Afrique de l’Ouest : souveraineté, développement et coopération
L’Afrique de l’Ouest est une sous-région de la vaste Afrique qui a sa dynamique propre. Mais son avenir est incertain. Les violences que subissent les populations et les relations de dépendance envers le monde extérieur compromettent les efforts de développement, alors que les tâches à mener sont infiniment complexes. La France et l’Europe doivent construire avec les États une coopération renouvelée, tenant mieux compte des traditions et des besoins locaux.
Article écrit le 5 février 2024
La situation démocratique des États africains est détériorée, dans le contexte des dérèglements économiques et climatiques globaux, et l’aggravation des inégalités constitue un terreau favorable au djihadisme et explique en partie l’intervention des militaires. La France et l’Europe entretiennent des relations ambiguës avec les gouvernements en place et les réponses sont inadaptées à leurs besoins. On doit s’interroger sur les nouvelles forces en présence, qui se livrent une « guerre d’influence » et qui participent des nouvelles données géopolitiques mondiales, pour questionner l’avenir des coopérations avec la France et l’Europe.
Un contexte d’instabilité démocratique
Depuis les indépendances, l’Afrique de l’Ouest a adopté la démocratie dans la plupart des pays, au moins sur un plan formel. Le modèle, imposé par l’Occident à la fin de la période coloniale avec l’instauration d’un système de pouvoir électif et un multipartisme, a été discrédité dans plusieurs pays à cause d’élections entachées d’irrégularités et pourtant validées par la communauté internationale.
La crise de souveraineté des États s’est doublée d’une crise de légitimité aggravée par leur incapacité à faire face à l’approfondissement des fractures économiques, sociales et ethniques, et à l’insécurité liée au salafisme et à l’essor fulgurant d’un djihadisme radical… Celui-ci représente une menace extrême. Les États africains, impuissants, ont appelé à l’aide. Mais la réponse de la France – essentiellement militaire – et les aides de l’Europe, mal ciblées et mal gérées, n’ont pas inversé le cours des événements.
Il n’est sans doute pas anodin que les coups d’État aient eu lieu dans l’Afrique francophone, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger ou au Gabon, célébrés par des populations en liesse, applaudissant la chute de leurs dirigeants et la rupture des liens avec la France.
Une autre forme de démocratie ?
Faut-il y voir un désaveu de la démocratie elle-même ? Et les coups d’État signifient-ils la fin de la démocratie ? La fin de la coopération avec la France ? Je ne le pense pas. Lors de la soirée eurafricaine « Indépendances et coopérations » que j’ai eu le plaisir d’animer le 8 décembre 2023 à Paris, le journaliste burkinabè Newton Barry a déclaré qu’« aucune population – fût-elle africaine – n’est condamnée à vivre dans une dictature ».
Avant la colonisation, les affaires se réglaient sous « les arbres à palabres » avec la participation des populations autour de leurs chefs, choisis par elles. Des traditions qui peuvent ouvrir la voie à d’autres constructions politiques plus participatives, où la démocratie peut trouver un nouveau souffle… Et, au lieu de parler de la Démocratie avec un grand D, il est temps de considérer que les situations sont toujours mixtes et que les transitions démocratiques doivent se mesurer à l’aune des réalités. Ainsi au Rwanda, où une « dictature éclairée » a su, sous la conduite d’un homme fort, résoudre les immenses problèmes liés au génocide et reconstruire le pays.
Quel rôle pour les militaires ?
Au Mali, en Guinée et au Burkina Faso – où l’héritage de Thomas Sankara est positif dans les mémoires – les militaires ont acquis un nouveau prestige aux yeux des populations dans leur lutte face au terrorisme et dans leur volonté de renverser des gouvernements corrompus et au pouvoir depuis trop longtemps, et non parce qu’elles aspirent à vivre sous un régime autoritaire. Les militaires sauront-ils préparer le retour à un régime civil, stable et inclusif ?
C’est ce qu’ils promettent tous mais, happés par le pouvoir et ses avantages, sauront-ils y renoncer ? Et pourront-ils éviter le pire, une prise de pouvoir par les djihadistes ? Il faut se rappeler Serge Michaïlof quand il démontrait dans son livre Africanistan paru en 2018 que, malgré les différences géographiques et culturelles, le Sahel avait toutes les caractéristiques qui ont mené au naufrage de l’Afghanistan, et qu’il alertait sur le terrorisme au Sahel : « Dans cinq ans, il sera trop tard. »
Les ambiguïtés de la communauté internationale et de la Cédéao
Comment expliquer les sanctions et menaces à l’encontre de ces pays, quand l’UA et la France ont acté la prise de pouvoir impopulaire au Tchad au nom de la stabilité régionale ? Et lorsque ni la Cédéao ni la France n’ont bronché quand Alpha Condé ou Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire ont pu modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir, en violation des chartes fondamentales de leurs pays et du protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance ?
