Afriques …
A lire ou écouter les médias français, on ne connaît de l’Afrique que le bruit et la fureur. Un désordre constant d’autant plus incompréhensible que la connaissance qu’on a de ces pays est souvent fragmentaire, tant géographiquement que du point de vue historique. De plus, l’Afrique est multiple et diverse.
Il y a l’Afrique du nord du Sahara, puis la fournaise du Sahel, et à l’autre extrémité, il y a l’Afrique du Sud, bien particulière par son climat et sa population mixte.
Au centre, le Rift partage le continent en deux comme une poire, coupure le long de laquelle s’échelonnent les grands lacs que bordent de merveilleux pays, sièges récents d’horribles massacres, et qui se prolonge vers le nord par le Nil.
À l’ouest du Rift, il y a, ou du moins il y avait, la sauvagerie au plus beau sens du terme que l’on pouvait encore connaître, même après la colonisation, dans son état presque originel en vivant dans des villages reculés au tournant des années soixante-soixante-dix.
Entre les deux très grands pays que sont le Nigeria anglophone au nord-ouest et l’Angola lusophone au sud, il y a l’ancien Zaïre (la RDC, République démocratique du Congo) et un ensemble de pays (Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun, Centrafrique) représentant un bloc aussi important géographiquement – quoique moins peuplé – centré sur la plus grande réserve forestière tropicale du monde après l’Amazonie.
Dans cet ensemble, le Congo-Brazzaville, traversé par l’équateur, occupe une position centrale. Son évolution historique depuis son indépendance1 est un exemple intéressant de l’évolution politique de l’Afrique noire centrale. Mais sa dimension est apparue insuffisante, et ses ressources minières – hors pétrole – trop incomplètes pour en faire un échantillon vraiment représentatif de l’Afrique centrale. Le sujet a donc été étendu hors de ce pays à l’immense Zaïre et, partiellement, à l’Angola, tout en lançant quelques rapides incursions à l’extérieur de ces limites dans l’article de Jean-François Labbé sur l’exploitation guerrière des ressources minières africaines.
Comme le reste de l’Afrique noire, cette partie centrale est singulièrement ignorée en France.
On pouvait lire récemment par exemple : » L’Afrique n’a pas de rôle actuel dans le mouvement universel. Ce n’est pas de là que jaillira la lumière d’une nouvelle civilisation. »
Ceci montre à quel point ce continent est méconnu, sinon méprisé par nos intellectuels. Ils s’y rendent rarement, ne lisent pas les écrits qui en proviennent, et n’en connaissent que l’image évoquée en tête de cet éditorial.
Les hommes politiques africains sont mal connus, et souvent sous un angle caricatural qui ne correspond en rien aux générations maintenant au pouvoir. De plus, ces hommes, dont on ignore en France les actes les plus importants, sont souvent jugés selon des critères européens inadaptés. Sait-on par exemple que la première entrevue De Klerk-Mandela, origine de l’abolition de l’apartheid, a été organisée au cours des années quatre-vingt par l’actuel président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou N’Guesso ?
Sait-on également que ce dernier, voué aux gémonies par nos médias pour avoir pris le pouvoir en 1997 à la suite d’une guerre civile déclenchée par son prédécesseur élu, a rétabli depuis la paix et la sécurité dans son pays, et a reçu à ce titre le 6 juin 2000 la médaille du courage politique des mains de M. Charles Zorbibe qui représentait la Sorbonne à cette cérémonie ?
Enfin, on ne veut pas voir que, depuis la fin du XXe siècle, cette partie du continent africain s’est dégagée de la présence encombrante des grandes puissances et de leur emprise et, ayant déjà réussi seule à redresser certaines situations dramatiques, reprend progressivement en main son avenir politique en améliorant sa gestion, même si, pour aller dans la voie du développement économique, les investissements extérieurs restent encore essentiels.
Il est vrai que l’exemple de l’ancien Zaïre vient à première vue à l’encontre de ce premier constat qui sera immanquablement jugé optimiste. Le texte présenté par M. Bruneau, après avoir clairement expliqué les causes de cette situation, montre les solutions et laisse une note d’espoir qui peut être renforcée par les efforts nouveaux et manifestes de l’ensemble des gouvernants des pays voisins pour aboutir au rétablissement de la paix dans ce pays.
Même note d’espoir mesuré du Père Léon de Saint Moulin S. J. sur Kinshasa.
Pour quitter la politique, un exemple intéressant, qui vient exactement en contradiction avec l’opinion commune, est présenté par la musique en Afrique centrale. La société africaine noire et sa diaspora occupent une position forte, et même dominante, sur le plan musical international – il suffit de regarder le volume des disques inspirés par la musique d’origine africaine vendu dans le monde. Cette influence est fondée sur la musique traditionnelle, maintenue particulièrement vivante dans cette Afrique centrale à côté des tendances modernes qui continuent à s’en inspirer, comme le démontre ici l’article sur la musique de Jean Oba-Bouya, professeur de physique au Congo.
Dans le domaine scientifique, l’Afrique noire est un réservoir intellectuel peu connu et mal exploité comme l’expliquent dans ce numéro les articles de Jean Dutertre et David Békollé » Mathématiques et développement en Afrique « .
Si maintenant on s’intéresse à l’économie, outre les ressources minières évoquées plus haut, on connaîtra ici la place mondiale que tient dans la production de pétrole cette partie de l’Afrique qui entoure le golfe de Guinée (article de Michel Bénézit), ainsi que l’organisation de l’exploitation des bois tropicaux (article de S. E. Henri Djombo, ministre au Congo-Brazzaville).
Enfin, un exemple intéressant de développement maraîcher sous forme de micro-entreprises est présenté par M. Jacques Baratier, fondateur d’Agrisud, institution résultant du développement de la première société AgriCongo, également créée par lui.
Si ce numéro a pu donner de l’Afrique centrale une vision nouvelle, plus précise, parfois inattendue, et plus optimiste que celle répandue généralement, il aura atteint son but.
Ceux qui connaissent bien l’Afrique centrale d’aujourd’hui savent, eux, qu’un intense mouvement de redressement s’y dessine et que, malgré certaines idées reçues, cette partie du grand continent est en train de s’éveiller pour participer au » mouvement universel « , mais à sa façon, qui n’entrera probablement pas dans le moule du mouvement mondial actuel, ce qui est peut-être souhaitable.
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1. Voir à ce sujet dans le site Internet www.brazzaville-adiac.com le texte de l’auteur de cet éditorial, sur l’histoire du Congo-Brazzaville depuis la décolonisation : » Congo-Brazzaville, un long chemin vers la démocratie « .