Actualités de la cité idéale,
Le mot d’utopie, s’il se rattache à » l’eutopos » (lieu du bonheur) ou à » l’outopos » (lieu de nulle part ou de l’ailleurs) n’appelait pas spontanément ce lien avec la ville, d’autant qu’il a fallu attendre le XXe siècle pour qu’en Europe, par exemple, plus de la moitié des habitants habitent des villes. Si l’arrimage s’est fait très tôt en utopie, c’est grâce à la réflexion platonicienne sur la » cité » et à la réalité territoriale de la Grèce du VIIe siècle av. J.-C.
La » cité » méditerranéenne à dimensions sociétale, territoriale et institutionnelle (polis) à la fois a dessiné le » lieu » de la plupart des utopies qui, depuis 2500 ans, ont jalonné cette littérature ; implicite dans certains cas, explicite et presque urbanistique dans d’autres (Hippodamos de Milet, vers 550 av. J.-C.), la réflexion utopique a, en tout cas, été conduite à cultiver la liaison entre société et ville.
Tous ceux qui, aujourd’hui, ont l’envie de repenser la ville lui sauront gré, en tout cas, d’avoir développé cette relation, encore trop absente aujourd’hui, entre l’organisation de l’espace, l’architecture, les institutions et la société. La ville n’est-elle pas d’abord une envie de vivre en société ?
» D’aucuns pensent que le lien entre les hommes vient de la communauté dans la maison et de la communauté dans les habitations. D’abord, la maison, puis la même rue, puis le même quartier. … Il y a l’association dans la ville. » (Al Farabi)2
Il faut relire l’histoire des utopies pour s’apercevoir combien est forte la liaison entre la société modèle et la ville modèle, même si le lieu est parfois, pour éviter le dialogue, une île déserte – référence très fréquente chez les utopistes – ou un ensemble clos de bâtiments : l’abbaye de Thélème, (Gargantua, 1534), la New Harmony d’Owen (1825), le phalanstère de Guise (1859), etc.
La » cité » de Platon (427−347 : » la République ») est assurément l’un des exemples les plus clairs de cette liaison autour de villes dont la taille alors (50 000 habitants), il est vrai, était modeste3 ; l’agora central et les trois grandes classes de la société, prêtres, guerriers et artisans (mais aussi esclaves et agriculteurs) la caractérisent.
» Il faudra aménager des temples tout alentour de la place publique, de même que la ville entière devra se bâtir en cercle contre les parties élevées de son territoire, en vue d’assurer à celles-ci sécurité et propreté.
Si nous passons maintenant à la question des remparts, là-dessus, quant à moi, je me rangerais à la conception spartiate, de les laisser dormir en terre et de ne pas les en faire lever ! plutôt que des amas de pierre, c’est l’airain et le fer, aux mains des guerriers, qui sont les remparts d’une cité « 4.
L’histoire de l’utopie nous fait passer sous silence la période romaine, trop occupée, dit-on, par le quotidien de l’organisation de l’Empire pour rêver5, et le Moyen Âge trop branché sur l’au-delà6…
Avec Thomas More (1478−1533), en tout cas, la ville est au cœur de l’utopie avec ses six mille familles (40 000 habitants) élisant, chaque année, un phylarque pour diriger les affaires de la cité. Pour lui, comme pour la plupart des utopistes d’avant le xxe siècle, la ville est encore réduite à ses murailles, à une échelle de communauté réduite à sa défense.
» Amaurote se déroule en pente douce sur le versant d’une colline. Sa forme est presque un carré. Sa largeur commence un peu au-dessous du sommet de la colline, se prolonge deux mille pas environ sur les bords du fleuve Anydre et augmente à mesure que l’on côtoie ce fleuve. […] À la marée montante, l’Océan remplit de ses flots le lit de l’Anydre sur une longueur de trente miles, et le refoule vers sa source. Alors, le flot salé communique son amertume au fleuve ; mais celui-ci se purifie peu à peu, apporte à la ville une eau douce et potable, et la ramène sans altération jusque près de son embouchure, quand la marée descend.
Une ceinture de murailles hautes et larges enferme la ville. […] Derrière et entre les maisons se trouvent de vastes jardins. Chaque maison a une porte sur la rue et une porte sur le jardin. Ces deux portes s’ouvrent aisément d’un léger coup de main, et laissent entrer le premier venu « ;7.
