Adapter l’enseignement de l’X aux challenges climatiques

Dossier : Réchauffement climatiqueMagazine N°709 Novembre 2015
Par Hervé LE TREUT
Par Riwal PLOUGONVEN (95)
Par Claude BASDEVANT

La créa­tion de la « majeure pla­nète Terre », en 1996, a mar­qué un tour­nant. Cette majeure était por­tée par deux dépar­te­ments (méca­nique et phy­sique). Il s’agissait de pro­po­ser aux élèves, avant leur départ dans les écoles d’application, des élé­ments de culture géné­rale fai­sant appel à la curio­si­té, plu­tôt qu’à la recherche de débou­chés pro­fes­sion­nels ciblés.

“ Proposer aux élèves des éléments de culture générale faisant appel à la curiosité ”

L’étude de la pla­nète concer­nait des domaines qui étaient peu ensei­gnés en France à l’époque, en dehors de DEA ou de par­cours très spé­cia­li­sés. Ces ensei­gne­ments étaient sou­vent asso­ciés, en ce qui concerne les élèves de l’X, à la for­ma­tion des ingé­nieurs géo­graphes, des ingé­nieurs de la météo­ro­lo­gie, des ingé­nieurs des eaux et forêts, ou des anciens ingé­nieurs hydro­graphes de la Marine, déjà inté­grés dans le Corps de l’armement.

La majeure per­met­tait à des élèves, qui n’envisageaient pas néces­sai­re­ment d’en faire leur métier, de s’initier à ces thé­ma­tiques en sui­vant trois cours de base, obli­ga­toires : « Dyna­mique de l’atmosphère et de l’océan » (Robert Sadour­ny puis Phi­lippe Bou­geault), « Rayon­ne­ment atmo­sphé­rique » (Éric Chas­se­fière), « Dyna­mique de la Terre solide » (Gau­thier Hulot), aux­quels s’ajoutait un « ensei­gne­ment d’approfondissement » (EA) à choi­sir dans un ensemble assez large, sys­tème cli­ma­tique, autres pla­nètes du sys­tème solaire, exo­pla­nètes, ou encore tech­niques instrumentales.

REPÈRES

Jusqu’à l’année 2006–2007, la troisième année de l’X était organisée selon trois périodes, deux périodes de majeures disciplinaires suivies d’un stage de recherche. Par exemple, un élève pouvait faire de la mécanique des solides en période 1 puis une majeure d’économie en période 2.
Depuis 2007–2008, les majeures ont été remplacées par des programmes d’approfondissement (PA), qui se déroulent sur les deux premières périodes et s’articulent de manière plus forte avec le stage. Ces PA peuvent être disciplinaires (mécanique, physique, économie, etc.) ou thématiques (environnement, innovation, énergie, etc.).
Au sein des majeures comme des PA, les élèves suivent des cours (amphi et petites classes associées) et des enseignements d’approfondissement (EA) associant, suivant les matières exposées, projets personnels, travaux expérimentaux ou numériques.

Un ensemble de connaissances organisées

Avant la majeure pla­nète Terre, l’enseignement de ces dis­ci­plines n’était pas absent et le dépar­te­ment de méca­nique, par exemple, a accueilli des météo­ro­logues de manière régu­lière (Jean-Claude André, Oli­vier Tala­grand, Robert Sadour­ny, Phi­lippe Bou­geault, Her­vé Le Treut, Jean-Marc Cho­maz, etc.).

Tous ont eu à coeur de colo­rier leurs ensei­gne­ments et ceux de leurs col­lègues avec des exemples géo­phy­siques, de créer un modex géo­phy­sique (sur treize séances suc­ces­sives), des EA, des stages, etc.

La majeure pla­nète Terre (à la concep­tion de laquelle avait aus­si for­te­ment par­ti­ci­pé Michel Blanc, DGAR de l’X quelques années plus tard) a en revanche été le pre­mier ensei­gne­ment offrant un ensemble de connais­sances orga­ni­sées de manière large pour mon­trer que l’étude de la pla­nète est celle d’un sys­tème com­plexe, dif­fi­cile à appré­hen­der sans une culture scien­ti­fique pluridisciplinaire.

Forces et faiblesses

La force de la majeure pla­nète Terre peut se mesu­rer rétros­pec­ti­ve­ment au nombre des anciens élèves qui ont fina­le­ment, à rebours des ambi­tions affi­chées, choi­si de faire leur métier de ces dis­ci­plines et de leurs applications.

