Adapter l’enseignement de l’X aux challenges climatiques
La création de la « majeure planète Terre », en 1996, a marqué un tournant. Cette majeure était portée par deux départements (mécanique et physique). Il s’agissait de proposer aux élèves, avant leur départ dans les écoles d’application, des éléments de culture générale faisant appel à la curiosité, plutôt qu’à la recherche de débouchés professionnels ciblés.
“ Proposer aux élèves des éléments de culture générale faisant appel à la curiosité ”
L’étude de la planète concernait des domaines qui étaient peu enseignés en France à l’époque, en dehors de DEA ou de parcours très spécialisés. Ces enseignements étaient souvent associés, en ce qui concerne les élèves de l’X, à la formation des ingénieurs géographes, des ingénieurs de la météorologie, des ingénieurs des eaux et forêts, ou des anciens ingénieurs hydrographes de la Marine, déjà intégrés dans le Corps de l’armement.
La majeure permettait à des élèves, qui n’envisageaient pas nécessairement d’en faire leur métier, de s’initier à ces thématiques en suivant trois cours de base, obligatoires : « Dynamique de l’atmosphère et de l’océan » (Robert Sadourny puis Philippe Bougeault), « Rayonnement atmosphérique » (Éric Chassefière), « Dynamique de la Terre solide » (Gauthier Hulot), auxquels s’ajoutait un « enseignement d’approfondissement » (EA) à choisir dans un ensemble assez large, système climatique, autres planètes du système solaire, exoplanètes, ou encore techniques instrumentales.
REPÈRES
Jusqu’à l’année 2006–2007, la troisième année de l’X était organisée selon trois périodes, deux périodes de majeures disciplinaires suivies d’un stage de recherche. Par exemple, un élève pouvait faire de la mécanique des solides en période 1 puis une majeure d’économie en période 2.
Depuis 2007–2008, les majeures ont été remplacées par des programmes d’approfondissement (PA), qui se déroulent sur les deux premières périodes et s’articulent de manière plus forte avec le stage. Ces PA peuvent être disciplinaires (mécanique, physique, économie, etc.) ou thématiques (environnement, innovation, énergie, etc.).
Au sein des majeures comme des PA, les élèves suivent des cours (amphi et petites classes associées) et des enseignements d’approfondissement (EA) associant, suivant les matières exposées, projets personnels, travaux expérimentaux ou numériques.
Un ensemble de connaissances organisées
Avant la majeure planète Terre, l’enseignement de ces disciplines n’était pas absent et le département de mécanique, par exemple, a accueilli des météorologues de manière régulière (Jean-Claude André, Olivier Talagrand, Robert Sadourny, Philippe Bougeault, Hervé Le Treut, Jean-Marc Chomaz, etc.).
Tous ont eu à coeur de colorier leurs enseignements et ceux de leurs collègues avec des exemples géophysiques, de créer un modex géophysique (sur treize séances successives), des EA, des stages, etc.
La majeure planète Terre (à la conception de laquelle avait aussi fortement participé Michel Blanc, DGAR de l’X quelques années plus tard) a en revanche été le premier enseignement offrant un ensemble de connaissances organisées de manière large pour montrer que l’étude de la planète est celle d’un système complexe, difficile à appréhender sans une culture scientifique pluridisciplinaire.
Forces et faiblesses
La force de la majeure planète Terre peut se mesurer rétrospectivement au nombre des anciens élèves qui ont finalement, à rebours des ambitions affichées, choisi de faire leur métier de ces disciplines et de leurs applications.
“ Les thématiques environnementales acquièrent une visibilité plus grande ”
Tout au long de sa vie, toutefois, la majeure est restée fragile, avec un effectif variable allant de vingt à cinquante personnes selon les années, qui a toujours beaucoup compliqué son organisation, en particulier au niveau des EA.
Sa faiblesse tenait au menu fixe imposé aux élèves : il était très restrictif si on le rapportait à la variété des disciplines offrant des débouchés (hydrologie, chimie de l’air et de l’eau, modélisation, télédétection spatiale, etc.), et il était évident que chacun des cours pris isolément pouvait intéresser un nombre plus large d’élèves. La majeure avait aussi lieu en toute fin de cursus, lors du dernier trimestre que les élèves passaient à l’École.
Les réformes des années 2000
Les réformes de l’enseignement entreprises à partir des années 2000 ont, à cet égard, constitué une occasion de modifier les choses.
Alexandre Stegner expliquant par une expérience d’amphi le mécanisme des panaches convectifs lors d’un cours d’Hervé Le Treut.
© LAVIALLE PHILIPPE / ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Le cours sur la dynamique de l’atmosphère et de l’océan (Hervé le Treut) est proposé en deuxième année depuis 2006. La troisième année a été modifiée pour cette même promotion, en 2007, avec la structuration en parcours d’approfondissement (PA).
Le PA « Mécanique et Physique de l’environnement », proposé à nouveau par les départements de physique et mécanique (Hervé Le Treut et Jean-François Roussel), a ainsi succédé à la majeure planète Terre. Les effectifs sont restés de quelques dizaines d’élèves, mais les possibilités de panachage ont permis à certains cours d’attirer beaucoup plus de participants.