Campanella (1568−1639), fils d’un cordonnier analphabète, lui aussi, sous-tend dans sa Cité du Soleil (en 1602) une ville idéale mais elle y est très schématiquement présentée. D’autres utopistes postérieurs (Francis Bacon [l’Atlantide, 1627], Cyrano de Bergerac [États et Empires de la lune, 1657‑, avec son village de Morelly], Fontenelle avec sa Cité des ajaoiens [1768]) sont moins explicites encore.
Quant à Louis Sébastien Mercier (1771−1786), il place son utopie de 2240, en anticipant de près de sept cents ans la vie quotidienne mais dans un Paris dont le plan et l’urbanisme le laissent indifférents.
Les architectes, constructeurs et ingénieurs de la Renaissance italienne8 sont exubérants sur la forme des cœurs des villes dont certaines voient le jour, admirables. Ils sont trop souvent les parents pauvres de l’histoire de l’utopie. C’est un oubli qu’il faut réparer tant l’imagination est vive, davantage, il est vrai, que la réflexion sociétale.
Deux siècles après firent irruption les architectes français parmi lesquels Ledoux, Lequeu et Boullée qui, dans cette fin du XVIIIe siècle, donnent au monde une belle leçon d’architectures volontaires, mais aussi, plus qu’il n’y paraît, de cités.
Claude Nicolas Ledoux (1736−1806) aura laissé de nombreuses œuvres architecturales : le château de Bénouville, des demeures en Île-de-France, les octrois de Paris, le théâtre de Besançon et surtout, la saline royale d’Arc-et-Senans en Franche-Comté construite en 1778, année de l’indépendance des États-Unis.
L’oeil dessiné par Claude Nicolas Ledoux pour les plans du théâtre de Besançon.
Ce théâtre aujourd’hui malheureusement remanié à l’intérieur après un incendie dans les années 60 innovait par l’attention portée aux spectateurs pour qu’ils puissent sans privilège participer tous à la vue du spectacle.
© INSTITUT CLAUDE NICOLAS LEDOUX
L’apport exceptionnel de Charles Fourier (1772−1837) ne fut pas le dessin des villes ni l’idée d’un phalanstère qui ne suscita aucune vocation ; mais on lui doit tant de force et tant de disciples qu’on n’oubliera pas son apport, aussi bien pour l’exaltation de l’homme-passion que pour son bilan scientifique, lui qui annonça par exemple l’effet de serre un siècle avant les autres.
Les utopies du XIXe siècle9 ont été, pour une grande part essentiellement sociétales, bâties sur la réalité sociale, sur la condition ouvrière et la transformation espérée de cette réalité par une organisation collective, imaginée alors pour un monde industriel en croissance et déjà international. Babeuf (1760−1797), Cabet (1788−1856), Proudhon (1809−1865) en France en sont quelques expressions. Faut-il ranger parmi les utopistes les premiers socialistes et Marx dont les projets ont ensuite pris racine ? Un utopiste est-il fatalement un rêveur qui ne change rien au cours de l’histoire du monde ?
En tout cas, ces utopies sociales s’embarrassèrent peu de spéculations sur la ville, l’essentiel étant mis sur le champ socioéconomique en un temps où, pourtant, on savait ce que généraient les quartiers pauvres des villes.
Il serait intéressant d’aller cependant plus loin que cette impression et utile d’analyser les références implicites, voire explicites, des utopistes de cette période sur l’organisation et la forme des agglomérations10.
Dans cette période, une exception : Robert Owen (1771−1858) ouvrier puis patron d’une manufacture textile en Écosse à New Lanark et qui a traversé l’Atlantique pour fonder New Harmony dont l’expérience dura deux années ; elle est sûrement plus significative que d’autres cités implantées dans le » nouveau monde » : celle de Cabet qui a pourtant duré cinquante et un ans (1847−1898), celle de Cecilia au Brésil (1890−1894), celle imaginée par Considérant.
» Contemplons le panorama qui se développe sous nos yeux. Un splendide palais s’élève du sein des jardins, des parterres et des pelouses ombragées, comme une île marmoréenne baignant dans un océan de verdure. C’est le séjour royal d’une population régénérée. « 11.
