Visite France Industrie à la centrale nucléaire du Blayais le 16 octobre 2024. Les représentants des fédérations et des entreprises membres de France Industrie ont été accueillis par Charlotte Maes (X95), directrice du site.

Accompagner les industries françaises vers la décarbonation

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Bertrand de SINGLY (X95)

Ber­trand de Sin­gly (X95), direc­teur géné­ral adjoint de l’association pro­fes­sion­nelle repré­sen­tante de l’industrie fran­çaise, France Indus­trie, revient sur les enjeux rela­tifs à la décar­bo­na­tion qui mobi­lisent l’ensemble du secteur.

Qui est France Industrie ?

France Indus­trie a vu le jour en 2018. France Indus­trie est l’association qui repré­sente de manière uni­fiée les inté­rêts des indus­triels qui pro­duisent en France. Nous avons la par­ti­cu­la­ri­té d’avoir une orga­ni­sa­tion duale : nous comp­tons par­mi nos adhé­rents une tren­taine de fédé­ra­tions indus­trielles et une cin­quan­taine de grandes entre­prises indus­trielles. La diver­si­té de nos membres nous per­met de cou­vrir l’intégralité de l’industrie au sens large en com­bi­nant indus­tries manu­fac­tu­rières, indus­tries éner­gé­tiques et uti­li­tés, soit en France 13 % du PIB.

France Indus­trie a aus­si créé un Club Tech Fac­to­ry qui réunis­sait alors une ving­taine de start-up indus­trielles afin d’avoir une meilleure visi­bi­li­té sur les besoins et les enjeux de ces acteurs. Peu à peu, avec le sou­tien de France Indus­trie, le club a évo­lué : c’est désor­mais une orga­ni­sa­tion à part entière, Start Indus­trie, qui fédère tous les réseaux de start-up indus­trielles, dont la bio­tech, la chemtech…

« France Industrie s’appuie aussi sur une représentation en région qui nous permet de garder un contact continu et direct avec les territoires. »

France Indus­trie s’appuie aus­si sur une repré­sen­ta­tion en région qui nous per­met de gar­der un contact conti­nu et direct avec les ter­ri­toires. Dans chaque région, nous avons un ou deux chefs de file qui nous remontent les attentes, les évo­lu­tions et les signaux faibles en pro­ve­nance des ter­ri­toires dans le cadre de réunions orga­ni­sées tout au long de l’année.

Ins­tal­lée à Paris et Bruxelles, France Indus­trie défend les inté­rêts des indus­triels à l’échelle fran­çaise, mais aus­si euro­péenne, car, aujourd’hui, la majo­ri­té des régle­men­ta­tions qui s’appliquent à l’industrie en France sont natio­nales ou bien communautaires.

Depuis 2020, Alexandre Sau­bot (X86) est le pré­sident de France Indus­trie. Direc­teur géné­ral d’une ETI indus­trielle basée en France et à l’international, ancien pré­sident de l’UIMM, il est aus­si vice-pré­sident du Conseil natio­nal de l’industrie mis en place par l’État en 2010 et qui asso­cie l’État, l’industrie et la socié­té civile (repré­sen­tants des sala­riés et per­son­na­li­tés qua­li­fiées), dans une for­ma­tion plé­nière et 19 comi­tés stra­té­giques de filière.

Enfin, au niveau de notre gou­ver­nance, nous asso­cions le monde des fédé­ra­tions et des entre­prises : notre Vice-Pré­sident est Patrice Caine (X89), pré­sident-direc­teur géné­ral de Thales.

Visite France Industrie à la centrale nucléaire du Blayais le 16 octobre 2024. Les représentants des fédérations et des entreprises membres de France Industrie ont été accueillis par Charlotte Maes (X95), directrice du site.Grâce à un mix électrique alliant nucléaire et énergies renouvelables, la France dispose d’un atout majeur pour décarboner la production industrielle.
Visite France Indus­trie à la cen­trale nucléaire du Blayais le 16 octobre 2024. Les repré­sen­tants des fédé­ra­tions et des entre­prises membres de France Indus­trie ont été accueillis par Char­lotte Maes (X95), direc­trice du site. Grâce à un mix élec­trique alliant nucléaire et éner­gies renou­ve­lables, la France dis­pose d’un atout majeur pour décar­bo­ner la pro­duc­tion industrielle.

