L’économie circulaire en France : des avancées et des enjeux qui persistent

L’économie circulaire en France : des avancées et des enjeux qui persistent

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Roland MARION

Éco­no­mie de la fonc­tion­na­li­té, res­pon­sa­bi­li­té élar­gie des pro­duc­teurs (REP), recy­clage, valo­ri­sa­tion des déchets… sont autant de sujets au cœur du péri­mètre de l’action de l’Ademe en matière d’économie cir­cu­laire. Le point avec Roland Marion, direc­teur éco­no­mie cir­cu­laire de l’Ademe.

Comment définissez-vous l’économie circulaire ?

L’Ademe tra­vaille sur dif­fé­rentes thé­ma­tiques de la tran­si­tion éco­lo­gique, dont la ville durable, la cha­leur renou­ve­lable, l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique et l’économie cir­cu­laire. L’agence dis­pose de deux grands fonds, le Fonds Cha­leur Renou­ve­lable, qui accom­pagne le déploie­ment des réseaux de cha­leur par exemple, ain­si que le Fonds éco­no­mie cir­cu­laire, doté de 300 mil­lions d’euros par an depuis plu­sieurs années et qui vise à accom­pa­gner des inves­tis­se­ments en matière d’économie cir­cu­laire sur les ter­ri­toires, du type recy­clage, réem­ploi, mais aus­si réa­li­sa­tion d’études pour mieux connaître les filières indus­trielles, anti­ci­per leurs évo­lu­tions et être en mesure d’adapter les dis­po­si­tifs et les actions.

Concrè­te­ment, l’économie cir­cu­laire ren­voie à l’économie qui pré­serve les res­sources natu­relles. C’est aus­si l’économie qui va faire tour­ner la matière de manière à mini­mi­ser l’épuisement des matières pre­mières non renou­ve­lables, voire renou­ve­lables. À terme, l’économie cir­cu­laire nous per­met­tra de garan­tir un main­tien durable de l’activité éco­no­mique sans une pres­sion insou­te­nable sur les res­sources naturelles.

“La feuille de route de l’Ademe a été reprise en grande partie dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 2020.”

Très sou­vent, l’économie cir­cu­laire est oppo­sée à l’économie linéaire que l’on résume ain­si « exploi­ter, pro­duire, consom­mer, jeter ». Dans le contexte actuel, il est de plus en plus évident que ce modèle est obso­lète. Au-delà, il nour­rit à tort l’idée que le recy­clage nous per­met­tra de ren­trer dans un monde cir­cu­laire. Face au rythme de crois­sance éco­no­mique et démo­gra­phique du monde, tous les jours, nous avons besoin de tou­jours plus de matières pre­mières que la veille. Même si nous arri­vions à atteindre 100 % de recy­clage (ce qui est aus­si illu­soire), nous ne cou­vri­rions pas l’intégralité de nos besoins.

D’ailleurs, au-delà du recy­clage, au sein de l’Ademe, nous envi­sa­geons l’économie au tra­vers de plu­sieurs piliers com­plé­men­taires : l’adaptation des modèles de pro­duc­tion pour qu’ils soient plus cir­cu­laires et sobres ; l’accompagnement des habi­tudes de consom­ma­tion pour qu’elles soient plus res­pec­tueuses d’un modèle cir­cu­laire ; la ges­tion des déchets (col­lec­ter, recy­cler et mieux valo­ri­ser les déchets).

En 2019, la France s’est d’ailleurs dotée d’une feuille de route économie circulaire. Pouvez-vous nous en dire ? 

Cette feuille de route est le fruit d’un tra­vail col­la­bo­ra­tif qui a impli­qué des entre­prises, des asso­cia­tions, des pro­fes­sion­nels des déchets, du recy­clage… Cette feuille de route a don­né lieu à un cer­tain nombre de pré­co­ni­sa­tions, dont une grande par­tie a été reprise dans la loi anti-gas­pillage pour une éco­no­mie cir­cu­laire (AGEC) en 2020, qui fixe des objec­tifs extrê­me­ment ambi­tieux sur la cir­cu­la­ri­té avec des contraintes, mais aus­si des oppor­tu­ni­tés. Au-delà, la loi fixe aus­si une tra­jec­toire et une vision autour des­quelles se ras­semblent aujourd’hui tous les acteurs de la chaîne de valeur, notam­ment les consom­ma­teurs, les pro­duc­teurs, les ges­tion­naires de déchets, vers un objec­tif com­mun. Et en ce sens, c’est aus­si là que réside la plus grande réus­site de cette feuille de route.