L’objectif est devenu, à cette époque, plus clairement professionnalisant : sur une année, il a été proposé un éventail de cours à dominante environnementale de plus en plus large (cours ou EA nouveaux d’Olivier Thual, d’Alexandre Stegner, de Philippe Drobinski, Thomas Dubos, Jean-Marc Chomaz, Jean-François Roussel ou Marc Chaussidon, pour se limiter aux plus proches d’une thématique « climat »), et des cours fondamentaux ou des cours d’ouverture permettant d’aborder la modélisation, les méthodes numériques, les problématiques liées aux écoulements turbulents, à l’énergie, à la biodiversité.
Créations de nouveaux parcours
Cette définition plus large des enjeux environnementaux a aussi conduit à la création d’un deuxième PA, appelé « Écosciences », porté par les départements de biologie, de mathématiques appliquées et d’économie, très centré sur un problème voisin de celui de la transition climatique : celui de l’étude et de la préservation de la biodiversité et des ressources de la planète.
“ Ces thématiques restent une nouveauté pour les élèves ”
En 2008 est créé le PA « Énergies du XXIe siècle », qui attire également une partie des élèves soucieux de thématiques portant sur l’environnement.
Les thématiques environnementales acquièrent aussi une visibilité plus grande avec la mise en place en 2009 de l’Institut Coriolis pour l’environnement, qui organise une à deux conférences par mois, accessibles aux élèves et aux personnels du Centre de recherche de l’École. On peut aussi noter le rôle de la chaire du développement durable, financée par EDF, dans le développement de ces rapprochements interdisciplinaires.
Par ailleurs, les enseignements portant sur les thématiques environnementales s’appuient sur les laboratoires (qui ont proposé des stages validés comme des cours) et aussi sur le Sirta (Site instrumental de recherche par télédétection atmosphérique de l’IPSL), installé sur le campus de l’École polytechnique, qui permet la mise en place d’enseignements et de projets expérimentaux dans les conditions de la recherche.
Une évolution continue
CHANGEMENT DE CADRE
La structure des formations et des débouchés évolue dans un cadre plus large, que le développement de l’Université Paris-Saclay ne manquera pas de modifier.
Certaines thématiques se trouvent soutenues par le biais de chaires (développement durable, déjà évoquée, ou modélisation mathématique et biodiversité, pour n’en citer que deux).
Des partenariats internationaux se mettent en place : un partenariat entre Polytechnique et Columbia, à New York, permet depuis 2014 aux élèves suivant le M2 WAPE (Water Atmosphere Pollution Energy) de passer quatre mois de leur scolarité à Columbia.
Les PA évoluent : en 2012 la tonalité des PA portant sur l’environnement change avec la fusion des PA « Mécanique et Physique pour l’environnement » et « Écosciences », qui donne naissance au PA « Sciences pour les défis de l’environnement » (Claude Basdevant, puis Riwal Plougonven). L’interdisciplinarité est renforcée. Les élèves peuvent désormais suivre des enseignements dans des domaines très différents : économie, écologie, climat, hydrologie, etc.
Cette ouverture est souvent marquée par la création de nouveaux cours, par exemple le cours « Hydrologie continentale, ressources en eau et écosystèmes aquatiques » de Ghislain de Marsily et Jérôme Fortin. Les acteurs deviennent multiples, avec des intervenants des départements de biologie, d’économie, d’humanités et sciences sociales.
On peut aussi noter l’introduction d’une filière relevant de la thématique climat dans le PA « Innovation technologique », et le développement de thématiques « sciences spatiales » (avec par exemple des projets Cubesat).
Un intérêt de plus en plus fort
Les enseignements portant sur l’environnement et sur le changement climatique ont connu un succès croissant à l’École polytechnique. L’évolution, perceptible en troisième année, entre les choix établis près d’un an plus tôt et l’objet final des stages, montre que ces thématiques restent une nouveauté pour les élèves et que leur intérêt pour elles se développe de manière graduelle.
Le Site instrumental de recherche par télédétection atmosphérique (Sirta) sur le campus de l’École. © SIRTA / IPSL
Toutefois, compte tenu de l’impact grandissant des enjeux environnementaux dans un très large secteur d’activité, compte tenu aussi de leur complexité, on peut regretter qu’il demeure possible pour les élèves de l’École polytechnique de suivre leur scolarité à Palaiseau sans y être jamais confrontés.
Cela reste difficile à chiffrer car les effectifs des différents cours varient fortement d’une année sur l’autre, ce qui reflète en partie les intérêts des élèves, mais dépend aussi largement d’autres facteurs (autres cours proposés, contraintes sur les choix des élèves, calendrier, etc.).
Mais si l’on ajoute les effectifs du cours de deuxième année (de quelques dizaines d’élèves à un peu plus de cent) à ceux du PA « Sciences pour les défis de l’environnement » (jamais plus de trente-cinq élèves, qui sont en partie les mêmes), et même si les panachages entre PA permettent d’augmenter le nombre des personnes touchés par ces enseignements, on peut estimer que la moitié au moins, et certaines années les trois quarts au moins des élèves ont réussi à échapper aux problématiques environnementales.