Accompagner les industries françaises vers la décarbonation
Bertrand de Singly (X95), directeur général adjoint de l’association professionnelle représentante de l’industrie française, France Industrie, revient sur les enjeux relatifs à la décarbonation qui mobilisent l’ensemble du secteur.
Qui est France Industrie ?
France Industrie a vu le jour en 2018. France Industrie est l’association qui représente de manière unifiée les intérêts des industriels qui produisent en France. Nous avons la particularité d’avoir une organisation duale : nous comptons parmi nos adhérents une trentaine de fédérations industrielles et une cinquantaine de grandes entreprises industrielles. La diversité de nos membres nous permet de couvrir l’intégralité de l’industrie au sens large en combinant industries manufacturières, industries énergétiques et utilités, soit en France 13 % du PIB.
France Industrie a aussi créé un Club Tech Factory qui réunissait alors une vingtaine de start-up industrielles afin d’avoir une meilleure visibilité sur les besoins et les enjeux de ces acteurs. Peu à peu, avec le soutien de France Industrie, le club a évolué : c’est désormais une organisation à part entière, Start Industrie, qui fédère tous les réseaux de start-up industrielles, dont la biotech, la chemtech…
« France Industrie s’appuie aussi sur une représentation en région qui nous permet de garder un contact continu et direct avec les territoires. »
France Industrie s’appuie aussi sur une représentation en région qui nous permet de garder un contact continu et direct avec les territoires. Dans chaque région, nous avons un ou deux chefs de file qui nous remontent les attentes, les évolutions et les signaux faibles en provenance des territoires dans le cadre de réunions organisées tout au long de l’année.
Installée à Paris et Bruxelles, France Industrie défend les intérêts des industriels à l’échelle française, mais aussi européenne, car, aujourd’hui, la majorité des réglementations qui s’appliquent à l’industrie en France sont nationales ou bien communautaires.
Depuis 2020, Alexandre Saubot (X86) est le président de France Industrie. Directeur général d’une ETI industrielle basée en France et à l’international, ancien président de l’UIMM, il est aussi vice-président du Conseil national de l’industrie mis en place par l’État en 2010 et qui associe l’État, l’industrie et la société civile (représentants des salariés et personnalités qualifiées), dans une formation plénière et 19 comités stratégiques de filière.
Enfin, au niveau de notre gouvernance, nous associons le monde des fédérations et des entreprises : notre Vice-Président est Patrice Caine (X89), président-directeur général de Thales.
Quelles sont vos missions ?
Notre principale mission est de défendre les intérêts de l’industrie de manière unifiée. Pour ce faire, nous couvrons des sujets transverses à plusieurs secteurs industriels. On peut citer le domaine fiscal qui peut peser de manière positive ou négative sur la production.
Actuellement alors que le projet de budget 2025 est discuté au Parlement, nous sommes mobilisés pour que, sans ignorer l’enjeu de l’équilibre des comptes publics, le différentiel en matière de dispositions relatives au coût du travail et de prélèvements pour l’industrie ne soit pas aggravé sachant qu’il est déjà globalement défavorable par rapport aux autres pays européens.
Nous avons par exemple en France des dispositifs qui soutiennent l’industrie, comme le crédit impôt recherche (CIR), qui facilite l’implantation et le maintien de laboratoires de recherche adossés à la production industrielle. Nous sommes convaincus que le CIR a été vecteur de réindustrialisation et qu’il serait contre-productif d’altérer ce dispositif même à la marge.
Par ailleurs, nous sommes attentifs au contexte réglementaire, comme les règles d’éco-contribution et les REP (responsabilité élargie du producteur), qui poussent chaque filière à organiser la récupération et le recyclage des déchets. Leur organisation actuelle entraîne un coût qui croît extrêmement rapidement et qui, in fine, pèse sur les acteurs de la chaîne de valeur qui mettent les produits sur le marché. Si ces dispositifs ne sont pas finement maîtrisés, cette situation peut entraîner une inflation des coûts assez forte.
« France Industrie défend toutes les démarches et mesures de simplification et d’accélération au service de la création ou du développement d’usines. »
Nous défendons aussi toutes les démarches et mesures de simplification et d’accélération au service de la création ou du développement d’usines. Nous souhaitons accélérer toutes les démarches visant à alléger les reportings qui pèsent sur les entreprises : en particulier une refonte des textes sur les indicateurs RSE (CSRD) ou le devoir de vigilance (CS3D) est pour nous indispensable dès 2025.
Enfin, nous portons un certain nombre de sujets avec d’autres organisations et fédérations. Avec l’UIMM, nous travaillons sur la question des charges sociales – avec l’exemple récent des travaux des économistes Bozio et Wasmer.
France Industrie appréhende donc un très large panel de sujets, toujours via le prisme de l’industrie. Nous suivons aussi avec beaucoup de vigilance les déclarations du gouvernement afin que le soutien à l’industrie et la réindustrialisation, d’un côté, ne soit pas pénalisé, d’un autre côté, par des contraintes ou des mesures qui peuvent pénaliser l’industrie.
Depuis 2015, on note une inflexion très nette sur la création d’emplois dans l’industrie. Il faut maintenir cette dynamique pour revenir à un certain taux d’emploi industriel. Aujourd’hui, nous sommes à 10 % du PIB pour le seul secteur manufacturier. L’idée est de revenir à 12 % à l’horizon 2030–2035.
