans surprise du latin res, rei « chose », par le bas latin realis « réel », le terme virtuel ne se comprend pas immédiatement.
Il faut partir en effet du latin vir, viri, qui désigne l’homme, par opposition à la femme. De là vient, logiquement, l’adjectif virilis « mâle, viril », en anglais virile, mais aussi le nom virtus qui désignait d’abord la force physique de l’homme, d’où son courage, notamment guerrier, et finalement les qualités humaines les plus élevées… ce qui aboutit en français à vertu (en anglais virtue, de l’ancien français, resté plus près du latin).
Ce nom désigne une qualité morale chez les humains, mais son sens originel se voit encore dans la vertu médicinale d’une plante, c’est-à-dire son pouvoir de guérison.
De virtus dérive l’adjectif latin virtuosus « empreint de vertu », qui aboutit, par l’italien virtuoso, à l’anglais virtuoso, emprunté tel quel, et au français virtuose (du piano… ou de l’ordinateur), alors que l’adjectif vertueux, du bas latin vertuus, est d’un emploi général.
Enfin, virtuel vient bel et bien de virtus par l’adjectif latin tardif (XVIIe siècle) virtualis, car ce qui est virtuel, c’est en puissance, c’est un potentiel dont la vertu est de dépasser le réel.
C’est ainsi que le virtuel peut être de la réalité augmentée, et l’on en vient même à considérer que le virtuel simule un autre réel possible : c’est la réalité virtuelle.
« Un oxymore : la réalité virtuelle »
Épilogue
À la connexité étymologique entre viril, virtuose, vertueux et virtuel répond une connexité, sémantique cette fois, entre Net, Toile et Web.
En effet, Net peut être un lointain cousin du latin nectere « lier », Toile vient du latin tela, issu de texere « tisser »… et Web, comme l’anglais to weave, l’allemand weben « tisser », font partie d’une famille indo-européenne où l’on trouve le nom sanskrit… de l’araignée : ūrnavābhis, formé de ‑vābhis « qui tisse » et de ūrna « toison, laine ».
Plus étonnant encore, le nom de la guêpe, en allemand Wespe, en anglais wasp, fait peut-être partie de cette même famille à cause du nid de guêpes, organisé en réseau.
En illustration : Le Chat de Philippe Geluck © Philippe Geluck
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