Adapter les cultures aux sécheresses et aux températures
REPÈRES
Une étude des facteurs susceptibles d’être à l’origine du plafonnement des rendements agricoles a été entreprise récemment par Arvalis, en collaboration avec l’Inra.
REPÈRES
Une étude des facteurs susceptibles d’être à l’origine du plafonnement des rendements agricoles a été entreprise récemment par Arvalis, en collaboration avec l’Inra.
Les éléments de la conduite culturale susceptibles d’avoir le plus d’impact sur la production – choix variétal (via le progrès génétique), postes de fertilisation (notamment azotée) et de protection contre les maladies – ont été analysés grâce à des enquêtes de pratiques culturales (sur cinq régions françaises). L’analyse de ces observations a été complétée par des données d’expérimentation, des approches relatives à l’évolution du climat et par la mise en œuvre de modèles simulant les impacts des stress climatiques sur le rendement des cultures.
Des résultats convergents
Les études menées sur l’évolution des rendements agricoles, et en particulier des céréales, fournissent des résultats très convergents. Il ressort de l’ensemble de ces analyses que le progrès génétique sur le blé s’est maintenu à un niveau constant de l’ordre de 1 q par hectare et par an, avec une progression plus soutenue (1,3 q) en conduites culturales sans traitement fongicide ; la génétique n’est pas responsable de cette stagnation et la tolérance variétale vis-à-vis des maladies cryptogamiques s’est accrue.
Une évolution lente
Nos études montrent que les agriculteurs ont finalement peu « désintentisifié » leurs pratiques, et la traduction de ces évolutions en termes de pertes de rendement se révèle modérée.
Autre enseignement : les pratiques culturales liées aux intrants (fertilisation azotée, emploi de fongicides) ont modérément évolué. Notons également que les rotations ont évolué plus sensiblement (augmentation moyenne sur douze ans de 15 % du précédent colza, au détriment du pois protéagineux, moins 15%); cette modification a engendré une diminution relative des rendements également assez faible.
Les facteurs climatiques expliquent 50 à 88% de la variation des rendements
Et le raccourcissement des rotations, souvent associé à une plus grande homogénéité des espèces cultivées, a sans doute eu des impacts indirects sur la fertilité biologique et la qualité structurale des sols dont les impacts sont plus difficilement chiffrables ; toutefois, l’analyse des essais de longue durée montre que la mise en œuvre des techniques d’une agriculture raisonnée s’est traduite par un maintien de la fertilité chimique et du pouvoir de minéralisation des sols.
L’importance du climat
En revanche, les principaux risques climatiques préjudiciables sur le blé (déficit hydrique en cours de montaison, ainsi que sécheresse et températures excessives au cours du remplissage des grains) ont très significativement augmenté dans la grande majorité des bassins de production. Ces facteurs climatiques calculés sur les phases du cycle (notion de « phénoclimat ») expliquent à eux seuls entre 50 et 88 % de la variation des rendements, selon les départements.
Une approche rigoureuse
Les données utilisées pour cette étude sont de nature variée : données statistiques de rendement à des échelles nationales ou régionales (données du SCEES ou AGRESTE pour la France, de la FAO pour les autres pays), données de résultats d’expérimentations Arvalis et données issues de modèles de culture. Les données d’expérimentations Arvalis visent à estimer le rendement permis par les milieux avec la mise en œuvre de techniques optimales dans le cadre d’une agriculture raisonnée. Les données climatiques pour les calculs d’indicateurs et la modélisation sont celles de Météo-France et comprennent de longues séries chronologiques de stations météorologiques représentatives de différents bassins de production.
Les outils de diagnostic agronomique sont constitués d’indicateurs « phénoclimatiques » et de modèles dynamiques de culture : Panoramix (Gate, 1995) et Stics (Brisson et al., 2002). Ces modèles prennent en charge les effets du climat, et les simulations ont été effectuées en considérant les techniques culturales non limitantes (nutrition, bioagresseurs) avec la variété Soissons adaptée à l’ensemble des bassins.
Résultats convergents
Les résultats entre les deux modèles (Panoramix et Stics) sont très convergents. Dans la plupart des situations, on observe d’abord un effet neutre ou positif du climat entre les années 1955 et 1995. Après 1995 environ, on constate une incidence franchement négative du climat sur le rendement. Seules les bordures maritimes du nord et du nord-ouest manifestent peu d’effets climatiques pénalisants. Les pénalités sont plus accusées en région sud, dans le centre et le centre-est de la France.