Ledoux a esquissé, dans son Traité de l’architecture… écrit à 64 ans, la rencontre prospective entre la cité, l’architecture, la nature, l’industrie (15), les lois et les moeurs sur un fonds d’imagination, “ celle qui grandit tout et peut embellir, je dis plus, changer l’ordre immuable du monde. ”
Il a voulu prouver que les lieux publics avaient droit à une belle architecture, comme Vauban pour les fortifications, un siècle plus tôt. C. N. Ledoux voulut “ des colonnes pour une usine ” (16), l’architecture, plus que l’art de la pierre, était un message et une anticipation et devait s’inscrire dans un plan.
“ Un des grands mobiles qui lie les gouvernements aux résultats intéressés de tous les instants, c’est la disposition générale d’un plan qui rassemble à un centre éclairé toutes les parties qui le composent. ”
“ L’imagination qui grandit tout et peut embellir, je dis plus, changer l’ordre immuable du monde, rappelle pourtant à sa vue les objets les plus imposants. ”
“ Ici, c’est l’Art qui développe les ressources des lieux : c’est lui qui prépare l’abondance des siècles à venir. ”
Dans les années 1920 c’est, à nouveau, le retour des architectes, vingt ans après Tony Garnier (1869−1948) qui s’efforcent, même de manière fruste, de relier la ville à l’évolution sociale. Si Walter Gropius (1883−1969) et le Bauhaus se consacrent davantage à la révolution de l’architecture, Le Corbusier (1887−1965), lui, veut prendre la société à bras le corps. Son dialogue avec elle a beaucoup évolué entre 1922 où Le Corbusier, jeune, brosse un tableau à l’emporte-pièce de la société de demain dans son » plan pour une ville de trois millions d’habitants » et Chandigarh qu’il construit à 65 ans sur le terrain à partir de 1952. En 1922 il systématise.
» Ceux du pouvoir, les conducteurs, siègent au centre de la ville. Puis leurs auxiliaires, jusqu’aux plus modestes, dont la présence est nécessaire à heure fixe au centre de la ville, mais dont la destinée limitée tend simplement à l’organisation familiale. La famille se loge mal en grande ville. Les cités-jardins répondent mieux à sa fonction.
Classons trois sortes de population : les citadins à demeure ; les travailleurs dont la vie se déroule moitié dans le centre et moitié dans les cités-jardins ; les masses ouvrières partageant leur journée aux usines des banlieues et dans les cités-jardins.
Distants de 400 mètres d’axe en axe, larges de 200 mètres avec 200 mètres libres entre leurs points extrêmes, ils pourraient abriter chacun de 40 000 à 60 000 employés (avec une superficie moyenne de 10 mètres carrés par employé). Ils couvrent quelques milliers de mètres carrés, au lieu de 160 000 mètres de constructions basses étalées.
Les surfaces plantées couvrent alors les 95 % du centre des grandes villes définitivement expurgé de la vie de famille. »
Entre 1920 et 1960 les utopies urbaines ont copieusement fleuri ; Archigram, Maymont, Claude Parent, Yona Friedman : toute une littérature12 aussi, qu’on ne trouve plus du tout aujourd’hui sur le rayon des libraires ; en compagnie d’Ismaïl Serajeldine13, j’en ai, en 1998, fait l’expérience à la bibliothèque et à la librairie de l’Association des architectes américains à Washington.
Les grandes imaginations se comptent sur les doigts de la main dans les livres et surtout sur le terrain : Lucio Costa à Brasilia, Le Corbusier à Chandigarh sont de fortes exceptions bien trop rares14.
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Une vraie prospective urbaine reposant sur une dynamique sociétale, une conception de l’espace, une économie de la gestion urbaine serait aujourd’hui la bienvenue prenant bien en compte toutes les possibilités technologiques, en particulier maintenant sur celle de la communication (plus que celle des matériaux, hier décisifs).
Est-ce utopie que de la rêver ?
Plusieurs raisons militent pour que soient réactivées l’utopie sur la cité et les réflexions qui la préparent.
La saline royale d’Arc-et-Senans, chef‑d’œuvre de l’architecte Claude Nicolas Ledoux, connue de la grande majorité des architectes du monde, est l’une des grandes références à la “ cité idéale ”. Construite au XVIIIe siècle entre 1773 et 1779 elle est, comme bien des œuvres humaines entre ciel et terre ; Ledoux dira de lui que “ l’architecte a marché d’un pas égal à côté du poète ”.