“ Les thématiques environnementales acquièrent une visibilité plus grande ”

Tout au long de sa vie, tou­te­fois, la majeure est res­tée fra­gile, avec un effec­tif variable allant de vingt à cin­quante per­sonnes selon les années, qui a tou­jours beau­coup com­pli­qué son orga­ni­sa­tion, en par­ti­cu­lier au niveau des EA.

Sa fai­blesse tenait au menu fixe impo­sé aux élèves : il était très res­tric­tif si on le rap­por­tait à la varié­té des dis­ci­plines offrant des débou­chés (hydro­lo­gie, chi­mie de l’air et de l’eau, modé­li­sa­tion, télé­dé­tec­tion spa­tiale, etc.), et il était évident que cha­cun des cours pris iso­lé­ment pou­vait inté­res­ser un nombre plus large d’élèves. La majeure avait aus­si lieu en toute fin de cur­sus, lors du der­nier tri­mestre que les élèves pas­saient à l’École.

Les réformes des années 2000

Les réformes de l’enseignement entre­prises à par­tir des années 2000 ont, à cet égard, consti­tué une occa­sion de modi­fier les choses.

Alexandre Ste­gner expli­quant par une expé­rience d’amphi le méca­nisme des panaches convec­tifs lors d’un cours d’Hervé Le Treut. 
© LAVIALLE PHILIPPE / ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Le cours sur la dyna­mique de l’atmosphère et de l’océan (Her­vé le Treut) est pro­po­sé en deuxième année depuis 2006. La troi­sième année a été modi­fiée pour cette même pro­mo­tion, en 2007, avec la struc­tu­ra­tion en par­cours d’approfondissement (PA).

Le PA « Méca­nique et Phy­sique de l’environnement », pro­po­sé à nou­veau par les dépar­te­ments de phy­sique et méca­nique (Her­vé Le Treut et Jean-Fran­çois Rous­sel), a ain­si suc­cé­dé à la majeure pla­nète Terre. Les effec­tifs sont res­tés de quelques dizaines d’élèves, mais les pos­si­bi­li­tés de pana­chage ont per­mis à cer­tains cours d’attirer beau­coup plus de participants.

L’objectif est deve­nu, à cette époque, plus clai­re­ment pro­fes­sion­na­li­sant : sur une année, il a été pro­po­sé un éven­tail de cours à domi­nante envi­ron­ne­men­tale de plus en plus large (cours ou EA nou­veaux d’Olivier Thual, d’Alexandre Ste­gner, de Phi­lippe Dro­bins­ki, Tho­mas Dubos, Jean-Marc Cho­maz, Jean-Fran­çois Rous­sel ou Marc Chaus­si­don, pour se limi­ter aux plus proches d’une thé­ma­tique « cli­mat »), et des cours fon­da­men­taux ou des cours d’ouverture per­met­tant d’aborder la modé­li­sa­tion, les méthodes numé­riques, les pro­blé­ma­tiques liées aux écou­le­ments tur­bu­lents, à l’énergie, à la biodiversité.

Créations de nouveaux parcours

Cette défi­ni­tion plus large des enjeux envi­ron­ne­men­taux a aus­si conduit à la créa­tion d’un deuxième PA, appe­lé « Écos­ciences », por­té par les dépar­te­ments de bio­lo­gie, de mathé­ma­tiques appli­quées et d’économie, très cen­tré sur un pro­blème voi­sin de celui de la tran­si­tion cli­ma­tique : celui de l’étude et de la pré­ser­va­tion de la bio­di­ver­si­té et des res­sources de la planète.

“ Ces thématiques restent une nouveauté pour les élèves ”

En 2008 est créé le PA « Éner­gies du XXIe siècle », qui attire éga­le­ment une par­tie des élèves sou­cieux de thé­ma­tiques por­tant sur l’environnement.

Les thé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales acquièrent aus­si une visi­bi­li­té plus grande avec la mise en place en 2009 de l’Institut Corio­lis pour l’environnement, qui orga­nise une à deux confé­rences par mois, acces­sibles aux élèves et aux per­son­nels du Centre de recherche de l’École. On peut aus­si noter le rôle de la chaire du déve­lop­pe­ment durable, finan­cée par EDF, dans le déve­lop­pe­ment de ces rap­pro­che­ments interdisciplinaires.

