Agir au niveau des lycées
Les lycées bien situés bénéficient d’un vivier favorable pour constituer leurs classes, ce qui leur permet de conditionner l’accès à leurs classes préparatoires à des exigences plus élevées que le simple niveau du bac. Le jeu des options permet de constituer « naturellement » des classes de très bon niveau. Certains lycées sont ainsi susceptibles d’attirer les bons élèves de l’extérieur, dont le « transfert » a été facilité par l’abolition de la carte scolaire.
Un cercle vicieux
Le système d’admission postbac (APB), coordonnant les admissions dans l’enseignement supérieur, pratique en soi, a accentué le phénomène en facilitant les candidatures multiples. Les meilleures classes prépas peuvent même commencer à préparer le programme de la seconde année dès la première. C’est une explication de la « parisianisation » des filières les plus sélectives. Les lycées et classes préparatoires d’où viennent les élèves des grandes écoles les plus prestigieuses tendent dangereusement à se concentrer sur quelques lycées parisiens.
La liberté croissante laissée aux lycées permet aux plus « en pointe » de préparer de plus en plus à l’enseignement supérieur. On entre dans un cercle vicieux nourri par le souci légitime des parents bien informés de trouver pour leur enfant le meilleur lycée, ou au moins d’éviter ceux de mauvaise réputation.
Parallèlement, les enseignants, voire les proviseurs les plus expérimentés ou reconnus, sont attirés par le meilleur niveau des élèves de ces lycées ou leur localisation. Les lycées les plus prestigieux, dotés de classes préparatoires, peuvent choisir leurs élèves, de sorte que s’établit une hiérarchie qui se prolonge en classes préparatoires aux grandes écoles, avec des préparations de plus en plus spécifiques pour certaines gammes de concours.
Par exemple, cette année, près de la moitié des 400 places disponibles à l’École polytechnique sur la voie principale a été remplie par deux lycées. Cette hiérarchie d’excellence des lycées puis des classes prépas bénéficie, d’abord et surtout, aux héritiers des familles qui sont les mieux placés et ont le mieux compris le fonctionnement du système.
Trois ouvertures possibles
Il faut rappeler les objectifs du service public de l’éducation, qui sont de former des citoyens et de valoriser au mieux le potentiel de chaque individu, sans considération d’origine sociale ou familiale. Sur le plan de l’ouverture sociale, on peut envisager trois types de solutions : rechercher une meilleure homogénéisation des collèges et lycées, en passant notamment par la constitution d’une filière sélective dans chaque lycée ; compléter la formation au lycée par des actions d’accompagnement et d’ouverture culturelle et scientifique ; diversifier les filières et les étapes de recrutement, notamment en valorisant la filière universitaire.
Une filière sélective dans chaque lycée
Les catégories sociales moins favorisées sont mal renseignées sur les filières
Plutôt que de voir certains lycées privilégiés avoir le monopole des meilleures classes, ce qui leur permet de drainer les banlieues de quelques-uns de leurs bons élèves, il serait plus intéressant que chaque lycée ait sa « classe d’excellence ». Celle-ci pourrait accueillir un effectif important, diminuant celui des autres classes. On peut imaginer d’autres mesures, en premier lieu repenser la carte scolaire pour freiner les migrations de bons élèves.
Voire imposer que les candidatures en classe préparatoire soient orientées dans la région d’origine. Il serait intéressant aussi de garantir à chaque lycée l’obtention d’un certain nombre de places en prépas, y compris dans les meilleures de la région. Plus polémique, une limitation sur les lycées, même large, pour éviter qu’ils ne soient les antichambres des classes préparatoires prestigieuses.
Accompagnement et ouverture culturelle et scientifique
Le lycée ne peut à lui seul compenser les avantages que dispense « à la maison » un milieu familial qui accompagne, favorise l’éveil scientifique et culturel et dont les relations facilitent l’accès à l’information ou à des stages pédagogiques. Une solution est de faire appel à des associations et à des étudiants d’universités ou de grandes écoles qui interviennent soit à l’extérieur, soit au sein même du lycée, en concertation avec lui dans l’idéal.
Les classes d’excellence auraient de plus fortes exigences dans les matières fondamentales : français, mathématiques, physique, anglais. Tout en préparant le bac « actuel », leurs élèves viseraient l’enseignement supérieur, comme le font actuellement les élèves des lycées réservés à l’élite.
L’Association Paestel (Pôle associatif pour les études, les sciences, le travail et les lettres) a été fondée par trois associations (Paris Montagne, Science ouverte et Tremplin) et deux grandes écoles (ENS et Polytechnique), déjà engagées dans l’ouverture sociale. Elle fédère ces acteurs qui travaillent de concert au profit de jeunes de quartiers sensibles en région Île-de-France. Paestel a organisé en 2011 une colonie de mathématiques dans une station des Alpes qui a rassemblé 35 jeunes motivés de première S. Les encadrants bénévoles étaient des enseignants de classes préparatoires, de grandes écoles, d’université ou des chercheurs au CNRS. Ils faisaient travailler les jeunes en petits groupes, tantôt sur des matières scolaires, tantôt sur des activités ludiques ou de recherche.