Les pieds sur terre, la saline solidement ancrée sur la terre de Franche-Comté a épousé “ la course du soleil ” (version utopie) mais elle s’inscrit dans la géographie d’une boucle de rivière (la Loue). Si elle magnifie l’ère montante de “ l’industrie mère de toutes les ressources ”, que symbolise la grotte d’entrée ouverte sur la transformation de la matière, elle est aussi le résultat d’un calcul économique : le chauffage au bois du sel de Salins proche et exploité depuis les Romains avait épuisé la forêt d’alentour.
Or, à une vingtaine de kilomètres, la forêt de Chaux, la deuxième de France, était intacte ; plutôt que d’y aller chercher le bois lourd, le calcul fut de transporter par gravité le sel en saumure près de la forêt de Chaux. La saline, contrairement aux idées parfois répandues, fonctionna bien pendant près d’un siècle (combien de manufactures et d’usines peuvent en dire autant ?).
Architecture au futur, la saline ne l’est ni par la prouesse ni par le matériau : sa sobriété et sa solidité n’en font pas, en première lecture, une architecture visionnaire : mais elle l’est délibérément par sa force, son plan fonctionnel, ses symboles et les constructions innovantes des bâtiments d’alentour (bâtiment des gardes, maison du directeur de la Loue). Utopie, elle l’est par son message sur la “ cité idéale ” rêvée autour du bâtiment central, lieu de travail et d’industrie (la “ maison du directeur ”) avec plusieurs bâtiments publics à vocation sociale ou culturelle : la maison de la paix, la maison de l’amour, la maison de l’éducation, les bains publics, le marché, l’hôpital, le temple de mémoire… C’est un peu le germe de ville que l’on retrouve à Brasilia, à Chandigarh. Toute cette “ cité idéale ” prolonge l’existant construit au centre en demi-cercle et se sublime avec l’écriture de son ouvrage L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation (publié en 1804).
La saline d’Arc-et-Senans aujourd’hui : seul a été construit le demi-cercle. “ Cité idéale ” imaginée en cercle complet autour de la “ maison du directeur ” et, hors les murs, des bâtiments publics, germes de la cité.
© INSTITUT CLAUDE NICOLAS LEDOUX-PHOTO DENIS CHANDON
- La première est l’actualité du phénomène urbain d’abord pour les pays en développement qui connaissent et vont encore subir une très forte croissance dans le demi-siècle qui vient. Même si l’on refuse l’alignement de tous les pays à un taux d’urbanisation de 80 %, déjà atteint dans les pays riches et s’il faut laisser à des pays la place à d’autres voies de développement (je pense à l’Inde), les besoins sont considérables aujourd’hui17 et plus encore, demain : dans les trente prochaines années, par exemple, la population urbaine du sud de la Méditerranée se sera accrue de l’équivalent de la population de toutes les villes actuelles d’Espagne, d’Italie et de France !
- La seconde est l’inadéquation des rapports entre les formes urbaines, la gestion urbaine et les évolutions sociétales. Nos systèmes urbains (ce terme est préférable à celui de villes) ne sont plus adaptés aux rapports sociaux au point que les » optimistes » de la ville (René Dubos18 en est un) sont de moins en moins nombreux.
La cité d’aujourd’hui connaît tant de dysfonctionnements, de manques et de problèmes qu’il n’est pas question de prolonger les courbes ou de faire un arrêt sur image qui accroîtrait le décalage d’obsolescence. Dans nos cités, disait déjà, en 1837, Lamartine : » nous ne vivons que de restes « .
- La société a tendance à perdre ses vertus de solidarité et cherche depuis un demi-siècle un nouveau » contrat social « . Les jeunes générations s’y emploieront-elles ? Dans le même temps, la solitude est grande19 dans un monde qui, pourtant, privilégie la communication. La réaffirmation des valeurs est aujourd’hui une quête qui n’est plus l’apanage des vieilles générations se lamentant de leur perte.
