Accès à de nouvelles ressources : les défis des grands froids
Le projet de l’usine de liquéfaction de gaz Yamal LNG situé au delà du cercle polaire, auquel participe Total. Mise en service en 2017. Le transport du GNL est assuré par des méthaniers brise-glaces.
Pour demeurer l’un des principaux pourvoyeurs de gaz sur le long terme – voire repasser devant les États-Unis que les gaz de schiste ont propulsé au rang de premier producteur mondial –, la Russie doit relever deux défis majeurs : pallier le déclin des grands champs de production ; ouvrir de nouveaux débouchés pour ses productions, principalement vers l’Asie.
Les réserves situées dans le Grand Nord russe, et notamment dans la péninsule de Yamal, sont à la croisée de ces deux enjeux.
Abondantes – elles représentent dix ans de la consommation mondiale actuelle – elles constituent le seul relais connu à ce jour des gisements de Sibérie occidentale. Mais leur mise en valeur représente un défi technologique inédit, de même que leur transport vers les zones de consommation.
REPÈRES
Actuellement deuxième producteur mondial de gaz naturel, la Russie possède des réserves prouvées de gaz de l’ordre de 32 000 milliards de mètres cubes, soit 17 % des réserves mondiales.
Le GNL est une industrie encore récente pour le pays puisque sa première usine de liquéfaction n’a vu le jour qu’en 2009, sur l’île de Sakhaline.
En 2005, seuls 7 % des exports russes de gaz se faisaient sous forme de GNL.
YAMAL LNG, UN PROJET EMBLÉMATIQUE DU GRAND NORD RUSSE
Le projet Yamal LNG, dont les partenaires sont Novatek, Total, CNPC et Silk Road Fund, vise à développer le gigantesque gisement onshore de Tambey-Sud via la construction d’une usine de liquéfaction d’une capacité de production annuelle de 16,5 millions de tonnes.
“ La mise en valeur de ces gisements représente un défi technologique inédit ”
Un projet particulièrement complexe puisqu’il se situe dans une zone au-delà du cercle polaire, gelée sept à neuf mois par an, avec des températures qui peuvent chuter jusqu’à – 50 °C, sans compter la longue nuit polaire d’une durée de quatre à cinq mois.
Outre le tour de force logistique qu’a constitué la construction d’une installation industrielle dans une zone aussi inhospitalière, il a fallu mettre en œuvre des technologies appropriées pour produire à long terme en toute sécurité par grand froid.
On parle d’hivernisation des installations, laquelle consiste schématiquement à confiner les espaces pour limiter les déperditions de chaleur et éviter les chutes de neige sur les équipements de production.
La construction de l’usine s’est par ailleurs faite sur pergélisol (sols gelés en permanence). Cette contrainte constituait un défi majeur du fait de l’échelle inédite du projet : vaste étendue des installations et charges extrêmes des équipements à supporter (140 000 tonnes pour chaque réservoir de stockage !).
“ Produire à long terme en toute sécurité par grand froid ”
La solution retenue a consisté à ancrer des pieux de diamètre et de profondeur variables dans le pergélisol. Ces fondations permettent de pallier les aléas de variations de portance et de volume de la couche active, et assureront la stabilité de l’usine pendant toute la durée de vie du site, soit au moins cinquante ans.
Plusieurs dizaines de milliers de pieux ont ainsi été installés pour garantir la stabilité des trois trains de liquéfaction de l’usine, des unités de traitement et des quatre réservoirs de stockage.
MÉTHANIERS BRISE-GLACE : UNE PREMIÈRE DANS LE TRANSPORT DU GNL
La consommation mondiale de gaz augmente deux fois plus vite que celle de pétrole, et celle de GNL deux fois plus vite que celle du gaz en général. Le GNL contribue fortement à l’internationalisation et à la flexibilité des marchés du gaz. Pour un pays comme la Russie qui cherche à ouvrir de nouveaux débouchés pour ses productions, le GNL est donc très attractif.
Lancement en janvier 2016 du premier méthanier ARC 7 au chantier DSME en Corée du Sud. © LAURENT MALLEJAC / TOTAL
DES MÉTHANIERS D’UN NOUVEAU GENRE
Dotés d’une coque renforcée, ces méthaniers sont classés ARC 7 suivant la notation du Russian Maritime Register of Shipping. D’une capacité de 172 600 m³, ils sont à double action : une étrave de profil brise-glace modéré permet au bateau d’ avancer plus facilement en eaux libres et dans des conditions de glace légère, jusqu’à 1,5 mètre d’épaisseur ; dans une glace plus épaisse, le navire tourne à 180° et progresse en marche arrière. Le profil brise-glace lourd de la coque au niveau de la poupe lui permet alors de naviguer en cassant jusqu’à 2,1 mètres de glace.
Cependant, le site de Yamal LNG est construit sur les bords de l’Ob, un fleuve pris par les glaces huit mois par an. Déverrouiller l’accès au site était donc un enjeu majeur. Couplé à l’action des navires et des jetées brise-glace dans le port, un système de déglaçage par diffusion de bulles et d’injection d’eau sera installé en fond de bassin portuaire.
Il contribuera à minimiser la formation de glaces résiduelles provoquée par le trafic des navires, glaces qui tendent à s’accumuler en gros bourrelets le long des quais.
Par ailleurs, toujours pour s’affranchir des glaces, des navires d’un nouveau genre ont été conçus : des méthaniers brise-glace. Concentrés de technologie, ils permettent d’assurer efficacement le transport de grandes quantités de GNL pendant toute l’année et sans assistance de brise-glace.
Quinze de ces méthaniers de nouvelle génération vont être mis en service progressivement. Le premier d’entre eux, propriété de l’armateur Sovcomflot, a d’ores et déjà été livré et porte le nom de Christophe de Margerie. Actuellement en phase d’essai en mer, il sera testé en glace durant l’hiver 2017 et baptisé au printemps.
Pour exporter du GNL vers l’Asie toute l’année, les méthaniers emprunteront soit le passage du Nord-Est durant l’été, soit la route de l’Ouest vers l’Europe du Nord où leurs cargaisons seront transbordées en routine dans le terminal GNL belge de Zeebrugge pour rejoindre l’Asie par le canal de Suez.
La route du Nord- Est a pour avantage de mettre l’Asie à quinze jours de voyage du port de Sabetta, d’où partiront les cargaisons, contre trente jours par le canal de Suez.
Yamal LNG, dont le démarrage est programmé fin 2017, est aujourd’hui l’un des plus grands projets de GNL au monde. En dépit d’investissements lourds, c’est un projet qui reste concurrentiel grâce à son faible coût d’exploitation.
Yamal LNG est une formidable vitrine du savoir-faire technologique français puisque, aux côtés de Total, on trouve le parapétrolier Technip, le groupe Vinci pour la construction des bacs de stockage, l’équipementier GEA BTT qui a fourni les 400 échangeurs thermiques de l’usine ou encore Cryostar pour les pompes et compresseurs cryogéniques.