Le report de l’élection présidentielle au Sénégal ressemblant là aussi à une rupture démocratique, plongeant le pays dans l’incertitude… En quelque sorte un soutien aux « coups de force civils », quand les coups d’État militaires sont dénoncés et sanctionnés au Mali, au Burkina ou au Niger, quitte à punir les habitants parmi les plus pauvres du monde. « Deux poids, deux mesures » qui expliquent l’indignation des opinions publiques et leur rejet de la France, mais aussi les difficultés que la Cédéao rencontre pour s’imposer face aux nouveaux pouvoirs issus des coups d’État.
L’échec des systèmes de sécurité
La multiplication des coups d’État est symptomatique de l’échec des systèmes de sécurité promus par la communauté internationale, qu’il s’agisse de la Minusma (forces de l’ONU), des missions européennes de formation des armées comme l’EUTM Mali et l’EUCAP Sahel Niger ou des opérations Serval et Barkhane lancées par la France, rassemblant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.
Après leur départ du G5 Sahel, le Mali, le Burkina Faso et le Niger proposent de créer une confédération, menaçant de quitter la Cédéao et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), et donc la zone franc, à la suite du blocus que les institutions ont imposé aux États. Le ressentiment de ces pays vis-à-vis de la politique monétaire de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) est d’autant plus fort que celle-ci les a menacés d’une interdiction d’accès aux marchés financiers, avec un risque de mise en défaut technique du service de la dette et de se voir fermer les sources de crédit. Pour trouver de nouvelles ressources financières, certains gouvernements renationalisent les mines d’or (Burkina Faso) ou y prennent des participations (Mali, Niger).
Une exigence de souveraineté
La sortie de l’UEMOA retarderait le lancement de la monnaie unique Eco en 2027, en remplacement du franc CFA hérité de la colonisation, mais plus fondamentalement les États reprochent à la BCEAO une politique calquée sur celle de la BCE, ciblant l’inflation au détriment du développement, une politique inadaptée à leur réalité. Car, si le franc CFA a permis une certaine stabilité monétaire des pays d’Afrique de l’Ouest, il est devenu le symbole d’une « servitude » qui a eu des répercussions aux niveaux économique, social et politique.
“Les pays veulent retrouver leur souveraineté, sur leur monnaie mais aussi sur leurs ressources.”
En effet sept des huit pays de l’UEMOA sont classés les « moins avancés » (PMA), les plus pauvres en langage clair, marginalisés sur le plan international au bénéfice de la France qui était la puissance dominatrice et dépendant de l’aide internationale pour financer leurs programmes de développement. Les pays veulent retrouver leur souveraineté, sur leur monnaie mais aussi sur leurs ressources qui aujourd’hui servent de monnaie d’échange pour rembourser leurs dettes.
Le recul de l’influence française et européenne
Les ressentiments des Africains vis-à-vis de la France et de l’Europe sont multiples, aggravés avec les dérèglements économiques globaux et la politique du « deux poids, deux mesures ». Des milliers de milliards d’euros débloqués en Europe lors de la crise de la Covid, mais quelques centaines de milliards de dollars pour l’Afrique… qui sont restés sur le papier. En effet, un an après le sommet sur le financement des économies africaines, le débat sur la « bonne » procédure a bloqué le versement des 100 milliards de droits de tirage spéciaux du FMI (et les décaissements accordés, lorsqu’ils ont lieu, comme les 495 millions de dollars à la Côte d’Ivoire en octobre dernier, ne sont en fait que des prêts dont les taux d’intérêt sont à la hausse).
Que vaut la promesse de Mme U. von der Leyen de mobiliser 150 milliards en Afrique d’ici 2030 « pour l’accompagner dans sa transition énergétique » ? Les critères d’attribution, essentiellement européens, tiennent rarement compte des besoins des pays africains, regrette Tiefing Sissoko, professeur aux universités de Créteil et de Bamako, sans parler des lenteurs bureaucratiques pour débloquer les fonds !
La force des influences russe et chinoise
L’Afrique se tourne de plus en plus vers les pays qui n’ont pas de passé colonial avec elle. Ils renforcent leur coopération militaire avec la Russie et consolident leurs partenariats économiques avec la Chine et les États-Unis, mais aussi avec l’Arabie saoudite et le Maghreb.
