Adapter l’offre de financement à l’évolution des besoins
Le diagnostic scientifique synthétisé par le GIEC affirme que l’humanité a mis en route un changement à grande échelle de notre système climatique, dont les effets commencent à être visibles.
Pour Jean-Laurent Bonnafé (81), administrateur directeur général du groupe BNP Paribas : « Le diagnostic du GIEC est très largement partagé, avec un niveau de certitude à 95 % qui ne laisse plus d’espace au doute, les activités humaines dérèglent le climat.
“ Nous sommes en mesure de proposer à tous nos clients des produits compatibles avec un scénario à 2 °C ”
« Les scientifiques nous disent aussi que nous pouvons encore émettre 250 Gt de carbone avant un seuil dangereux de réchauffement à 2 °C, et que cela suppose de laisser dans le sous-sol près des trois quarts des réserves fossiles connues et exploitables dans les conditions techniques et économiques actuelles.
« Cette donnée change à la fois les modes de production et de consommation de nos clients, ce qui nous oblige à la prendre en compte. » Quant à la dimension morale, « c’est surtout l’urgence qui s’impose à notre génération : elle est la dernière à pouvoir encore agir pour respecter ce seuil ».
Un scénario de rupture
Face à un scénario de rupture type « 2 °C max », qui supposerait de ne pas envoyer dans l’atmosphère plus de la moitié de ce que nous avons déjà émis, BNP Paribas « se prépare de deux façons ». « D’une part en maîtrisant nos risques », indique Jean-Laurent Bonnafé. « Nos politiques de crédit intègrent le sujet carbone.
« Le groupe a ainsi refusé de financer plus de vingt-cinq centrales électriques au charbon représentant 159 millions de tonnes de CO2 émises par an (soit 36 % des émissions de la France) en raison notamment d’une efficacité énergétique insuffisante.
« De façon plus globale, nous allons intégrer les risques environnementaux et sociaux, et notamment le risque climatique dans notre cadre général d’anticipation des risques, afin qu’ils soient mieux pris en compte dans le cadre de la réglementation Bâle 3.
« D’autre part, en développant une offre de produits et services : nous sommes en mesure de proposer à tous nos clients des produits compatibles avec un scénario 2 °C. « L’un des résultats concrets de cette stratégie est que le mix électrique produit par les entreprises que nous finançons est “en avance de phase” sur le mix mondial : il intègre moins de fossiles et plus de renouvelables et nous allons veiller à conserver cette avance. »
ADAPTER L’OFFRE DE PRODUITS ET DE SERVICES
Quelques exemples de ce que fait BNP Paribas. Dans la gestion d’actifs, nous nous sommes engagés à publier l’empreinte carbone de nos fonds et nous développons des produits structurés qui permettent de financer des projets d’efficacité énergétique ou de développement des énergies renouvelables tout en garantissant à l’investisseur son capital et une performance en ligne avec les indices.
Dans la banque de financement, BNP Paribas s’est fixé des objectifs ambitieux en matière d’émission d’obligations vertes et une équipe est dédiée au développement de produits responsables.
Dans la banque de détail, nous accompagnons les particuliers sur la rénovation énergétique de leurs logements, et les PME sur le recours aux renouvelables.
Des gagnants et des perdants
Peut-on sortir de la routine pour assumer la responsabilité morale que notre génération pourrait porter à l’égard des générations futures ?
Il faut laisser dans le sous-sol près des trois quarts des réserves fossiles connues. © DED PIXTO / FOTOLIA
« Notre activité consiste à financer l’économie sur le long terme. La nécessaire transition énergétique afin de limiter le réchauffement à 2 °C va rebattre les cartes : il y aura les gagnants, qui auront anticipé la contrainte dans leur stratégie, et les autres. L’existence d’un prix du carbone rendrait plus lisible le poids de cette contrainte dans les bilans des entreprises.
« Nous anticipons également les conséquences physiques du dérèglement du climat sur nos clients : baisse des rendements agricoles, stress hydrique des centrales thermiques sur des fleuves dont l’étiage baisse, moindre acceptation sociale des énergies fortement émettrices de CO2, etc. : autant de systèmes productifs dont nous avons besoin de comprendre, aujourd’hui, quand nous les finançons sur le long terme, s’ils restent résilients demain, sous un climat peut-être moins favorable à leurs activités.
« Il est clair par exemple que le mix énergétique que nous finançons va évoluer. »
Espérer un accord
Qu’est-ce qu’il sortira de la COP 21 ?
“ Un scénario à 2 °C revient à “retarder” le PIB d’une année tous les trente ans ”
« On peut raisonnablement espérer un accord », soutient Jean-Laurent Bonnafé, « même s’il sera difficile que cet accord respecte les demandes de la science, et même si les conditions de sa mise en œuvre resteront sans doute imprécises.
« Les entreprises ont montré leur volonté d’avancer sans attendre et c’est la grande avancée par rapport aux COP précédentes. Le Business and Climate Summit de mai dernier a réaffirmé la nécessité de donner un prix au carbone pour relier les discussions de la COP 21 avec la géopolitique de l’énergie et le système financier mondial. »
Réconcilier des horizons différents
Quels sont les freins à la mise en place de politiques climatiques ambitieuses ? Quel rôle pour l’État, pour le privé ?
Le stress hydrique va augmenter © BOUYBIN / FOTOLIA
« Au-delà de la mise en place d’une comptabilité carbone dans les pays ou les secteurs où elle manque encore, la complexité vient surtout du fait qu’il faut réconcilier des horizons différents : court terme pour le financement de la croissance économique et long terme pour la prise en compte des impacts climatiques.
« C’est pourquoi il est particulièrement important que le coût des externalités soit intégré dans les décisions et surtout qu’une gouvernance internationale soit mise en place, garantissant des politiques à long terme homogènes qui permettent aux acteurs privés et publics de trouver, ensemble, des solutions.
« Un scénario à 2 °C requiert de renoncer à 0,06 point de PIB mondial par an, ce qui revient à “retarder” le PIB d’une année toutes les trente ans. À l’inverse, ne pas agir peut coûter beaucoup plus cher à moyen terme », conclut Jean-Laurent Bonnafé.