Adapter le tourisme en bouleversant la culture du voyage
Le changement climatique concerne toutes les formes de tourisme, avec des zones particulièrement vulnérables en montagne (baisse de l’enneigement), sous les tropiques (barrières de corail, risque cyclonique), en Méditerranée (étés chauds, élévation du niveau de la mer) ou dans des destinations éloignées de leurs marchés (augmentation des prix du transport). La volonté d’agir pour l’adaptation du secteur est actuellement forte et peut pousser les décideurs à demander des réponses que les experts ne sont pas encore en mesure de leur fournir.
REPÈRES
Le tourisme est à la fois un contributeur, avec 5% des émissions mondiales dont 75 % dues au transport et 42 % à l’aérien, et une victime potentielle du changement climatique. On s’attend à plus d’un doublement des émissions de CO2 du tourisme mondial entre 2005 et 2035. Ces impacts se répartissent en effet en quatre catégories : les effets directs des évolutions de paramètres climatiques sur le confort des touristes, les effets indirects du climat sur les ressources touristiques (neige, niveau des cours d’eau), les effets des politiques d’atténuation sur les prix de l’énergie et des transports, enfin les effets plus généraux du changement climatique sur la perturbation des sociétés, qui conditionnent à la fois la demande et l’offre touristique (pauvreté, tensions géopolitiques).
Une relation multiforme
Le cadre des relations entre tourisme et changement climatique est maintenant bien connu.
Un doublement des émissions de CO2 entre 2005 et 2035
Mais la complexité des relations explique une prise de conscience plus tardive des acteurs, et cela d’autant plus que s’y ajoute le filtre des perceptions et des représentations : si l’agriculture est influencée par des paramètres comme la température ou les précipitations, le tourisme l’est par le climat perçu (l’agrément, le confort), d’où le recours à des indices plus complexes et plus subjectifs.
Comprendre et agir
Ces dernières années ont été marquées par une forte demande d’études d’impact et de stratégies, que ce soit pour l’adaptation au changement climatique ou son atténuation. Ces travaux émanent de gouvernements ou de collectivités locales, de bailleurs de fonds (AFD, GIZ allemande, etc.) et d’organisations internationales (Organisation mondiale du tourisme, PNUE, OCDE, APEC), plus rarement d’acteurs privés.
Fera-t-il trop chaud en été autour de la Méditerranée ?
La grande majorité de ces initiatives a en commun un manque de précautions méthodologiques. Comme toute approche prospective, l’étude du changement climatique est en effet sujette à une cascade d’incertitudes : sur les niveaux d’émissions à venir, sur la connaissance du climat global, sur la régionalisation de ce climat, sur la réponse des touristes à ces évolutions et sur les impacts associés. En ce qui concerne l’impact des politiques climatiques sur la demande touristique, on peut citer également les incertitudes sur des paramètres clés comme l’élasticité de la demande au prix des transports.
Fera-t-il trop chaud en été dans les pays méditerranéens pour y envoyer des touristes ? Les plages résisteront-elles à l’élévation du niveau de la mer ? Jusqu’à quel point le tourisme est-il menacé par la régulation à venir du transport aérien ?
Les études d’impact se perfectionnent
Les études d’impact « sérieuses » devraient a minima combiner plusieurs scénarios d’émissions de gaz à effet de serre avec plusieurs modèles climatiques et plusieurs méthodes de régionalisation, afin de déterminer le « champ des possibles » qui s’ouvre au tourisme. Elles devraient ensuite prendre en compte la diversité des exigences des clientèles, avant de quantifier de possibles impacts.
Deux domaines sont particulièrement d’actualité : l’amélioration de la compréhension des exigences climatiques des touristes et l’usage de prévisions saisonnières et décennales par les acteurs du secteur.
À l’hypermobilité, faire succéder un « tourisme lent » de proximité. Ici, sur les routes d’Eure-et-Loir.
© DANIEL CHÉRUBIN – LA HOUSSINE
Des indices de confort touristiques
Sur le premier thème, des travaux récents se sont attachés à comprendre la relation entre le climat et la demande touristique – place du climat par rapport à d’autres facteurs explicatifs et détail de ces attentes climatiques.
Vive la canicule
La sensibilité au climat n’est pas forcément là où on l’attend : si les touristes déclarent fuir à la moindre pluie, en revanche ils se réjouissent dans les enquêtes de la perspective de fortes canicules comme celle de 2003. Les seuils de températures inconfortables ou simplement trop chaudes déclarées vont bien au-delà des recommandations des autorités sanitaires (seuils d’alerte canicule) : de quoi modérer l’idée « d’étés trop chauds » à l’avenir.
L’étape suivante consiste à mettre en équation ces attentes, en améliorant les indices de confort touristique (ICT) existants, qui combinent des paramètres comme la température, l’humidité, le vent, l’insolation, pour traduire ce qu’est un climat idéal pour le tourisme.