Par ailleurs, les ensei­gne­ments por­tant sur les thé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales s’appuient sur les labo­ra­toires (qui ont pro­po­sé des stages vali­dés comme des cours) et aus­si sur le Sir­ta (Site ins­tru­men­tal de recherche par télé­dé­tec­tion atmo­sphé­rique de l’IPSL), ins­tal­lé sur le cam­pus de l’École poly­tech­nique, qui per­met la mise en place d’enseignements et de pro­jets expé­ri­men­taux dans les condi­tions de la recherche.

Une évolution continue

CHANGEMENT DE CADRE

La structure des formations et des débouchés évolue dans un cadre plus large, que le développement de l’Université Paris-Saclay ne manquera pas de modifier.
Certaines thématiques se trouvent soutenues par le biais de chaires (développement durable, déjà évoquée, ou modélisation mathématique et biodiversité, pour n’en citer que deux).
Des partenariats internationaux se mettent en place : un partenariat entre Polytechnique et Columbia, à New York, permet depuis 2014 aux élèves suivant le M2 WAPE (Water Atmosphere Pollution Energy) de passer quatre mois de leur scolarité à Columbia.

Les PA évo­luent : en 2012 la tona­li­té des PA por­tant sur l’environnement change avec la fusion des PA « Méca­nique et Phy­sique pour l’environnement » et « Écos­ciences », qui donne nais­sance au PA « Sciences pour les défis de l’environnement » (Claude Bas­de­vant, puis Riwal Plou­gon­ven). L’interdisciplinarité est ren­for­cée. Les élèves peuvent désor­mais suivre des ensei­gne­ments dans des domaines très dif­fé­rents : éco­no­mie, éco­lo­gie, cli­mat, hydro­lo­gie, etc.

Cette ouver­ture est sou­vent mar­quée par la créa­tion de nou­veaux cours, par exemple le cours « Hydro­lo­gie conti­nen­tale, res­sources en eau et éco­sys­tèmes aqua­tiques » de Ghis­lain de Mar­si­ly et Jérôme For­tin. Les acteurs deviennent mul­tiples, avec des inter­ve­nants des dépar­te­ments de bio­lo­gie, d’économie, d’humanités et sciences sociales.

On peut aus­si noter l’introduction d’une filière rele­vant de la thé­ma­tique cli­mat dans le PA « Inno­va­tion tech­no­lo­gique », et le déve­lop­pe­ment de thé­ma­tiques « sciences spa­tiales » (avec par exemple des pro­jets Cubesat).

Un intérêt de plus en plus fort

Les ensei­gne­ments por­tant sur l’environnement et sur le chan­ge­ment cli­ma­tique ont connu un suc­cès crois­sant à l’École poly­tech­nique. L’évolution, per­cep­tible en troi­sième année, entre les choix éta­blis près d’un an plus tôt et l’objet final des stages, montre que ces thé­ma­tiques res­tent une nou­veau­té pour les élèves et que leur inté­rêt pour elles se déve­loppe de manière graduelle.

Le Site instrumental de recherche par télédétection atmosphérique (Sirta) sur le campus de l’École polytechnique
Le Site ins­tru­men­tal de recherche par télé­dé­tec­tion atmo­sphé­rique (Sir­ta) sur le cam­pus de l’École. © SIRTA / IPSL

Tou­te­fois, compte tenu de l’impact gran­dis­sant des enjeux envi­ron­ne­men­taux dans un très large sec­teur d’activité, compte tenu aus­si de leur com­plexi­té, on peut regret­ter qu’il demeure pos­sible pour les élèves de l’École poly­tech­nique de suivre leur sco­la­ri­té à Palai­seau sans y être jamais confrontés.

Cela reste dif­fi­cile à chif­frer car les effec­tifs des dif­fé­rents cours varient for­te­ment d’une année sur l’autre, ce qui reflète en par­tie les inté­rêts des élèves, mais dépend aus­si lar­ge­ment d’autres fac­teurs (autres cours pro­po­sés, contraintes sur les choix des élèves, calen­drier, etc.).

Mais si l’on ajoute les effec­tifs du cours de deuxième année (de quelques dizaines d’élèves à un peu plus de cent) à ceux du PA « Sciences pour les défis de l’environnement » (jamais plus de trente-cinq élèves, qui sont en par­tie les mêmes), et même si les pana­chages entre PA per­mettent d’augmenter le nombre des per­sonnes tou­chés par ces ensei­gne­ments, on peut esti­mer que la moi­tié au moins, et cer­taines années les trois quarts au moins des élèves ont réus­si à échap­per aux pro­blé­ma­tiques environnementales.

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