Accueillir des jeunes en difficulté : l’expérience de Suez Lyonnaise des Eaux à Nantes
Le Groupe Lyonnaise des Eaux s’était fixé en 1994 l’objectif d’accueillir 1 500 jeunes par an ; cet engagement, qui a été maintenu après la création du nouveau Groupe Suez Lyonnaise des Eaux en 1997, a pris en particulier la forme de conventions locales d’insertion permettant l’intégration de jeunes en difficulté.
Celles-ci n’auraient pas vu le jour sans une coopération très intense avec la Délégation interministérielle à l’insertion des jeunes et les Missions locales.
Dans le Groupe, un réseau de délégués régionaux pour l’emploi des jeunes a été spécialement constitué pour appuyer les responsables des Ressources humaines des différentes sociétés.
Plusieurs types d’actions ont ainsi été développés : convention d’insertion, partenariat permettant d’utiliser les réseaux des entreprises d’insertion, parrainage, participation au capital d’une société d’intérim employant des personnes en parcours d’insertion.
Les équipes locales de Lyonnaise des Eaux (nom de marque de l’activité Eau du groupe) ont été moteurs de cette innovation, comme le montre ce qui a été fait dans les Pays-de-la-Loire depuis 1994 où il a été délibérément choisi d’accueillir des jeunes en grande difficulté et sans qualification pour tenter de briser le cercle vicieux de l’exclusion.
Les chiffres semblent dérisoires : deux embauches ici, quatre là, sept ailleurs… Une goutte d’eau face aux objectifs quantitatifs de recrutement. Pour humble qu’elle paraisse, la démarche est importante, qualitative. Il s’agit de trouver dans chaque cas les bonnes réponses pour faire coïncider projet professionnel et projet personnel.
De nombreux jeunes viennent demander un emploi à la Mission locale. En difficulté, ils viennent chercher une deuxième chance : celle qui remplacera le ratage de leur scolarité. Rejetant le dispositif scolaire, ils ne veulent plus de formation initiale et ne disposent donc d’aucune formation validée. Les intégrer en entreprise n’est pas facile, cela nécessite un accueil lourd. L’attention de chacun est nécessaire pour éviter tout faux pas que le jeune, se sentant humilié, ne supporterait pas.
Octobre 1994 à avril 1995 : une première étape permet d’installer le dispositif
La région Pays-de-la-Loire est la première du Groupe Suez Lyonnaise des Eaux à avoir mis en place une convention d’insertion pour les jeunes en difficulté. En octobre 1994, huit sociétés du groupe ont signé une convention avec la Mission locale de Nantes pour l’insertion de huit jeunes.
Ces jeunes étaient embauchés sous forme de contrat en alternance pendant six mois après une première période de mise à niveau. La partie formation était réalisée par le GRETA. Un tuteur professionnel était nommé dans chaque cas.
Sur les huit jeunes, cinq sont restés au sein des entreprises où ils se sont bien intégrés. Il leur a été proposé des contrats à durée indéterminée, des contrats à durée déterminée, des contrats d’apprentissage ou de qualification.
Janvier 1996 à juin 1996 : le succès dépend en partie de notre capacité à élargir les partenariats
Forte de cette expérience, la Délégation régionale a décidé, avec la Mission locale, de reconduire ce dispositif en lui donnant un véritable statut d’expérimentation sociale.
Après avoir soumis un dossier au ministère à l’Insertion des Jeunes, des fonds ont été obtenus afin de réaliser un livre à l’usage des entreprises qui souhaitent se lancer dans de tels projets.
D’autre part, pour la deuxième convention, il a été décidé d’élargir le dispositif à des sociétés extérieures au Groupe. Ceci permettait de vérifier que cette intégration pouvait se réaliser dans d’autres contextes (industriel). Enfin, il a été décidé de personnaliser les formations et de travailler sur un territoire élargi avec d’autres Missions locales (Parthenay et Saint-Nazaire). Un soin particulier a été porté à la coordination du dispositif afin de suivre et d’évaluer socialement et professionnellement chaque jeune.