Il s’agirait in fine de modéliser l’impact de scénarios de changement climatique sur l’évolution des flux.
Les travaux et les comparaisons réalisés montrent la grande diversité des résultats selon les âges, les nationalités et les motivations des séjours. Des différences méthodologiques simples entre enquêtes peuvent impliquer des différences d’appréciation des seuils d’acceptabilité de l’ordre de 3 °C, comparables au niveau du réchauffement attendu, et rendent donc illusoire jusqu’à présent la perspective d’une modélisation digne de ce nom.
L’usage des prévisions météo
Sur les prévisions climatiques et saisonnières, il s’agit d’accompagner et de transférer des champs de recherche émergents de la climatologie. La météo à 8, 10 puis 15 jours a bouleversé les réservations touristiques (plus de dernière minute) ; l’amélioration des prévisions de tendances saisonnières (plusieurs mois à l’avance) pourrait également influencer les comportements, le marketing et la planification des entreprises et des destinations. De même, la perspective de prévisions probabilistes à l’échelle de un à dix ans pourrait aider les acteurs à anticiper leur rentabilité (tendances d’enneigement, risques de cyclones). La recherche est ici trop récente et trop incertaine : il n’y a pas de consensus sur l’existence d’un signal statistique significatif au niveau décennal pour le climat, même au niveau mondial. Elle reste donc peu opérationnelle.
Atténuer les effets du tourisme
En ce qui concerne l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre liées au tourisme, la réflexion est à la fois macro et micro.
À un niveau macro, après une phase de mise en évidence de la contribution du tourisme aux émissions, jusqu’alors invisible dans les inventaires car éclatée dans différentes branches de l’économie, les travaux s’attachent désormais à trouver des modes de développement permettant de réduire à long terme ces émissions, ou, plus simplement et à titre conservatoire, d’anticiper l’impact des politiques d’atténuation comme l’inclusion du transport aérien dans le mécanisme européen de permis négociables. Cette dernière mesure fait polémique malgré son indéniable pertinence économique.
© VÉRONIQUE CHÉRUBIN – LA HOUSSINE
Une multitude d’études et de projets
L’APEC (Veryard 2009) a étudié l’impact de différentes hypothèses de prix du CO2 sur la redistribution des flux de touristes dans la zone Asie-Pacifique. L’AFD (Dubois, Ceron et al 2010) s’est interrogée sur des scénarios alternatifs permettant à l’outre-mer français de sortir de sa « dépendance au carbone » (recours exclusif à l’aérien, marchés lointains et peu rémunérateurs). Le Plan d’action pour la Méditerranée (Bourse 2012) a réalisé une prospective et réfléchi aux leviers de politique permettant une croissance plus sobre, notamment par une attention plus marquée au tourisme domestique. Le projet de recherches EUPORIAS va étudier la pertinence de services climatiques dans différents secteurs, dont le tourisme, en commençant par les prévisions saisonnières. Les études TEC-CREDOC (2009, Rutty and Scott 2010, Scott, Gössling et al. 2008) portent sur la relation entre climat et demande touristique. Le séminaire de Freiburg de juin 2012 avait pour sujet Psychological and behavioural approaches to understanding and governing sustainable tourism mobility.
Ces travaux, pour intéressants qu’ils soient, soulignent l’importance des choix initiaux : si l’exercice se limite au tourisme international, on conclut souvent qu’un transport plus cher implique une perte économique, sans voir qu’une redistribution vers des flux de proximité et un tourisme domestique peut être globalement profitable pour le pays concerné. Ils soulignent aussi le besoin d’améliorer à la fois la connaissance statistique des flux (grande inconnue de la demande domestique dans les pays émergents par exemple), les comportements des touristes, et la relation entre tourisme et transport (élasticité demande-prix, substitutions modales, etc.).
Tourisme choisi ou subi ?
Un tourisme lent après le « plus souvent, moins longtemps, plus loin »
Mais comment voyager moins quand on n’est pas obligé de le faire ? Pour répondre à cette question, on peut se pencher sur l’ensemble des déterminants (cadre de vie, rythmes professionnels et familiaux, etc.) déclencheurs d’une mobilité touristique choisie ou subie, ou, de manière plus subversive, questionner les fondements d’une addiction au voyage, d’une mobilité plus compulsive.
Il s’agit, entre fatalisme (« vous ne pourrez pas empêcher les gens de voyager ») et angélisme, de mieux comprendre les déterminants de la demande, pour définir des options combinant moindre mobilité et maintien du bien-être à long terme.
Commentaire
Ajouter un commentaire
comment calculez vous le
comment calculez vous le doublement des émissions du tourisme vers 2035 ?