Au-delà, un des leviers de l’économie circulaire consiste à abandonner notre vision linéaire de l’économie pour aller vers une économie de la fonctionnalité. Comment accompagnez-vous cette démarche au sein de l’Ademe ?

L’économie linéaire favo­rise une pro­duc­tion de masse, ain­si qu’une durée de vie limi­tée des pro­duits, voire une forme d’obsolescence.

Il s’agit aujourd’hui d’inventer et de pro­po­ser des modèles éco­no­miques alter­na­tifs et plus sophis­ti­qués autour de la notion de fonc­tion­na­li­té qui éta­blit une nou­velle rela­tion entre l’offre et la demande basée sur une contrac­tua­li­sa­tion autour des effets utiles ou béné­fiques, une offre qui va s’adapter aux besoins réels de l’utilisateur et d’une prise en compte des enjeux de déve­lop­pe­ment durable.

Cette approche implique des trans­for­ma­tions pro­fondes des modes de pro­duc­tion et de consom­ma­tion : consom­ma­tion sans pro­prié­té des biens, inves­tis­se­ment stra­té­gique dans les res­sources imma­té­rielles de l’entreprise (déve­lop­pe­ment des com­pé­tences des sala­riés, mana­ge­ment coopé­ra­tif…), déve­lop­pe­ment du réem­ploi et de la répa­ra­tion des biens, reve­nus liés aux effets utiles, répar­ti­tion équi­table de la valeur entre les par­te­naires de l’offre, nou­velle gouvernance…

Enfin, l’économie de la fonc­tion­na­li­té implique aus­si un nou­veau réfé­ren­tiel pour le déve­lop­pe­ment durable des ter­ri­toires et conduit à la mise en place d’écosystèmes coopé­ra­tifs ter­ri­to­ria­li­sés asso­ciant des entre­prises, des col­lec­ti­vi­tés et des asso­cia­tions citoyennes.

« Il s’agit aujourd’hui d’inventer et de proposer des modèles économiques alternatifs et plus sophistiqués autour de la notion de fonctionnalité qui établit une nouvelle relation entre l’offre et la demande basée sur une contractualisation autour des effets utiles ou bénéfiques. »

L’Ademe a lan­cé plu­sieurs actions pour pro­mou­voir cette éco­no­mie de la fonc­tion­na­li­té. Nous avons tra­vaillé sur une vision pros­pec­tive de ce nou­veau modèle éco­no­mique à l’horizon 2050, nous tra­vaillons au déve­lop­pe­ment de ce modèle notam­ment avec l’Institut euro­péen de l’économie de la fonc­tion­na­li­té et de la coopé­ra­tion (IE-EFC), nous accom­pa­gnons les entre­prises afin qu’elles adoptent ce nou­veau modèle de pro­duc­tion et de consom­ma­tion. En 2020, nous avons notam­ment lan­cé le pro­gramme de recherche-inter­ven­tion pour le déve­lop­pe­ment durable des ter­ri­toires, Coop’ter (ter­ri­toire de ser­vices et de coopé­ra­tions), qui sou­tient le lan­ce­ment de nou­velles dyna­miques ter­ri­to­riales d’innovation ins­pi­rées de l’économie de la fonctionnalité.

Nous avons aus­si créé un Club de l’économie de la fonc­tion­na­li­té qui regroupe des entre­prises enga­gées sur le sujet et avec qui nous tra­vaillons pour iden­ti­fier les axes prio­ri­taires pour accé­lé­rer son déve­lop­pe­ment. Nous avons déjà 6 grands groupes et de plus en plus d’entreprises qui nous sol­li­citent sur ce sujet.