Nous sommes convaincus qu’il est possible d’aller chercher ces 2 % de manière raisonnée, y compris pour les finances publiques.
Qu’en est-il plus particulièrement de la question de la décarbonation ?
Aujourd’hui, l’industrie doit composer avec une nouvelle composante : la décarbonation. L’industrie française représente 17 % des gaz à effet de serre de l’ensemble du pays. Pour aider les industriels à appréhender ce défi, nous avons une double approche en cohérence avec la démarche gouvernementale. Il s’agit tout d’abord d’identifier les sites et les secteurs les plus émetteurs afin d’établir des trajectoires réalistes de décarbonation. Dans un second temps, il s’agit de dupliquer cette démarche à la maille des PME et des ETI industrielles sur l’ensemble du territoire.
Dans ce cadre, plusieurs instruments ont été mis en place pour accompagner ses démarches. Le plus important reste France 2030, qui en coordination avec des acteurs comme l’Ademe et la Banque des Territoires, accompagne cette démarche au travers d’un mécanisme d’appel à projets, visant à déployer des plans de décarbonation. Pour être en ligne, avec les objectifs fixés, des instruments complémentaires sont nécessaires, notamment sur le volet investissement.
Il est néanmoins intéressant de noter que certains pans de l’industrie se décarbonent très rapidement : l’industrie a beaucoup plus progressé que l’agriculture, le bâtiment ou les transports.
Aujourd’hui, se pose aussi la question de la capacité des sites existants à réaliser les investissements nécessaires à la décarbonation, alors que les nouvelles industries qui se développent en France intègrent « de série » ce nouveau paramètre.
“La décarbonation représente également des opportunités de développement et d’évolution du business modèle pour les industriels.”
Très souvent, la décarbonation implique pour un industriel de modifier son processus industriel. Nous promouvons tous les mécanismes qui contribuent au développement de l’électrification, de l’hydrogène, du gaz renouvelable ou de la chaleur renouvelable. Nous soutenons également toutes les actions et mesures en faveur de la sobriété et de l’efficacité énergétique.
Lorsqu’il s’agit de passer à l’électrique ou à une forme d’hybridation, une vision à long terme du marché de l’électricité est indispensable. Un des enjeux de la réforme du marché électrique est de donner la possibilité structurelle aux industriels de contracter, sur des horizons de temps longs, des ressources d’électricité avec une visibilité suffisante sur la quantité d’électricité accessible et le prix cible accessible.
Au-delà, la décarbonation représente également des opportunités de développement et d’évolution du business modèle pour les industriels. Par exemple, dans le transport, il s’agit de développer des avions qui consomment moins ou des carburants moins fossiles, des bateaux au gaz liquéfié ou au méthanol, des camions non-diesel et des voitures électriques… Autant d’opportunités, que nos industriels peuvent saisir pour se positionner sur de nouveaux segments.
Aujourd’hui, de nombreux sujets liés à la décarbonation restent en suspens. C’est notamment le cas du modèle économique de l’hydrogène ou encore de la capture de carbone… Pour accompagner ces réflexions et valoriser les intérêts des industriels, nous participons à tous les travaux qui sont pilotés par les ministères de l’Industrie et de l’Écologie, ainsi que le secrétariat de la planification écologique… C’est un travail complémentaire à celui que nous menons déjà au niveau de nos filières.
Quels sont les freins et les enjeux qui persistent dans cette démarche de décarbonation, selon vous ?
Le premier frein est directement relié à la compétition mondiale. Il y a des différences profondes d’un pays à un autre en matière de stratégie de décarbonation. Aujourd’hui, l’Europe est la plateforme géographique la plus avancée. Il s’agit donc de garantir des conditions équitables dans les échanges de biens. Cela passe, par exemple, par la mise en place de mécanismes de taxes carbone aux frontières sur un produit provenant d’une géographie « décarbonée » afin de rétablir un certain équilibre.
Nous disposons d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, mais qui est extrêmement complexe à implanter. Il est urgent de mettre au point des dispositifs qui permettront de promouvoir une compétition équitable et d’éviter l’importation de produits plus carbonés en Europe.
Un autre frein – et c’est paradoxal pour les enjeux de pouvoir d’achat – réside aussi dans le fait que le prix du carbone n’est pas assez élevé. Pour encourager et pérenniser les démarches de décarbonation, il faut un véritable gain. Pour ce faire, un des leviers est le signal prix sur le carbone. Plus il sera élevé, plus la décarbonation fera sens sur le plan économique. Néanmoins, il s’agit là encore d’une démarche complexe puisqu’elle est dépendante de la stratégie d’autres pays, mais également de la politique européenne et du jeu de la concurrence entre les pays.
Pour relever ces défis et mener de front l’ensemble de ces chantiers, l’industrie française a aussi un enjeu de capital humain ?
En effet, nous avons besoin d’hommes et de femmes de talent ! Nous multiplions les initiatives en lien avec nos différents partenaires auprès des jeunes, notamment les collégiens et lycéens, afin de promouvoir nos métiers, susciter des vocations et accélérer la féminisation de nos métiers.
Pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Nous restons optimistes. Notre industrie a toujours été en mesure de relever les défis auxquels elle a été confrontée, mais également auxquels la France a été confrontée. Aujourd’hui, nous sommes face à un défi collectif et nous devons ensemble trouver des solutions pour produire davantage en France, et en Europe. France Industrie est pleinement engagée dans cette démarche et à tous les niveaux.