Action et décision
Agir, c’est décider. L’action impose la décision, les différentes options étant généralement incompatibles. Sans besoin d’agir, inversement, décider est peu optimal tant il est préférable de laisser les différentes options ouvertes. Action et décision vont donc de pair et engagent souvent la survie de l’organisme (traverser la rue ou pas).
En illustration : Le cortex cérébral humain. L’hémisphère gauche est représenté devant en vue latérale. Le front est situé à gauche. En couleur le cortex préfrontal.
REPÈRES
Région connexe et située à l’avant des cortex moteurs et prémoteurs dédiés à l’action, le cortex préfrontal est particulièrement développé chez l’homme et atteint sa pleine maturité vers l’âge de 20 ans environ. La fonction préfrontale, dite aussi fonction exécutive centrale, confère à l’individu cette capacité, non seulement à réagir à des événements externes, mais surtout à agir et décider en fonction de ses motifs propres, de ses préférences subjectives et de ses croyances (modèles) portant sur son environnement.
Décider est une fonction cognitive critique et implique de fait un tiers du cortex cérébral humain : le cortex préfrontal. C’est notre cortex préfrontal qui nous dote de capacités d’adaptation et de flexibilité cognitive remarquables, du sentiment que nous sommes les libres acteurs de notre pensée et de notre comportement.
La fonction frontale est une des fonctions cognitives les plus fragiles
Mais la fonction frontale est aussi une des fonctions cognitives les plus fragiles. Particulièrement affectée par le vieillissement, touchée par les phénomènes d’addiction, elle est profondément altérée dans la plupart des grandes maladies neuropsychiatriques comme la schizophrénie, l’autisme, la dépression, les démences pour ne citer que les plus connues…
Observer l’activité cérébrale
Les neurosciences de la décision s’efforcent d’élucider les mécanismes neuronaux, les computations et les architectures fonctionnelles du cortex préfrontal qui déterminent comment l’individu décide. Malgré son importance dans le fonctionnement de la pensée et du comportement humain, le cortex préfrontal humain est cependant demeuré longtemps une terra incognita en raison de l’absence de modèles animaux adéquats et de la difficulté d’inférer les mécanismes décisionnels uniquement à partir du comportement observable, jusqu’à l’avènement dans les années 1990 de l’imagerie par résonance magnétique nucléaire. Cette technique permet désormais d’observer in vivo, avec une excellente résolution spatiale, l’activité cérébrale de tout un chacun engagé dans une tâche quelconque.
Trois grands secteurs
Les progrès réalisés depuis sont considérables. Nous savons maintenant que le cortex préfrontal est divisé en trois grands secteurs associés aux dimensions affectives, motivationnelles et cognitives impliquées conjointement dans la décision.
Le secteur orbitofrontal, face inférieure du cortex préfrontal, traite la valeur et les préférences subjectives des conséquences de l’action ou des états finaux indépendamment de l’action qui y conduit. Ces préférences subjectives vont des plus primaires (je préfère manger une pomme qu’une poire) aux plus abstraites et morales.
Des variations individuelles
On observe une grande variabilité individuelle notamment en matière d’apprentissage et de flexibilité des représentations impliquées dans la prise de décision. Même si on commence à entrevoir que ces traits individuels sont reliés à des génotypes distincts, ces variations individuelles demeurent encore mystérieuses.
Le secteur médian, quant à lui, face latérale interne du cortex préfrontal, traite la valeur subjective des actions qui en motive le choix à un moment donné (je veux prendre la pomme plutôt que la poire sur la table). Il s’agit des valeurs internes qui « drivent » le comportement.
Enfin, le secteur latéral, situé sur la face latérale externe du cortex préfrontal, traite des actions en fonction des situations (je ne prends pas la pomme car je ne suis pas chez moi, je demande). Il s’agit de définir les actions appropriées selon le contexte dans lequel le sujet évolue.
Trois niveaux de contrôle
Dans chaque dimension, les processus opèrent selon des représentations acquises et mises à jour continuellement. Des modèles mathématiques fondés sur les théories du contrôle optimal et des processus stochastiques et validés empiriquement élucident les calculs neuronaux et les mécanismes neuromodulateurs nécessaires à l’acquisition de ces représentations et à la prise de décision. Ils prédisent le comportement flexible et adaptatif des sujets que l’on observe dans les protocoles expérimentaux.
On sait également que le cortex préfrontal, notamment dans sa dimension cognitive, est organisé selon trois niveaux de contrôle de la décision allant des régions préfrontales postérieures aux plus antérieures : le niveau postérieur régule la décision selon le contexte immédiat de l’action (je suis dans la cuisine d’un ami, donc je ne prends pas la pomme sur la table), un niveau plus antérieur régule le niveau postérieur selon l’occurrence d’événements passés (mon ami m’a spécifié auparavant que je pouvais me servir sur la table), enfin un niveau ultime permet de remettre à plus tard une décision après la réalisation d’une autre tâche imprévue (mon ami m’informe que ma femme est au téléphone, je me servirai donc après avoir répondu).
Une mosaïque de régions corticales
Triangulation fondamentale de la fonction préfrontale. Coupe transversale dite coronale au niveau des tempes du cortex préfrontal. Image anatomique obtenue en résonance magnétique nucléaire. Les secteurs affectifs, motivationnels et cognitifs de la prise de décision sont représentés en rouge, vert et jaune respectivement. |
Mais la tâche restant à accomplir est énorme. Comment les différentes dimensions affectives, motivationnelles et cognitives interagissent entre elles demeure encore un mystère. Nous ne comprenons toujours que très partiellement comment et selon quelles échelles et modalités les valeurs subjectives sont représentées.
Nous ne savons pas non plus comment cette architecture fonctionnelle intégrée explique nos capacités de raisonnement les plus évoluées. Le cortex préfrontal est constitué d’une mosaïque de régions corticales et nous sommes encore loin de comprendre le rôle spécifique de chacune.
Enfin, si certains aspects des syndromes dysexécutifs observés dans les maladies neuropsychiatriques trouvent leur explication dans des altérations spécifiques de cette architecture fonctionnelle préfrontale, nous sommes encore loin de comprendre l’ensemble des causes qui expliquent ces maladies.
Le début d’une aventure scientifique
Nous ne comprenons que très partiellement comment les valeurs subjectives sont représentées
Mais la recherche dans ce domaine avance et progresse vite. Pour les neurosciences de la décision, l’avènement des techniques modernes d’imagerie cérébrale in vivo, couplé au développement de modèles mathématiques de plus en plus sophistiqués et conceptuellement profonds, marque le début d’une aventure scientifique extraordinaire tant les enjeux philosophiques, médicaux, socio-économiques, juridiques et technologiques paraissent considérables.
D’une théorie normative de la décision issue pour l’essentiel de la science économique, nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’une théorie positive incluant la Psychologie, la Biologie et la Robotique. Les polytechniciens, de par leur formation multidisciplinaire, sont à même d’être parmi les acteurs majeurs de cette révolution scientifique, dont l’Europe est à l’avant-garde aujourd’hui.