Dans cette démarche de pro­mo­tion de l’économie de fonc­tion­na­li­té, il per­siste néan­moins de nom­breux freins. Elle reste com­plexe à mettre en place, même si elle est intrin­sè­que­ment ver­tueuse en termes d’éco-conception, de durée de vie, de rela­tion entre le client et le four­nis­seur… Néan­moins, les modèles sur le seg­ment B2B com­mencent à se mettre en place et à se struc­tu­rer. Mais sur le seg­ment B2C, la démarche reste plus com­plexe car les exi­gences des consom­ma­teurs, qui res­tent très atta­chés à la notion de pro­prié­té, dépassent cette notion de fonctionnalité.

Qu’en est-il des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) ? Comment fonctionnent-elles et comment s’inscrivent-elles dans le concept plus large de l’économie circulaire ?

Les filières à Res­pon­sa­bi­li­té Élar­gie du Pro­duc­teur (filières REP) sont des objets éco­no­miques par­ti­cu­liers qui vont dépendre du droit fran­çais ou euro­péen. Elles ont été construites autour du prin­cipe selon lequel un pro­duc­teur qui met un pro­duit sur le mar­ché sait que ce der­nier a voca­tion à deve­nir un déchet. Selon le prin­cipe de « pol­lueur-payeur », il doit donc assu­mer aus­si une part de res­pon­sa­bi­li­té dans la ges­tion du déchet qui sera géné­ré par le pro­duit qu’il met sur le marché.

En France, la très grande majo­ri­té des pro­duits et des biens de consom­ma­tion du quo­ti­dien sont visés par une filière REP. Concrè­te­ment, cela veut dire que le prix d’achat inclut une « contri­bu­tion » qui est col­lec­tée par un orga­nisme agréé par l’État et qui a aus­si la res­pon­sa­bi­li­té de répondre à un cahier des charges de l’État pour la ges­tion du déchet. Ces éco-orga­nismes sont aus­si, désor­mais, res­pon­sables aus­si de la cir­cu­la­ri­té des pro­duits mis sur le mar­ché et à contri­buer à struc­tu­rer les filières de réem­ploi et de répa­ra­tion (c’est-à-dire d’augmentation de la durée de vie), en plus du recy­clage et de la valo­ri­sa­tion des déchets. 

Les pre­mières filières remontent à 1992. Leur déploie­ment s’accélère avec la loi AGEC de 2020 qui pré­voit la créa­tion de plu­sieurs nou­velles filières REP (articles de sport, bri­co­lage, tabac, bâti­ment…). Autre­fois plu­tôt axées sur une logique de ges­tion de déchets, elles s’inscrivent doré­na­vant de plus en plus dans une logique de ges­tion de l’ensemble du cycle de vie des pro­duits : l’éco-conception des pro­duits, la pré­ven­tion des déchets, l’allongement de la durée d’usage (le réem­ploi, la réuti­li­sa­tion, la répa­ra­tion), et la ges­tion de fin de vie des produits.

L’économie 
circulaire en France : des avancées et des enjeux qui persistent

En parallèle, la gestion et la valorisation des déchets restent un des leviers clés de l’économie circulaire. Comment appréhendez-vous ce volet au sein de l’ADEME ?

Face à la rare­té crois­sante et l’épuisement des res­sources, les ten­sions au niveau de l’approvisionnement éner­gé­tique et le chan­ge­ment cli­ma­tique, la sor­tie du modèle clas­sique « linéaire » de pro­duc­tion et de consom­ma­tion est une véri­table urgence.

Dans ce cadre, l’État a confié à l’Ademe, au tra­vers du Fonds Éco­no­mie Cir­cu­laire, la mis­sion de finan­cer une par­tie de la poli­tique des déchets et, in fine, d’économie cir­cu­laire sur le ter­rain. Nous menons ain­si plu­sieurs actions his­to­riques ren­for­cées depuis l’entrée en vigueur de la Loi de tran­si­tion éner­gé­tique pour la crois­sance verte du 17 août 2015 : aide à la connais­sance, aide à la réa­li­sa­tion, aide au chan­ge­ment de com­por­te­ment et aides aux pro­grammes ter­ri­to­riaux afin de contri­buer à l’atteinte des objec­tifs et ambi­tions de cette nou­velle poli­tique déchets.

