ADEME Hauts-de-France : « La réussite de la transition et l’atteinte de la neutralité carbone sont des défis collectifs »
Éric Vidalenc, aujourd’hui Directeur régional adjoint au sein de la Direction régionale ADEME Hauts-de-France, avait piloté, il y a déjà deux ans, la Prospective Transitions 2050. Dans cette interview, il revient sur ces travaux, dresse un bilan énergétique et climatique et partage avec nous les principaux enjeux et pistes de réflexion qui nécessitent une mobilisation climatique pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050.
Quel est le bilan énergétique et climatique que vous dressez à l’heure actuelle ?
Avec le pic de consommation énergétique en France, il y a près de 20 ans, on observe, , que tous les efforts en matière d’efficacité énergétique et de maîtrise de la demande commencent à porter leurs fruits. Mais si la consommation d’énergie diminue, le rythme de cette diminution n’est pas aussi rapide que ce que nous souhaitons et visons selon la loi. En parallèle, la consommation énergétique est encore majoritairement de source fossile. Or, en grande partie le problème climatique est justement due aux énergies fossiles qui sont responsables d’un volume important d’émissions de gaz à effet de serre.
Néanmoins, structurellement, en France, ces émissions de gaz à effet de serre diminuent dans la quasi-totalité des secteurs. À l’heure actuelle, la mobilité reste le secteur où cette diminution… n’existe pas. Si l’industrie automobile fabrique des voitures qui consomment de moins en moins avec des moteurs toujours plus efficaces, les flux de personnes et de marchandises sont en perpétuelle croissance.
Le bilan sur l’énergie et le climat est donc contrasté, même s’il est important de souligner que nous sommes globalement dans la bonne direction. De nombreuses actions et initiatives sont lancées Aujourd’hui, le véritable défi est d’accélérer le rythme. D’ailleurs, les travaux du Haut Conseil pour le Climat appellent régulièrement à cette accélération, car, actuellement, nous ne sommes pas à la hauteur des ambitions et des objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre de l’atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050.
Enfin, il existe aussi de très grands contrastes entre les différentes zones géographiques du monde. En Europe, les émissions diminuent. À l’inverse, à l’échelle mondiale, les émissions n’ont pas encore atteint leur pic et ne sont pas encore en phase de diminution.
Dans le cadre de ces missions et de son périmètre d’action, l’Ademe réalise un important travail de prospective. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Transition(s)2050, que j’ai piloté pendant deux ans, est un grand travail collectif qui a impliqué une centaine de personnes de divers champs académiques (ingénieurs, économistes, sociologues,…) et spécialisées dans la mobilité, le logement, l’agriculture, l’industrie… Nous avons mobilisé cette expertise collective, diverse, mais complémentaire, pour réaliser ce travail prospectif autour d’une question : quels sont les chemins qui s’offrent à nous pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ? Si cet objectif est inscrit dans la loi de 2019 en France, il n’y a, en effet, pas de consensus sur les voies existantes pour y parvenir. La Stratégie Nationale Bas Carbone définie décrit des chemins peu détaillés, alors qu’il s’agit véritablement de pouvoir donner des pistes concrètes aux secteurs de l’industrie, de la mobilité, des bâtiments ; de définir les rythmes de changement pour atteindre la neutralité carbone… Il s’agit aussi de se pencher sur les implications des alternatives sur l’économie, les ressources, les matières, les métaux, les sols… Se pose aussi la question des investissements qui doivent être mobilisés pour relever ce défi.
Dans le cadre de ce travail prospectif, nous avons placé ces constats au cœur de notre réflexion pour construire 4 chemins de transition vers la neutralité carbone inspiré des 4 scénarios du Rapport Spécial 1,5°C du GIEC de 2018. Nous avons aussi considéré que la question de l’adaptation est essentielle. Il est, en effet, accepté de tous aujourd’hui que nous ne reviendrons jamais au monde pré-réchauffement industriel. Il s’agit donc de conduire simultanément une transformation profonde de nos systèmes industriels, nos systèmes agricoles, nos modes de vie… et, à côté de cette démarche de décarbonation, de s’adapter à un monde qui sera plus chaud et plus exposé aux événements climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, pluies diluviennes…).
