Agir pour le futur ?
Agir (pour préserver le futur), ou ne pas agir ? Au vu des débats qui tournent autour de cette question récurrente en matière d’environnement et de ressources, si simple à énoncer, mais si complexe à traiter, nul doute qu’un Hamlet des temps modernes pourrait troquer son crâne légendaire pour un globe terrestre sans léser le spectateur, et sans rabaisser le niveau de la philosophie à suivre.
En tentant de nous attaquer à cette difficile réflexion sur la manière – et la pertinence – de susciter l’action quand un problème se présente à nous, nous avons clairement pris un double risque. Le premier est de sortir du domaine de compétence classique des ingénieurs que nous sommes, même pour ceux d’entre nous qui avons abandonné depuis longtemps les intégrales triples et l’enthalpie, et de livrer des digressions parfaites en théorie mais… parfaitement inapplicables dans la vraie vie.
Notre terrain de chasse habituel – celui de la technique – est en effet un terrain très confortable pour les débats, car les notions manipulées s’y définissent souvent de manière univoque. Il n’y a qu’une seule formule chimique du CO2, une seule chaleur latente de vaporisation de l’eau, et il reste assez facile de s’accorder sur la pression qui met en mouvement un piston à telle vitesse, sur la résistance mécanique d’un pont dont les caractéristiques sont connues, ou encore sur le bon indicateur à utiliser pour caractériser telle ou telle grandeur ou évolution.
Mais, lorsque nous entrons dans les débats de société, il en va tout autrement, et la perception identique pour tous des notions manipulées devient beaucoup plus l’exception que la règle. Comment former des consensus, indispensables à toute action collective, en pareil cas ? Si nous reprenons la question ouvrant cet éditorial, qu’appelons nous » agir » ? Ce terme s’applique-t-il à n’importe quel comportement dès lors que nous faisons quelque chose, ou bien est-il réservé à la désignation d’un comportement suffisant pour régler un problème dont nous avons connaissance ? L’inaction n’est-elle pas aussi une action, celle qui consiste à classer le problème considéré assez bas dans l’échelle des priorités ? Et s’il s’agit de la réponse à un problème nouveau, pouvons-nous apprécier le comportement adopté sans tenir compte de l’information disponible ? Du coup, à quel niveau situons-nous une information suffisante pour pouvoir se décider de manière éclairée ? Qui, et au nom de quoi, peut l’établir pour autrui ?
Le deuxième risque que nous avons pris, et ceci n’est que la conséquence de cela, est bien de laisser le lecteur sur sa faim. Quand un problème n’admet qu’une seule solution, exposer l’un et l’autre ne présente comme difficultés majeures que de faire preuve de suffisamment de pédagogie et de tenir dans l’espace imparti, et l’on peut espérer finir par démontrer ou convaincre.
Mais quand un problème, même bien posé, admet une infinité de solutions, parce que chacun possède sa propre échelle de valeurs et que choisir c’est toujours renoncer, alors nous serions bien présomptueux de prétendre en faire le tour en quelques dizaines de pages.
Nous espérons cependant que, malgré ces limites majeures, le lecteur trouvera un certain agrément à parcourir ces articles, pour lesquels je remercie vivement les auteurs. Bonne lecture !