La société est fatiguée par les dogmes, les principes, les grandes théories salvatrices qui ne nourrissent plus ses espoirs ou ses révoltes. Mais elle reste encore bien ouverte à l’espérance concrète, à l’avenir, à l’innovation. La récente consultation Internet sur le XXIe siècle, lancée par l’Institut Ledoux et le Comité 2120, montre aussi que l’appétit est encore grand pour introduire l’expression des valeurs et la placer avant le reste.
- La quatrième raison vient de l’impasse qu’il y a à traiter la ville en découpant les sujets l’un après l’autre – les transports, l’habitat, les déchets, etc., – un peu comme on découpe parfois un poulet21 sans faire attention aux jointures. Bien des facteurs appellent la vue d’ensemble ; on se référera ici aux travaux du programme » Homme et Biosphère » (MAB)22 : l’approche de la ville, comme celle de la cité, doit être systémique et globale. L’affirmation du philosophe manque autant que l’expression politique de programmes d’avenir à quinze, vingt ou vingt-cinq ans… La rupture entre la ville et l’écologie organique ajoute encore au besoin incontestable de vue globale.
De plus en plus, il faudra prendre en compte les intrants, les produits, les externalités, les déchets, les bilans énergétiques, la congestion urbaine, les rapports entre la ville et l’ozone ou le réchauffement des climats : ce sont de réels défis dont les citadins ne mesurent pas encore la réelle ampleur.
Al Farabi ne disait-il pas déjà au xe siècle : » Nos villes doivent être traitées comme un animal vivant. »
- Le monde enfin a terriblement besoin d’expérimentations23 ; les innovations existent, bien sûr, mais il s’agit bien plus d’artefacts et de constructions isolées que de prototypes bien intégrés à un devenir urbain plus global. Rien, pas même le virtuel qui peut, certes, aider à l’anticipation, ne remplacera la réalisation physique en grandeur réelle. Il faut tout faire pour l’encourager. On se gardera des expérimentations non reliées à un objectif clairement conçu et affiché relié à un projet de ville, à des finalités exprimées.
Ces finalités peuvent être très diverses. Ce peut être de faire face à une forte croissance de population, ou, au contraire, à une récession, à un déclin démographique. Ce peut être de réussir une véritable réduction des inégalités et des ghettos. Ce peut être, s’il y a peu d’espace, de rebâtir la ville sur la ville. D’afficher une politique de développement durable. De donner une attention particulière aux jeunes. Ce peut être d’atteindre une croissance zéro de la pollution, etc. Un réel travail doit être entrepris pour identifier des objectifs. Il faut, bien sûr, aller au-delà de ces exemples frustes.
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De vraies utopies utiles (ou concrètes comme le disait volontiers Philippe Viannay) manquent aujourd’hui à ceux qui s’interrogent et, surtout à ceux qui ne s’interrogent pas quant à l’avenir des cités.
Peut-on, à l’égard d’une nouvelle génération d’utopistes, formuler encore plusieurs vœux ?
- Le premier est de travailler aujourd’hui à des échelles ouvertes et non plus à des entités isolées de 1 000 ou de 50 000 habitants. Les utopies de demain ne devraient plus supporter – sauf pour les commodités du roman – l’unité de lieu bouclée sur des îles, des abbayes de Thélème ou des quartiers fermés.
La réflexion sur la cité doit être ouverte sur un aménagement des territoires et sur le monde aussi, dans une logique planétaire et avec des rapports accrus entre les territoires, les autres hommes et femmes ; la communication est une clef majeure
. - L’exercice doit se méfier des seuls gestes du crayon ou de la seule construction virtuelle par l’image. Ce sont des éléments utiles mais sans valeur si la réflexion sur l’évolution sociétale n’a pas un poids suffisant ; quant à l’approche économique, elle est indispensable si elle intègre bien la gestion dans la durée : c’est le » développement durable « . Le champ de l’utopie ne devrait plus être seulement celui de la création de cités nouvelles.
» Si les progressions particulières sont insensibles, celles qui sont stimulées par des vues ultérieures qui s’associent à leur puissance sont très rapides. »
- Enfin la formulation des utopies était le plus souvent le résultat de la pensée d’un précurseur. Peut-on aujourd’hui concevoir des utopies collectives en concertation ? L’utopie de démocratie est-elle pensable ? Les systèmes virtuels devraient faciliter un tel processus. L’utopie à plusieurs voix est une perspective possible et souhaitable.
