Affirmer la présence française dans l’Union européenne
L’administration française a trop longtemps paru étrangère à la culture de la consultation. Elle peina à intégrer la dimension européenne de manière horizontale. Un bref historique, en guise de rappel : à l’origine, l’administration en charge de l’agriculture paraissait, à côté du ministère des Affaires étrangères, à l’avant-garde de la négociation européenne.
Par la suite, le Quai d’Orsay fut progressivement rattrapé par le ministère de l’Économie et des Finances, du fait de la montée en puissance de l’Union économique et monétaire, avant que la crise de l’euro ne place les chefs d’État et de gouvernement en première ligne.
REPÈRES
L’initiative législative de la Commission européenne s’exerce avec peu de précédents, sans science infuse. Elle procède davantage, sur la base des compétences de l’Union définie par les traités, d’une remontée des demandes des acteurs. Les processus de consultation et d’agglomérations successives y tiennent une place majeure, d’où l’importance des pouvoirs d’influence, de représentation et de participation. C’est l’explication du poids des lobbys à Bruxelles.
Un bon fonctionnement du marché
À côté des structures administratives classiques propres à chaque ministère, l’administration française a dû s’organiser pour traiter les questions européennes. Depuis le milieu des années 1980, la quasi-totalité des politiques publiques françaises intègrent une dimension européenne.
Les politiques publiques françaises intègrent désormais une dimension européenne
Cette « européanisation » des problématiques nationales s’illustre tant au niveau du processus décisionnel qu’à celui de l’application et du contenu des dispositions législatives et réglementaires : questions relatives au bon fonctionnement du marché intérieur des biens et des services financiers, système européen d’évaluation et d’autorisation de substances chimiques (directive Reach), accords commerciaux, etc.
Élaborer et diffuser les positions de la France
Constance et compromis
L’Association « Finance WatchÈ, créée par l’auteur et quelques autres au début de l’actuelle mandature, face au poids des acteurs du marché, veille à renforcer, dans la réforme des services financiers, une voie conforme à l’intérêt général de la société. Pour le faire-valoir, pour le faire prévaloir dans le cours des négociations, l’argument d’autorité pèse moins que la présence, la constance et le compromis.
Deux structures spécifiquement dédiées à l’Union se sont ainsi édifiées. Ce fut, en premier lieu, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) créé seulement en 2005 et placé sous l’autorité du Premier ministre. Il remplit différentes fonctions essentielles pour élaborer et diffuser les positions de la France. Ce récent service succéda au Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Cette évolution donna une visibilité accrue à la négociation et à l’arbitrage européen.
Intégrer la dimension européenne
L’importance prise par les politiques européennes et la législation européenne dans l’ensemble des champs de l’action publique conduisent à s’interroger sur une future étape qui aboutirait à un SGAE moins conforme à la structure pyramidale de l’administration française et qui l’irriguerait davantage, permettant une gouvernance à plusieurs niveaux des questions traitées. L’enjeu serait de mieux intégrer la dimension européenne dans l’élaboration de la législation nationale, à la fois pour moins subir « Bruxelles » et pour y être plus influent.
Une mutation radicale
Parler d’une seule voix
La principale tâche du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) consiste à préparer en amont les orientations que la France exprimera au sein du Conseil de l’Union européenne. Pour qu’elle parle d’une seule voix, il coordonne la position des différents ministères. Le SGAE assure également, en lien avec le ministère des Affaires européennes, la communication aux députés européens français des positions défendues par le gouvernement dans le cadre du travail législatif européen. Enfin, il veille au suivi interministériel de la transposition des directives et des décisions-cadres.
Cette question d’influence est aussi liée à la structure centralisée de l’État français. A contrario, dans les États fédéraux, les collectivités territoriales peuvent être directement consultées et donc contribuent dans leur domaine de compétence à influer d’emblée le processus législatif.
Sur ce point et à ce stade, il est peu probable que l’acte III de la décentralisation change la donne, même si les régions françaises sont de plus en plus présentes à Bruxelles, notamment autour des enjeux de la politique de cohésion. Cette décentralisation devrait opérer néanmoins une mutation radicale, leur attribuant la compétence première pour gérer les fonds liés à cette politique.
Une représentativité permanente
Comme chaque État membre de l’Union européenne, la France dispose également à Bruxelles d’une Représentation permanente (RP) chargée de défendre le point de vue du gouvernement français au sein des institutions européennes, et d’abord au Conseil. Véritable relais des positions nationales, la représentation permanente, dirigée par un diplomate, sert d’interface entre les orientations politiques du gouvernement et l’environnement institutionnel européen.
La Représentation permanente est le véritable relais des positions nationales
Son domaine d’intervention couvre l’ensemble des politiques conduites par l’Union. Par-delà sa mission d’information des services ministériels, au sujet du positionnement des différents acteurs institutionnels européens et des autres États membres au sein du Conseil, la RP défend la position de la France.
Elle conduit donc la négociation au sein des comités de représentants permanents (COREPER), instances regroupant les représentants permanents de l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Ces comités, répartis en fonction des thèmes abordés, travaillent à la préparation des réunions du Conseil, en traitant notamment des aspects techniques des sujets inscrits à l’ordre du jour.
Être plus influent
Savoir négocier
Paris a longtemps privilégié la négociation au Conseil, où l’accord péniblement obtenu ne devait pas être remis en question. D’autres, les Britanniques en particulier, rouvraient la négociation sur les points pour lesquels ils n’avaient pas été suffisamment entendus au Conseil via leurs élus au Parlement européen, colégislateurs.
Ainsi, la bonne articulation des missions dévolues au SGAE et à la RP se révèle décisive dans la capacité de la France à influencer effectivement les arbitrages politiques rendus par les colégislateurs européens que sont le Conseil et le Parlement européen. Dans la dynamique des négociations, au-delà des alternances politiques, les positions des différents États membres manifestent des dominantes, reflets des traditions et des intérêts nationaux.
La France a pour vocation, au sein de l’Europe, de défendre le rôle proactif de la puissance publique, dans la ligne de la philosophie des Lumières. Elle est souvent en pointe lorsqu’il s’agit de défendre notre conception de la laïcité, de l’investissement public, du service public, mais aussi de la politique agricole commune.
Dans la crise que traverse l’Europe, l’audience de ce message dépend de notre situation économique, d’où l’importance de la rétablir, en assainissant les finances publiques de la France. Cela reste vrai nonobstant les stratégies d’influence des divers acteurs et des différents relais.
Mobiliser en amont
L’évolution de l’Union européenne elle-même a aussi un impact majeur sur les conditions de mobilisation de l’administration française. On ne négocie pas à vingt-sept comme à six ou douze. Si la question franco-allemande reste importante, elle s’intègre désormais dans une dynamique bien plus compliquée, avec des acteurs à jeu multiple.