La Chine est devenue son premier partenaire commercial, devant les USA et l’Union européenne, avec un record de 254 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2021 et un stock cumulé de ses investissements de 473,5 milliards (dont 15 % sont militaires). Elle est devenue le premier créancier du continent, avec des prêts qui ont atteint 83,52 milliards de dollars en 2022, soit 12 % de sa dette extérieure globale. Les dettes non payées étant remboursées en matières premières ou levées en échange du monopole de gestion des investissements.
Quant à la Russie, elle est devenue le premier marchand d’armes du continent, devant les USA et la Chine, fournissant 44 % de toutes les importations d’armes de 2017 à 2021, l’intervention de « Wagner » se faisant contre des concessions sur l’exploitation des ressources minières. En évoluant d’un unilatéralisme occidental au multilatéralisme porté par la Chine et la Russie, en se rendant subordonnés à ces grandes puissances, les pays africains, qui aspirent à leur souveraineté et leur indépendance, pourront-ils rester maîtres de leurs décisions chez eux et jouer tout leur rôle dans le « nouvel ordre mondial » qui se construit ? D’ici 2100, un tiers de la population mondiale sera originaire d’Afrique, une démographie qui prouve à quel point le développement du monde ne pourra se faire sans elle.
L’ampleur des défis économiques sociaux et politiques
L’Afrique de l’Ouest doit bâtir son économie sur ses propres forces et construire un développement endogène et durable. Ses atouts sont immenses, avec ses quinze pays dont les pays anglophones comme le Nigeria et le Ghana, un PIB consolidé évalué à 800 milliards de dollars et une croissance de la population qui atteindra 538 millions d’habitants en 2030.
Mais les conséquences dramatiques du changement climatique (sécheresse, famines…), s’ajoutant à celles de la crise de la Covid, pénalisent les populations dont la grande majorité dépend du secteur informel et amplifient les inégalités d’accès aux systèmes de santé et aux biens essentiels comme l’éducation, l’alimentation, l’eau, l’électricité (rappelons que 640 millions d’Africains n’ont pas l’électricité, la pénurie d’eau touchant 40 % de la population), entre les zones urbaines et rurales dont certaines sont délaissées, en proie aux violences entre communautés ethniques autour des ressources, au banditisme et aux prédateurs djihadistes qui gagnent du terrain.
La réduction des inégalités en Afrique de l’Ouest et un nouveau type de développement passeront par des actions fortes stimulant les secteurs à fort potentiel de croissance et de main‑d’œuvre, par la transformation de leurs matières premières et par la mobilisation sans précédent des ressources financières… Des défis immenses pour les États qui tous présentent un risque de défaut sur leur dette en 2024, Nigeria et Ghana en tête.
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Quel avenir à la coopération avec la France et l’Europe ?
La France et l’Europe représentent des partenaires légitimes de l’Afrique et restent une destination désirée pour les Africains. Leurs liens sont multiples, fondés sur une longue histoire (les échanges commerciaux représentant 243 milliards d’euros en 2021), mais ils se délitent ; et attention à ce que nos politiques migratoires n’humilient davantage les Africains !
« L’avenir de l’Afrique est dans les mains des Africains », répète à l’envi Ahmedou Ould-Abdallah, le ministre des Affaires étrangères de Mauritanie. Oui, mais ils ont besoin de coopérations. Pour qu’elles se développent avec elles, l’Union européenne et la France en particulier doivent mieux écouter les peuples africains et leur besoin de solidarités actives, et transformer les aides au développement en financement des investissements et des projets. Ceux-ci doivent se bâtir entre États, mais aussi sur les territoires avec le soutien des diasporas, entre les collectivités, les universités et les entreprises.
« En s’appuyant sur les traditions et les valeurs africaines d’équité, nous pouvons regagner la confiance et développer nos coopérations d’intérêt mutuel », nous dit Nicolas Sureau, le directeur de projets à Eiffage, qui a signé un contrat avec la Guinée pour quatre hôpitaux.
Rien n’est écrit d’avance
Dans le contexte de crises et d’instabilité que l’Afrique de l’Ouest traverse, les dictatures militaires sauront-elles construire des appareils d’État souverains et des systèmes démocratiques, en s’appuyant mieux sur leurs sociétés civiles ? Chaque coup d’État est singulier et, les jeux politiques locaux ayant leur propre dynamique, rien n’est écrit d’avance… Quant aux institutions régionales seront-elles capables d’impulser le dialogue entre les États, leur offrir des appuis structurels et développer un marché favorisant les coopérations transfrontières ? Il est trop tôt pour le dire… mais il nous semble que c’est sur ce fondement que l’Afrique de l’Ouest pourra construire une croissance plus inclusive dans la sécurité et développer des relations plus saines avec la France et l’Europe.