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L’histoire des utopies sur une période de plus de deux mille ans peut paraître décevante : que d’échecs, d’impasses et même de totalitarismes au nom du progrès ! Mais la quête n’est-elle pas plus importante que la récolte ? Car l’essentiel, c’est la démarche de l’utopie, l’envie d’utopie. Rien ne peut être construit s’il n’y a pas au départ la volonté d’imaginer et d’aimer un futur souhaitable et ce jusqu’au sarcasme d’autrui.
» Ignorez-vous, disait Ledoux, ce qu’il en coûte à ceux qui osent changer la masse des idées reçues ? »
» Pitié, disait Apollinaire, pour ceux qui combattent aux frontières de l’illimité de l’avenir. »
Et merci à ceux qui s’y aventurent.
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1. Et que Renan appelait gentiment » l’amie de l’impossible « .
2. De l’opinion des habitants des cités idéales, Xe siècle, Librairie philosophique J. Vrin, reprint oct. 1990, 158 p.
3. Mais Alexandrie eut jusqu’à 700 000 habitants.
4. Platon, Les lois, IVe siècle av. J.-C.
5. Vitruve Ier siècle av. J.-C.
6. Cf. Saint-Augustin (354−430), La Cité de Dieu.
7. Thomas More, Utopie, 1516.
8. Le Filarete (1400−1469), di Giorgio (1438−1501), Pietro Cataneo (1544), da Sangallo le Jeune (1484−1546), Colonna, Francesco Doni (1513−1563), Francesco de Marchi (1504−1576), Vicenzo Scamozzi (1522−1616), Jean-Baptiste Piranese. Cf. Virgilio Vercelloni, La cité idéale en Occident, éd. Philippe Legaud, mai 1996.
9. Une place à part doit être faite à Saint-Simon (1760−1825). Considérant (1808−1893), Enfantin (1796−1864) et surtout à Fourier.
10. Cette analyse a été faite mais pour des architectes hors, en partie, de l’orbite sociétale. Lissitzky, Svarikov, Golossov (1883−1945), Malevitch (1878−1935), Vladizimov, Barch (1904−1976), Milioutine (1899−1924).
11. Victor Considérant, Description du phalanstère, 1846, rééd. Slatkine, 1980.
12. Cf. les ouvrages de Michel Ragon.
13. Architecte d’origine, vice-président de la Banque mondiale.
14. Aujourd’hui Paolo Soleri, bien seul, est l’artisan d’Arco Santi.
15. » Industrie, mère de toutes les ressources, rien ne peut exister sans toi, si ce n’est la misère : tu répands l’influence qui donne la vie ; tu égayes les déserts arides et les terres mélancoliques. »
16. » Chacun se dit en riant : des colonnes pour une usine, des temples, des bains publics, des marchés, des ponts, des maisons de commerce, des jeux… etc. « , aujourd’hui, la saline royale est patrimoine mondial : l’un des seuls 200 bâtiments ayant pour origine un lieu de travail.
17. 600 000 habitants de plus, chaque année, à Istanbul !
18. Choisir d’être humain, 1974, Les célébrations de la vie, 1982.
19. » The lonely crowd « .
20. Cf. la revue Futuribles, février 1998, n° 228.
21. Avec un gefluegelsheere.
22. Cf. les travaux sur la ville de Rome.
23. Depuis 1973, je milite pour que les expositions universelles qui ont autrefois servi beaucoup la cause de l’innovation architecturale ne servent plus à la création d’ensembles factices et disparates par pays mais permettent dans les pays en développement la conception et la réalisation de germes de villes sur programme (article publié dans la Revue 2000 et dans La Croix, 8 août 1973).
Cf. aussi la Revue 2000, oct. 1969, n° 14, » Pour une société plus expérimentale « .
Commentaire
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fort intéressant, la notion d
fort intéressant, la notion d’utopie dans la façon de vivre s’est largement métamorphosé, je travaille dans une agence immobilière à la réunion et les personnes que j’accueille cherchent avant tout la proximité, vous avez sur http://www.sunfimmo.com de belles maisons dans les hauteurs mais les gens veulent vivre les uns sur les autres et l’utopie est devenue un bâtiment de 20 étages : les uns sur les autres, on a troqués nos villages gaulois contre des hlm géant