“L’État a confié à l’Ademe, au travers du Fonds Économie Circulaire, la mission de financer une partie de la politique des déchets et, in fine, d’économie circulaire sur le terrain.”

En paral­lèle, nous tra­vaillons aus­si sur le tri à la source des bio­dé­chets, la pré­ven­tion, le tri des déchets des acti­vi­tés éco­no­miques, la tari­fi­ca­tion inci­ta­tive du ser­vice public déchets, le sou­tien au déploie­ment des plans régio­naux de pré­ven­tion et ges­tion des déchets… 

De manière plus géné­rale, nous ciblons aus­si les entre­prises pour les inci­ter à inté­grer des matières recy­clées, plu­tôt que des matières vierges, pour répondre à la néces­si­té d’une éco­no­mie de la « seconde vie ».

Au-delà de la per­for­mance de l’ensemble de la chaîne de valeur, nous accor­dons une atten­tion par­ti­cu­lière au plas­tique. Nous sommes face à un enjeu de sour­cing, de carac­té­ri­sa­tion et de tri afin d’optimiser leur recy­clage dans les usines de recy­clage méca­nique et chimique.

Sur les déchets ména­gers, 30 % envi­ron sont des bio­dé­chets, une matière vivante qui peut être valo­ri­sée par exemple via la métha­ni­sa­tion. Cela repré­sente un volume de 8 à 10 mil­lions de tonnes qui peuvent être valo­ri­sées en énergie. 

Qu’en est-il des enjeux à ce niveau ?

Nous sommes face à un enjeu de pré­ven­tion afin d’inciter toutes les par­ties pre­nantes à pro­duire moins de déchets. Il s’agit aus­si de recy­cler tou­jours plus et mieux ! Il y a notam­ment une réflexion à mener sur les REP, qui est modèle d’organisme de droit pri­vé agréé par l’État et qui répond à une mis­sion que l’on peut qua­li­fier d’intérêt géné­ral, qui vient per­cu­ter le modèle his­to­rique qui s’appuie sur les col­lec­ti­vi­tés qui ont his­to­ri­que­ment la com­pé­tence rela­tive au recy­clage (et les finan­ce­ments liés à ces com­pé­tences, la fameuse TEOM, taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères).

En paral­lèle, il y a aus­si un enjeu éco­no­mique : la matière issue du recy­clage et qui est mise sur le mar­ché a un prix qui n’est pas assez com­pé­ti­tif par rap­port à la matière pre­mière vierge, notam­ment celle qui est impor­tée. Cela passe par des dis­po­si­tifs opé­rés par l’Ademe ou d’autres orga­nismes pour inci­ter à inté­grer plus de matières recy­clées dans les pro­duits, par la modu­la­tion des éco­con­tri­bu­tions des filières à res­pon­sa­bi­li­té élar­gie du pro­duc­teur, enfin, à un der­nier niveau, une régle­men­ta­tion euro­péenne qui impo­se­rait des taux mini­mums d’incorporation de matières recy­clées dans la pro­duc­tion, comme c’est déjà le cas pour cer­taines résines plastiques. 

Et pour conclure ?

S’il est dif­fi­cile de nous posi­tion­ner parce que les réfé­rences d’analyse dif­fèrent d’un pays à un autre, en Europe, la France fait par­tie des lea­ders et des pion­niers en matière d’économie cir­cu­laire. L’écosystème fran­çais, qui s’est très tôt empa­ré du sujet, est très dyna­mique. Il est com­po­sé d’entreprises de toute taille, de start-ups et d’associations. Il est aus­si très inno­vant et tra­vaille sur des sujets à la pointe de la tech­no­lo­gie comme, par exemple, la recon­nais­sance auto­ma­tique de déchets…

À une échelle natio­nale, nous devons pour­suivre nos efforts en la matière. Pour accom­pa­gner ce mou­ve­ment, nous tra­vaillons à l’Ademe sur un indi­ca­teur de cir­cu­la­ri­té pour iden­ti­fier les leviers d’optimisation à action­ner. Ce sera sans doute, dans les pro­chaines années, notre indi­ca­teur prin­ci­pal de ges­tion et de pré­ser­va­tion des ressources. 

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