Rendement et climat
Après 1995, on constate une incidence négative du climat sur le rendement
Nous avons mis en relation le rendement issu de différentes régions françaises (Picardie, Bourgogne, Normandie, Centre et Provence- Côte d’Azur, données statistiques régionales du SCEES) en fonction de l’année de récolte 1990 à 2008. Nous avons estimé ensuite les écarts à cette tendance linéaire par des indicateurs phénoclimatiques : le déficit hydrique cumulé pendant la phase de montaison (entre le stade épi à 1 cm et la floraison) et une variable d’impact qui combine déficit hydrique et nombre de jours échaudants au cours du remplissage des grains en matière sèche.
L’effet des températures
En complément de cette étude, nous avons mis en relation pour chaque département les écarts de rendement entre l’année n et celle qui la précède (n –1) avec les variables phénoclimatiques calculées sur le même intervalle de temps. Cette procédure permet de s’affranchir d’autres causes tendancielles comme le progrès génétique ou une éventuelle évolution des techniques culturales.
Tenir compte du chaud
Parmi les critères officiels utilisés pour inscrire les variétés proposées par les sélectionneurs dans le cadre d’une adaptation aux stress climatiques, seule existe la capacité à résister au froid ; un élargissement de la réglementation à des critères liés au changement climatique se révèle donc indispensable pour orienter la sélection vers la création de variétés innovantes et adaptées au climat à venir.
Pour la quasi-totalité des départements, on observe des relations négatives significatives entre les écarts de rendement et les variables sécheresse en cours de montaison et le nombre de jours trop chauds au cours du remplissage. On constate que, pour les grandes zones de production du blé, qui présentent souvent peu de déficits hydriques (sols profonds, pluviométrie peu limitante), c’est en priorité les températures excessives qui expliquent le plus la variabilité interannuelle du rendement. Pour les sites du sud de la France (sud-ouest et surtout sud-est), la variabilité interannuelle du rendement s’explique davantage par la sécheresse.
La température excessive est plus pénalisante que la sécheresse
De même, pour apporter des éléments probants supplémentaires, nous avons comparé l’évolution des rendements établie selon les statistiques régionales avec celle de nos expérimentations (menées avec des techniques culturales menées à l’optimum, c’est-à-dire sans facteurs limitatifs autres que ceux d’ordre climatique). Cette analyse comparative a été menée en Champagne, Bourgogne, Bretagne et PACA avec des séries pouvant commencer depuis les années 1980 (figure 1). Pour toutes les régions, on note une exacte synchronie quant à la variation d’une année à l’autre des rendements : le poids du climat est donc prééminent. Si effectivement, le plafonnement du rendement était dû à des changements d’attitude en termes de techniques culturales, une telle concomitance n’existerait pas entre les deux sources d’information.
Des solutions adaptées à la chaleur et à la sécheresse
Afin d’identifier les solutions adaptatives les plus efficaces, nous avons mis en œuvre les modèles de culture en utilisant des données climatiques du futur simulées par Météo-France (données jusqu’en 2100, sous différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre).
FIGURE 1 |
Évolution comparée des rendements issus de deux sources d’information : (expérimentations menées à l’optimum et données statistiques régionales). Exemple du département de la Marne. |
Ces simulations permettent effectivement de hiérarchiser les leviers à mobiliser pour améliorer la production en identifiant d’une part les facteurs qui seront les plus limitants du rendement et les moyens les plus efficaces pour réduire leurs préjudices. Il ressort de ces simulations que la température excessive constitue pour les céréales, et globalement pour l’ensemble des espèces de type C3 (protéagineux, colza), un facteur significativement plus pénalisant que la sécheresse. L’amélioration génétique de la tolérance aux fortes températures est la voie à privilégier, plus que le recours à des variétés précoces, et bien plus que l’emploi de semis anticipés. Il existe une variabilité génétique inexplorée de la tolérance à la canicule qu’il convient donc de promouvoir et de valoriser à la fois dans le cadre de programmes de recherche et dans celui de l’inscription réglementaire et obligatoire des variétés.
Les effets de la pluviosité
S’agissant de la pluie, on relève que si les sécheresses printanières et estivales vont continuer à s’amplifier, les quantités automnales et hivernales risquent d’être plus souvent en excès.
Moins d’engrais azotés
On peut diminuer les apports en engrais azotés en mobilisant des leviers complémentaires : leviers agronomiques (introduction d’espèces fournissant de l’azote minéral aux cultures suivantes comme notamment les légumineuses, à condition de garantir des débouchés rentables), mise en œuvre d’outils d’aide à la décision capables d’ajuster les doses d’intrants aux besoins réels des cultures (utilisation par exemple de la télédétection, pour un déploiement sur de larges surfaces) et amélioration génétique des espèces (variétés plus sobres et plus efficientes avec des gènes candidats d’ores et déjà identifiés).