Dans le cadre de cette prospective, nous avons aussi fait le lien avec les territoires. Nous avons réalisé un zoom thématique pour voir comment les territoires peuvent se saisir de ces enjeux. En effet, la question territoriale est majeure, puisque la relocalisation, la réindustrialisation, et la décentralisation des systèmes énergétiques sont des leviers de la réussite de cette transformation.
Et dans cette logique, aujourd’hui, dans la région Hauts-de-France, nous menons ce travail de territorialisation où nous cherchons à définir comment les quatre scénarios qui ont été établis nationalement peuvent « atterrir » et quels en sont les impacts très concrets sur l’occupation des sols et les emplois associés.
Que faut-il retenir de Transition(s)2050 ?
La transition doit se concrétiser d’ici 2050 pour contenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés. Il faut faire cette transition, mais surtout la faire à temps. Ces enjeux et sujets doivent être débattus ensemble pour décider et agir rapidement. Nous avons tiré quatre enseignements principaux de l’étude :
- nous pouvons atteindre la neutralité carbone : mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, de chemin tout tracé, consensuel ou facile, chacun des quatre scénarios identifiés porte une part de défis socio-économiques, sociétaux et technologiques.et contient des risques différents ;
- la question de la réduction des consommations matérielles au sens large (énergie, métaux, ressources, matières premières) nous apparaît indispensable pour atteindre la neutralité carbone. Au-delà des impacts environnementaux, cette réduction des consommations (via la sobriété et l’efficacité) entraînera des effets bénéfique sur notre économie. En France où nous importons l’intégralité de nos énergies primaires fossiles (gaz, pétrole et charbon), réduire cette consommation va impacter positivement notre balance commerciale et réduire notre facture énergétique (plus de 100 milliards en 2022). En outre, réduire la consommation d’énergies fossiles permet de réduire les polluants locaux et, in fine, d’améliorer la santé de tous ;
- la biomasse est à la croisée de nombreux enjeux de la transition écologique (alimentation, energie, matériaux, stockage de carbone, biodiversité…). Quel que soit le scénario, nous pensons qu’il y aura besoin de deux fois plus de biomasse. Dans ce cadre, nous sommes face à un défi : comment produire plus de biomasse tout en respectant les contraintes des sols et les écosystèmes ?
- enfin, les énergies renouvelables ont un rôle clé à jouer. L’enjeu est d’accélérer la production pour atteindre des niveauxd’énergie renouvelable que nous n’avons historiquement jamais eu en France quel que soit le scénario. Cela pose un enjeu de société et industriel important pour passer de 20 % à 70 % ou, 90 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique national à l’horizon 2050.
“Dans cette course à la neutralité carbone, il ne s’agit pas seulement de réduire les émissions, il faut les ramener quasiment à un niveau zéro, de manière à ce que les émissions résiduelles puissent être absorbées par les puits de carbone, notamment les puits biologiques comme les forêts ou les sols qui se sont dégradés ces dernières années, à cause d’un réchauffement climatique plus agressif que prévu.”
Plus largement, nous avons aussi des sujets d’ordre économique, de répartition de l’effort entre secteurs et acteurs et de capacité à financer cette transition.
Dans cette course à la neutralité carbone, il ne s’agit pas seulement de réduire les émissions, il faut les ramener quasiment à un niveau zéro, de manière à ce que les émissions résiduelles puissent être absorbées par les puits de carbone, notamment les puits biologiques comme les forêts ou les sols qui se sont dégradés ces dernières années, à cause d’un réchauffement climatique plus agressif que prévu.
Enfin, le principal enjeu est d’arriver à mobiliser tous les secteurs, mais aussi les citoyens français… et les autres pays. La réussite de la transition et l’atteinte de la neutralité carbone sont des défis collectifs que nous devons relever ensemble pour être pleinement efficace.
Pour en savoir plus : https://hauts-de-france.ademe.fr/