Quelles sont vos missions ?

Notre prin­ci­pale mis­sion est de défendre les inté­rêts de l’industrie de manière uni­fiée. Pour ce faire, nous cou­vrons des sujets trans­verses à plu­sieurs sec­teurs indus­triels. On peut citer le domaine fis­cal qui peut peser de manière posi­tive ou néga­tive sur la production.

Actuel­le­ment alors que le pro­jet de bud­get 2025 est dis­cu­té au Par­le­ment, nous sommes mobi­li­sés pour que, sans igno­rer l’enjeu de l’équilibre des comptes publics, le dif­fé­ren­tiel en matière de dis­po­si­tions rela­tives au coût du tra­vail et de pré­lè­ve­ments pour l’industrie ne soit pas aggra­vé sachant qu’il est déjà glo­ba­le­ment défa­vo­rable par rap­port aux autres pays européens.

Nous avons par exemple en France des dis­po­si­tifs qui sou­tiennent l’industrie, comme le cré­dit impôt recherche (CIR), qui faci­lite l’implantation et le main­tien de labo­ra­toires de recherche ados­sés à la pro­duc­tion indus­trielle. Nous sommes convain­cus que le CIR a été vec­teur de réin­dus­tria­li­sa­tion et qu’il serait contre-pro­duc­tif d’altérer ce dis­po­si­tif même à la marge.

Par ailleurs, nous sommes atten­tifs au contexte régle­men­taire, comme les règles d’éco-contribution et les REP (res­pon­sa­bi­li­té élar­gie du pro­duc­teur), qui poussent chaque filière à orga­ni­ser la récu­pé­ra­tion et le recy­clage des déchets. Leur orga­ni­sa­tion actuelle entraîne un coût qui croît extrê­me­ment rapi­de­ment et qui, in fine, pèse sur les acteurs de la chaîne de valeur qui mettent les pro­duits sur le mar­ché. Si ces dis­po­si­tifs ne sont pas fine­ment maî­tri­sés, cette situa­tion peut entraî­ner une infla­tion des coûts assez forte.

« France Industrie défend toutes les démarches et mesures de simplification et d’accélération au service de la création ou du développement d’usines. »

Nous défen­dons aus­si toutes les démarches et mesures de sim­pli­fi­ca­tion et d’accélération au ser­vice de la créa­tion ou du déve­lop­pe­ment d’usines. Nous sou­hai­tons accé­lé­rer toutes les démarches visant à allé­ger les repor­tings qui pèsent sur les entre­prises : en par­ti­cu­lier une refonte des textes sur les indi­ca­teurs RSE (CSRD) ou le devoir de vigi­lance (CS3D) est pour nous indis­pen­sable dès 2025.

Enfin, nous por­tons un cer­tain nombre de sujets avec d’autres orga­ni­sa­tions et fédé­ra­tions. Avec l’UIMM, nous tra­vaillons sur la ques­tion des charges sociales – avec l’exemple récent des tra­vaux des éco­no­mistes Bozio et Wasmer.

France Indus­trie appré­hende donc un très large panel de sujets, tou­jours via le prisme de l’industrie. Nous sui­vons aus­si avec beau­coup de vigi­lance les décla­ra­tions du gou­ver­ne­ment afin que le sou­tien à l’industrie et la réin­dus­tria­li­sa­tion, d’un côté, ne soit pas péna­li­sé, d’un autre côté, par des contraintes ou des mesures qui peuvent péna­li­ser l’industrie.

Depuis 2015, on note une inflexion très nette sur la créa­tion d’emplois dans l’industrie. Il faut main­te­nir cette dyna­mique pour reve­nir à un cer­tain taux d’emploi indus­triel. Aujourd’hui, nous sommes à 10 % du PIB pour le seul sec­teur manu­fac­tu­rier. L’idée est de reve­nir à 12 % à l’horizon 2030–2035.