Au-delà de la création de variétés plus efficientes vis-à-vis de l’utilisation de l’eau, cette répartition déséquilibrée prêche en faveur de la constitution de réserves en construisant des infrastructures de stockage de l’eau. Par ailleurs, la plus faible disponibilité de l’eau pendant les phases de croissance se traduit également par une moindre capacité à absorber et à valoriser les éléments fertilisants dont l’azote.
L’occurrence d’événements extrêmes aggrave la situation
Le recours à cet intrant de synthèse participe également à l’émission des gaz à effet de serre et à l’épuisement des énergies fossiles. Concevoir des systèmes de culture moins dépendants de cet intrant deviendra donc une priorité absolue dans les années qui viennent, car ils opéreront simultanément sur l’adaptation et l’atténuation.
Les effets du climat sur le blé (fortes températures et sécheresse) © ARVALIS – INSTITUT DU VÉGÉTAL |
Événements extrêmes
L’augmentation des températures et de la sécheresse s’accompagne d’une année à l’autre par l’occurrence d’autres événements extrêmes qui aggravent la situation : excès d’eau hivernal limitant l’enracinement (2001, 2003, 2007) ou excès d’eau tardifs post-floraison (2007, 2008), augmentation de la demande climatique pendant la montaison et réduction des pluies printanières (1996, 1997), rayonnement exceptionnellement bas au moment de la fécondation (2008) et enfin très faible endurcissement au froid des blés suivi de cycles gel-dégel préjudiciables très sévères (2003, 2011). Cette variabilité interannuelle à caractère de plus en plus aléatoire oblige à reconcevoir les préconisations d’espèces et de variétés à cultiver. Comme, génétiquement, il se révèle impossible de rassembler au sein d’une même plante l’ensemble des caractères adaptatifs, il convient d’identifier par milieu les combinaisons d’espèces et de variétés permettant de minimiser les incidences du climat de nature tendancielle (augmentation des températures, des sécheresses) et plus aléatoire.
Orienter les recherches
Le rendement du blé plafonne en France, dans la quasi-totalité des régions. Seules les régions les plus au nord, épargnées par l’occurrence de stress abiotiques significatifs, sont épargnées.
Promouvoir la variété
Face aux risques induits par la variabilité des phénomènes climatiques, le fait que l’agriculteur cultive trois ou quatre variétés par espèce à l’échelle de son exploitation constitue un atout à valoriser. Une optimisation de la diversité génétique à l’échelle territoriale du bassin de production est aussi une démarche à promouvoir
La plus grande partie de l’érosion des rendements est expliquée par le climat, notamment par les sécheresses (dans le sud de la France) et surtout par les fortes températures (dans les grandes zones céréalières). On met en évidence le rôle important et fortement dépressif des fortes températures au cours du remplissage sur le rendement. Contrairement à la sécheresse, ce phénomène intéresse tous les types de sol et son impact concerne des surfaces plus grandes.
La plus grande partie de l’érosion des rendements est expliquée par le climat
L’anticipation des stades induite par le changement climatique n’a pas été et ne sera pas suffisante pour annuler l’impact des facteurs climatiques. La conception d’une esquive plus efficace et l’amélioration de la tolérance génétique aux stress climatiques (à la sécheresse, et surtout à l’échaudage thermique, caractère peu exploré) constituent des axes de recherche à privilégier. S’agissant de la température, des recherches plus fondamentales pour comprendre et hiérarchiser les mécanismes physiologiques qui sont à l’origine de l’expression de l’échaudage thermique sont à mener : d’une part pour « phénotyper » de manière pertinente le matériel végétal dans des projets d’amélioration génétique, et d’autre part pour mieux simuler les incidences du climat futur en prenant mieux en compte les conditions plus extrêmes et les interactions, notamment avec l’élévation du taux de CO2.
Une vision globale
Des approches plus territoriales mobilisant différents acteurs doivent être développées : création d’infrastructures de stockage de l’eau entre les différents utilisateurs de cette ressource partagée (et limitée) et optimisation spatiale des diversités génétiques pour une meilleure adaptation à l’échelle des bassins de collecte. Ces deux objectifs sous-tendent une évolution vers une conception de la gouvernance des territoires plus collaborative.
Il convient également de mentionner que dans les modèles socio-économiques globaux, source des scénarios prédictifs de la planète, le caractère toujours linéaire de l’évolution des rendements des céréales est le plus souvent toujours pris en compte. Notre constat remet en cause la prise en compte d’une telle hypothèse.
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