Les après-midi étaient dédiées à la découverte de la montagne, aux jeux, etc. L’Association prépare un nouveau séjour en Normandie pour découvrir des entreprises de l’énergie.
Diversifier les filières et les étapes de recrutement
Diversifier les filières de recrutement entraîne le risque d’une baisse du niveau des candidats, mais donne la possibilité d’attirer de nouveaux talents, de favoriser leurs interactions et de promouvoir l’ouverture sociale. Il s’agirait de dépasser ce couperet très français d’un concours passé deux ans après le bac, qui tend à figer l’avenir professionnel.
L’ouverture aux filières technologiques semble pertinente, mais les élèves qui en sont issus sont, semble- t‑il, ceux qui ont le plus du mal à suivre à l’École polytechnique. Des solutions existent, comme celle appliquée aux élèves étrangers issus de la voie 2 qui, souvent en retard, sont remis à niveau par le semestre d’accueil (qui remplace le service de formation humaine et militaire).
Revaloriser la licence
La question qui va de pair est la revalorisation de la licence. L’université apparaît actuellement comme le parent pauvre du système d’enseignement : la faiblesse de la dépense par étudiant et l’absence de sélection participent à une fuite des bons élèves qui préfèrent les classes préparatoires aux grandes écoles, quitte à se rabattre sur des écoles qui n’ont de « grandes » que le nom.
Se pose également la question de la valorisation de la partie enseignement de leur métier pour les universitaires. Toujours dans la perspective de varier les profils, citons l’expérience des ENS qui proposent un statut d’auditeur libre admis sur dossier ou moyennant un concours d’entrée en troisième année à Cachan. Mais il semble qu’actuellement cette piste profite plutôt aux initiés qu’aux étudiants de condition modeste.
Un nouvel institut postbac
S’inspirer des bonnes recettes des classes préparatoires : internat bon marché, encadrement, nombre d’heures de formation, exigences, contrôle continu
Une autre réponse intéressante pourrait être fournie par la création d’un nouvel institut de formation postbac sur lequel travaillent actuellement ParisTech et les universités Paris-Descartes et Paris-Sud. Ce projet s’adresse en priorité aux jeunes que les études longues découragent en raison de leur coût ou parce qu’ils préfèrent souvent, dans les premières années, la théorie à l’expérimentation. Il s’inspire des bonnes recettes des classes préparatoires (internat, encadrement, etc.) et va aussi chercher des idées du côté de l’université en mettant au coeur de sa formation le lien avec les laboratoires, les projets individuels et l’apprentissage par projet.
En conduisant vers une licence scientifique généraliste, il pourrait permettre aux étudiants diplômés de voir s’ouvrir des perspectives auxquelles ils n’avaient peut-être jamais osé penser auparavant : poursuivre en master ou intégrer une grande école. Entre les classes prépas, les premiers cycles universitaires, les prépas intégrées et ce type d’institut, il devrait être possible d’ouvrir un éventail de formations comprenant des passerelles et différents moments d’évaluation.
Et cela, à la fois pour répondre aux capacités et aux aspirations d’élèves de milieux et de profils différents, et pour améliorer la qualité des formations.
Les élèves issus de la filière universitaire réussissent plutôt bien, après un temps d’adaptation aux exigences de l’École polytechnique. Auparavant, les 10 places qui leur étaient réservées n’étaient pas forcément comblées (que ce soit pour cause d’autocensure ou de niveau jugé insuffisant). Elles l’ont été en 2011 et leur nombre est passé à 17 en 2012. Il pourrait continuer d’augmenter jusqu’à 30 si les candidats sont jugés de niveau suffisant.
Les élèves issus de la filière universitaire réussissent plutôt bien, après un temps d’adaptation aux exigences de l’École polytechnique. Auparavant, les 10 places qui leur étaient réservées n’étaient pas forcément comblées (que ce soit pour cause d’autocensure ou de niveau jugé insuffisant). Elles l’ont été en 2011 et leur nombre est passé à 17 en 2012. Il pourrait continuer d’augmenter jusqu’à 30 si les candidats sont jugés de niveau suffisant.
2 Commentaires
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» Ce projet s’adresse en
» Ce projet s’adresse en priorité aux jeunes que les études longues découragent en raison de leur coût ou parce qu’ils préfèrent souvent, dans les premières années, la théorie à l’expérimentation »
N’est-ce pas plutôt le contraire ?
Ou alors : « parce qu’elles (les études longues) préfèrent souvent, dans les premières années, la théorie à l’expérimentation »
» va aussi chercher des idées
» va aussi chercher des idées du côté de l’université en mettant au cœur de sa formation le lien avec les laboratoires, les projets individuels et l’apprentissage par projet « .
Lien avec les labos : oui, mais est-ce vrai avant le M2 ?
Projets individuels et apprentissage par projet : ça me semble plus courant dans les écoles qu’en licence dans les universités.