Activité, emploi et recherche d’emploi : changer de paradigme pour supprimer le chômage
La spirale dépressive du chômage
La spirale dépressive du chômage
En trente ans, le chômage est passé en France de 2 % à 10 %. Cette évolution a gravement fragilisé la confiance que chacun pouvait avoir dans le fait que cette société ne l’abandonne pas. Car le chômage d’il y a trente ans était, pour l’essentiel, le chômage » actif « , de ceux qui passent d’un emploi à un autre. Aujourd’hui, le chômage est subi par des personnes engagées dans une spirale dépressive du doute de soi et du découragement.
C’est ce que montre l’enquête » emploi du temps » de l’INSEE : en 1999, les demandeurs d’emploi consacraient moins de temps à la sociabilité que la moyenne, et moins d’une demi-heure par jour à la recherche d’emploi. Pas parce qu’ils ne voulaient pas chercher. Mais faute d’être accompagnés dans leur recherche : quiconque s’est déjà livré à une recherche d’emploi ou a monté un projet de création sait qu’il s’agit d’une véritable activité. Elle demande des connaissances, et des initiatives qui dépassent le contenu de bien des emplois. C’est une activité à part entière, à laquelle peu d’entre nous sont préparés.
Notre problème : vouloir beaucoup et donner peu.
Deux solutions : vouloir et donner peu, ou vouloir et donner beaucoup
Le problème français est double. D’abord, les chômeurs sont essentiellement laissés face à eux-mêmes. Ensuite, notre société a su transformer son industrie, ouvrir son commerce au monde, mettre en place des réglementations protégeant les conditions de travail, mais elle ne sait pas générer des emplois pour ceux qui ont payé ces choix par la suppression de leur poste.
Nous voulons à la fois afficher une forte solidarité, mais ne daignons pas aider ceux qui en payent le coût. Notre contradiction admet deux solutions évidentes. La première est celle de la rupture : aller plus loin dans l’indifférence en renonçant à la solidarité. Mais il y a une autre voie, consistant à aller jusqu’au bout de notre volonté de solidarité, en accompagnant davantage les demandeurs, tout en créant les conditions du développement des emplois adaptés à leurs compétences – et, bien évidemment, au besoin de ceux qui devront acheter les produits ou services qu’ils réaliseront.
Assumer le chômage et accompagner totalement
Nous proposons de doter tous les demandeurs d’emploi d’un accès à une formation et d’un véritable statut de chercheur d’emploi avec un » contrat d’évolution » (signé avec un « employeur de dernier ressort »), d’un encadrement par un coach (qui aurait les moyens d’aider le chercheur dans sa démarche), et d’un revenu (supérieur au montant actuel des allocations chômage).
La recherche active d’emploi serait ainsi reconnue, non pour » professionnaliser le chômage « , mais, au contraire, pour permettre à chacun d’en sortir vite, et dans les meilleures conditions possibles. Pense-t-on sérieusement que l’ouvrier textile licencié dans le Nord peut évoluer seul vers un emploi de service, dans son département ou ailleurs ?
Créer des emplois dans le secteur privé via l’employeur en dernier ressort
Dans la société de marché, la responsabilité ultime de l’absence de travail revient à l’individu. Au Japon des sous-traitants de grands groupes accueillent ceux qui ne trouvent pas d’emploi. Dans le modèle danois, le système social fait en sorte de ne laisser personne au bord du chemin. Tout système social comprend un » employeur de dernier ressort « , qui reçoit ceux qui n’ont pas trouvé d’emploi ailleurs.
Nous proposons de donner corps à cet employeur de dernier ressort qui, en France, n’est pas défini. Tout au plus définissons-nous un patchwork de revenus de dernier ressort – rien pour les jeunes, l’ASS pour les uns, le RMI pour les autres, des préretraites pour d’autres encore, un « placard » pour d’autres encore. Au contraire, vouloir la solidarité en matière de chômage impose d’assumer collectivement le rôle d’employeur en dernier ressort.
Nous proposons que cette responsabilité incombe à une agence de bassin d’emplois, qui pourrait déléguer cette compétence aux structures les plus adaptées pour gérer ces risques : groupements d’employeurs, entreprises d’insertion par l’économique, créations d’activité. Peu importe l’outil, pourvu que le résultat soit là : la société doit cesser de dire à 3 millions de Français – et plutôt 5 millions si l’on y regarde de près – qu’elle n’a pas de place pour eux, et qu’elle ne se soucie pas énormément de leur en trouver une.
Il ne s’agit pas de récréer des » ateliers nationaux » ou de » fonctionnariser les demandeurs « , mais, au contraire, de développer un système de » droits à reclassement » qui soit une passerelle vers l’emploi privé. Bénéficieraient de ces droits ceux qui peuvent apporter leur contribution au problème français : créer les emplois dont nous avons besoin. Pourraient ainsi se développer des « fonds sociaux » qui seraient rémunérés pour le développement d’activités pour chercheurs d’emplois, à l’image des expériences comme celle réalisée par le groupe Arcelor1, et à l’inverse de ce que font les » fonds financiers « , qui réalisent leurs bénéfices en recentrant l’activité et en réduisant la masse salariale.
Cette réforme clarifierait la responsabilité de la collectivité vis-à-vis du chômage : assurer que personne ne reste en situation de » chômage passif « , et donner à chacun les moyens de réaliser son évolution professionnelle, via la recherche active. Autrement dit, notre réforme conduit à supprimer le chômage.
Une réforme possible et nécessaire
Actuellement, le coût des politiques de l’emploi est de 4,2% du PIB environ. Le coût de la réforme que nous proposons serait au maximum de 4 % du PIB, et nettement moins en cas de mise en place progressive.
À peu près la moitié du programme que nous proposons pourrait être financée par redéploiement d’une partie de ces dépenses. Le solde représente le montant dont dispose toute majorité sur une législature : il équivaut à peu près au coût des baisses d’impôt promises dans le programme présidentiel de l’actuelle majorité. Notre proposition pose la question suivante : sommes-nous plus pressés de réduire notre taux de chômage, ou notre taux d’imposition, sachant que la réduction du premier n’empêcherait pas de réduire ultérieurement le second ?
1. » Arcelor présente une expérience originale de reconversion « , Le Monde, 29 septembre 2005.