Nous sommes convain­cus qu’il est pos­sible d’aller cher­cher ces 2 % de manière rai­son­née, y com­pris pour les finances publiques.

Qu’en est-il plus particulièrement de la question de la décarbonation ?

Aujourd’hui, l’industrie doit com­po­ser avec une nou­velle com­po­sante : la décar­bo­na­tion. L’industrie fran­çaise repré­sente 17 % des gaz à effet de serre de l’ensemble du pays. Pour aider les indus­triels à appré­hen­der ce défi, nous avons une double approche en cohé­rence avec la démarche gou­ver­ne­men­tale. Il s’agit tout d’abord d’identifier les sites et les sec­teurs les plus émet­teurs afin d’établir des tra­jec­toires réa­listes de décar­bo­na­tion. Dans un second temps, il s’agit de dupli­quer cette démarche à la maille des PME et des ETI indus­trielles sur l’ensemble du territoire.

Dans ce cadre, plu­sieurs ins­tru­ments ont été mis en place pour accom­pa­gner ses démarches. Le plus impor­tant reste France 2030, qui en coor­di­na­tion avec des acteurs comme l’Ademe et la Banque des Ter­ri­toires, accom­pagne cette démarche au tra­vers d’un méca­nisme d’appel à pro­jets, visant à déployer des plans de décar­bo­na­tion. Pour être en ligne, avec les objec­tifs fixés, des ins­tru­ments com­plé­men­taires sont néces­saires, notam­ment sur le volet investissement.

Il est néan­moins inté­res­sant de noter que cer­tains pans de l’industrie se décar­bonent très rapi­de­ment : l’industrie a beau­coup plus pro­gres­sé que l’agriculture, le bâti­ment ou les transports.

Aujourd’hui, se pose aus­si la ques­tion de la capa­ci­té des sites exis­tants à réa­li­ser les inves­tis­se­ments néces­saires à la décar­bo­na­tion, alors que les nou­velles indus­tries qui se déve­loppent en France intègrent « de série » ce nou­veau paramètre.

“La décarbonation représente également des opportunités de développement et d’évolution du business modèle pour les industriels.”

Très sou­vent, la décar­bo­na­tion implique pour un indus­triel de modi­fier son pro­ces­sus indus­triel. Nous pro­mou­vons tous les méca­nismes qui contri­buent au déve­lop­pe­ment de l’électrification, de l’hydrogène, du gaz renou­ve­lable ou de la cha­leur renou­ve­lable. Nous sou­te­nons éga­le­ment toutes les actions et mesures en faveur de la sobrié­té et de l’efficacité énergétique.

Lorsqu’il s’agit de pas­ser à l’électrique ou à une forme d’hybridation, une vision à long terme du mar­ché de l’électricité est indis­pen­sable. Un des enjeux de la réforme du mar­ché élec­trique est de don­ner la pos­si­bi­li­té struc­tu­relle aux indus­triels de contrac­ter, sur des hori­zons de temps longs, des res­sources d’électricité avec une visi­bi­li­té suf­fi­sante sur la quan­ti­té d’électricité acces­sible et le prix cible accessible.

Au-delà, la décar­bo­na­tion repré­sente éga­le­ment des oppor­tu­ni­tés de déve­lop­pe­ment et d’évolution du busi­ness modèle pour les indus­triels. Par exemple, dans le trans­port, il s’agit de déve­lop­per des avions qui consomment moins ou des car­bu­rants moins fos­siles, des bateaux au gaz liqué­fié ou au métha­nol, des camions non-die­sel et des voi­tures élec­triques… Autant d’opportunités, que nos indus­triels peuvent sai­sir pour se posi­tion­ner sur de nou­veaux segments.

Aujourd’hui, de nom­breux sujets liés à la décar­bo­na­tion res­tent en sus­pens. C’est notam­ment le cas du modèle éco­no­mique de l’hydrogène ou encore de la cap­ture de car­bone… Pour accom­pa­gner ces réflexions et valo­ri­ser les inté­rêts des indus­triels, nous par­ti­ci­pons à tous les tra­vaux qui sont pilo­tés par les minis­tères de l’Industrie et de l’Écologie, ain­si que le secré­ta­riat de la pla­ni­fi­ca­tion éco­lo­gique… C’est un tra­vail com­plé­men­taire à celui que nous menons déjà au niveau de nos filières.