Quatorze jeunes en difficulté ont été recrutés par huit sociétés du Groupe et trois sociétés extérieures au Groupe.
Sur les quatorze jeunes, sept sont restés au sein des entreprises.
Novembre 1997 à avril 1998 : l’expérience de Nantes s’expatrie… vers Saint-Nazaire
Cette expérience d’insertion de jeunes en difficulté est très positive et permet d’obtenir de bons résultats en ayant une méthodologie adaptée au public et en s’appuyant sur des structures telles que les Missions locales. Le mérite de cette troisième convention a été d’amener de nouveaux partenaires à y participer.
Cette forme de convention a été reprise par la Mission locale de Saint-Nazaire pour la grande distribution.
Une troisième convention a ensuite été signée à Saint-Nazaire sur le modèle des précédentes.
À ce jour, pour ce qui est de Suez Lyonnaise des Eaux, un jeune est en contrat de qualification, un autre est toujours en contrat d’orientation, un troisième a trouvé son orientation (peinture en carrosserie) et le dernier ne sera pas gardé. Pour les sociétés extérieures au Groupe, 50 % resteront dans les entreprises.
Participation au capital d’une Société d’intérim d’insertion
Depuis trois ans, les sociétés du Groupe de la région Pays-de-la-Loire collaborent par ailleurs avec INSERIM, entreprise d’intérim qui emploie des personnes en difficulté.
Cette nouvelle forme de partenariat a permis de faire travailler des personnes qui suivaient un parcours d’insertion. Les sociétés du Groupe s’adressent à cette Société pour trouver des intérimaires, comme elles pourraient le faire avec d’autres sociétés d’intérim. Les résultats de cette petite société à but social sont particulièrement encourageants, aussi bien sur un plan social que financier.
Quatre ans après ou le parcours d’une réussite individuelle
Hamo Meckelleche a été recruté lors de la première convention Lyonnaise des Eaux en octobre 1994. Il a commencé par un contrat de qualification de six mois en tant que terrassier au service travaux de Cholet.
La Mission locale l’a aidé à trouver un logement. M. Gobé, son tuteur, lui a montré son travail et veillé à son intégration au sein de l’équipe.
Tous les soirs, M. Gobé recevait Hamo Meckelleche dans son bureau et faisait le point sur la journée. Hamo s’est assez vite intégré dans l’équipe et a essayé de comprendre le métier. Ce n’était pas facile tous les jours de se lever après une journée de terrassement, mais il l’a fait et a tenu bon.
Pas facile pour un tuteur de savoir ce qui se fait ou ce qui se dit sur un chantier. Des malentendus peuvent naître de commentaires. « Faut être cool, dit Hamo, ne pas prendre ce que certains disent pour du racisme… » Certains réflexes sont faciles, mais peuvent faire mal : « Pourquoi prendre un jeune inconnu quand j’ai des membres de ma famille plus qualifiés et au chômage depuis longtemps ? » Pas évident, non plus, pour le tuteur de bien connaître le contexte familial : « Mes parents n’étaient pas trop d’accord au début parce que je gagnais la moitié du SMIC et qu’ils trouvaient ça trop peu. Je les ai quittés pour aller dans un foyer de jeunes travailleurs. C’est difficile quand on commence à travailler : je me couchais à 22 heures, crevé, et les autres voulaient faire la fête ou faisaient du bruit. »
En milieu de parcours, Hamo a eu une petite période de découragement ; il faisait beaucoup d’efforts, mais il était persuadé qu’il ne serait pas gardé. En effet, à 22 ans, après avoir fait tous les types de contrats qui s’offraient à lui, aucun employeur ne l’avait gardé.
À ce moment, il a fallu beaucoup de persévérance pour convaincre Hamo que, s’il continuait à travailler de la sorte, il serait gardé. Et au bout des six mois, il s’est vu proposer un CDI à Lyonnaise des Eaux. Hamo était fou de joie, il avait du mal à croire à ce qui lui arrivait.
Fort de son CDI, Hamo s’est installé dans un appartement. Ses collègues lui ont donné un coup de main et lui ont trouvé des meubles. Après l’achat d’un véhicule, Hamo est devenu totalement indépendant et intégré.