Quels sont les freins et les enjeux qui persistent dans cette démarche de décarbonation, selon vous ?

Le pre­mier frein est direc­te­ment relié à la com­pé­ti­tion mon­diale. Il y a des dif­fé­rences pro­fondes d’un pays à un autre en matière de stra­té­gie de décar­bo­na­tion. Aujourd’hui, l’Europe est la pla­te­forme géo­gra­phique la plus avan­cée. Il s’agit donc de garan­tir des condi­tions équi­tables dans les échanges de biens. Cela passe, par exemple, par la mise en place de méca­nismes de taxes car­bone aux fron­tières sur un pro­duit pro­ve­nant d’une géo­gra­phie « décar­bo­née » afin de réta­blir un cer­tain équilibre.

Nous dis­po­sons d’un méca­nisme d’ajustement car­bone aux fron­tières, mais qui est extrê­me­ment com­plexe à implan­ter. Il est urgent de mettre au point des dis­po­si­tifs qui per­met­tront de pro­mou­voir une com­pé­ti­tion équi­table et d’éviter l’importation de pro­duits plus car­bo­nés en Europe.

Un autre frein – et c’est para­doxal pour les enjeux de pou­voir d’achat – réside aus­si dans le fait que le prix du car­bone n’est pas assez éle­vé. Pour encou­ra­ger et péren­ni­ser les démarches de décar­bo­na­tion, il faut un véri­table gain. Pour ce faire, un des leviers est le signal prix sur le car­bone. Plus il sera éle­vé, plus la décar­bo­na­tion fera sens sur le plan éco­no­mique. Néan­moins, il s’agit là encore d’une démarche com­plexe puisqu’elle est dépen­dante de la stra­té­gie d’autres pays, mais éga­le­ment de la poli­tique euro­péenne et du jeu de la concur­rence entre les pays. 

« Forindustrie, l’Univers Extraordinaire » est la plateforme qui s’inspire du jeu vidéo pour faire découvrir l’industrie et son utilité concrète au quotidien. Et à l’occasion de la Semaine de l’industrie, elle lance le Grand Défi pour tous les scolaires, du 18 novembre au 6 décembre 2024. Forindustrie est un projet piloté par Christine Baze (X88).
« Forin­dus­trie, l’Univers Extra­or­di­naire » est la pla­te­forme qui s’inspire du jeu vidéo pour faire décou­vrir l’industrie et son uti­li­té concrète au quo­ti­dien. Et à l’occasion de la Semaine de l’industrie, elle lance le Grand Défi pour tous les sco­laires, du 18 novembre
au 6 décembre 2024. Forin­dus­trie est un pro­jet pilo­té par Chris­tine Baze (X88).

Pour relever ces défis et mener de front l’ensemble de ces chantiers, l’industrie française a aussi un enjeu de capital humain ? 

En effet, nous avons besoin d’hommes et de femmes de talent ! Nous mul­ti­plions les ini­tia­tives en lien avec nos dif­fé­rents par­te­naires auprès des jeunes, notam­ment les col­lé­giens et lycéens, afin de pro­mou­voir nos métiers, sus­ci­ter des voca­tions et accé­lé­rer la fémi­ni­sa­tion de nos métiers.

Pour conclure, quelles pistes de réflexion pour­riez-vous par­ta­ger avec nos lecteurs ?

Nous res­tons opti­mistes. Notre indus­trie a tou­jours été en mesure de rele­ver les défis aux­quels elle a été confron­tée, mais éga­le­ment aux­quels la France a été confron­tée. Aujourd’hui, nous sommes face à un défi col­lec­tif et nous devons ensemble trou­ver des solu­tions pour pro­duire davan­tage en France, et en Europe. France Indus­trie est plei­ne­ment enga­gée dans cette démarche et à tous les niveaux. 

Poster un commentaire