Son travail le passionne et il demande à se former pour être plus performant. Il vient de passer son permis poids lourd, ce qui lui permet d’être totalement autonome sur son poste de travail.
Aujourd’hui, Hamo est un agent de réseau assainissement. Il travaille sur les mises en conformité des branchements sur le réseau et sur les recherches de pollution, il est au contact des clients en permanence. Il aime son métier, il est devenu un agent Lyonnaise des Eaux à part entière.
Depuis, la Mission locale a reçu plusieurs jeunes qui disaient vouloir « faire comme Hamo », sans connaître ni son travail ni son employeur. Hélas, ce qui réussit avec les uns ne fonctionne pas forcément pour d’autres.
Quelques enseignements tirés de l’expérience
L’expérience concrète des entreprises partenaires des deux premières conventions a été rassemblée en 1996 dans un petit livret intitulé Guide pratique de l’insertion des jeunes à l’usage des entreprises.
Plusieurs constatations méritent d’être indiquées.
Un facteur déterminant de la réussite de l’insertion est l’organisation tripartite associant au jeune une entreprise et un organisme de type Mission locale. L’entreprise doit en effet conserver son organisation et ses objectifs, elle ne peut pas résoudre elle-même les aspects sociaux et les difficultés matérielles ou psychologiques rencontrés par le jeune dans sa vie privée. La Mission locale aide l’entreprise à comprendre le jeune en lui communiquant des informations sur son parcours antérieur ; elle peut aussi informer le tuteur sur les difficultés rencontrées par le jeune, tout en respectant la confidentialité nécessaire.
- On facilite l’insertion du jeune chaque fois qu’il fait un travail significatif pour l’entreprise. Un profil de poste est nécessaire, il est éventuellement adapté au cours de l’action en cas de difficulté rencontrée.
- La fonction de tuteur est distincte de celle de responsable hiérarchique. L’intégration est plus performante quand l’encadrement chargé de faire travailler le jeune s’implique dans la réussite de l’action d’insertion. Le tuteur assure, avec l’équipe, le suivi quotidien et coordonne la formation du jeune après avoir lui-même reçu une formation de l’entreprise.
La mission confiée au jeune doit comprendre des objectifs clairs et atteignables. Des objectifs précis (comme, par exemple, l’obtention du permis de conduire) permettent de progresser et de constater le chemin parcouru. Dans tous les cas, l’entreprise doit être exigeante sur l’obtention des résultats, comme elle doit l’être dans le comportement quotidien. - Le jeune n’a pas seulement à gérer l’apprentissage de son nouveau travail, il doit également gérer son logement, ses transports, sa santé, ce qui, avec des revenus très modestes, ne lui facilite pas la tâche. La relation avec sa famille peut se modifier. Souvent la famille utilise le fait qu’il a un « emploi » pour ne plus l’aider. La Mission locale joue un rôle essentiel pour l’aider à résoudre certains de ces problèmes.
- En fin de contrat, si le jeune n’obtient pas immédiatement d’emploi, il ne s’agit pas obligatoirement d’un échec. Au cours du stage, il a acquis un rythme de travail quotidien ; il a reçu une formation ; il a peut-être précisé son orientation professionnelle. L’accès à l’emploi lui sera plus facile ultérieurement.
Au total, cette expérimentation menée dans la région Pays-de-la-Loire en direction de jeunes en grande difficulté s’est soldée positivement par l’intégration d’une majorité des jeunes dans les entreprises.
Même si quantitativement le nombre de jeunes concernés peut paraître modeste, ce résultat est très encourageant. C’est en effet l’addition et l’exemplarité d’initiatives locales qui contribuent le mieux à combattre l’exclusion.
Ainsi, la dynamique amorcée à Nantes a‑t-elle entraîné la signature au sein du Groupe de dix autres conventions locales d’insertion et, sur les deux cents jeunes qu’elles ont permis d’accueillir, plus des deux tiers se sont intégrés durablement dans les entreprises partenaires.