Agriculture et forêts au secours du climat
L’agriculture et la forêt doivent s’adapter au changement climatique. Mais l’une et l’autre permettent d’atténuer ce changement. Pour conjuguer efficacement adaptation et atténuation, il faut savoir concilier la réponse aux enjeux globaux et la prise en compte des contraintes du développement local. Les défis sont autant politiques que scientifiques.
En illustration : Forêts et régulation hydrologique au Costa Rica © Bruno Locatelli
REPÈRES
Les réponses au changement climatique ont jusqu’à présent été davantage focalisées sur la réduction des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, » l’atténuation « , plutôt que sur la réduction de la vulnérabilité des sociétés et des écosystèmes face au changement climatique, « l’adaptation « . Mais aujourd’hui, l’adaptation prend une importance croissante dans les politiques internationales et nationales, ainsi que dans les initiatives locales. Les politiques abordent l’atténuation et l’adaptation de manière distincte, alors qu’elles présentent de nombreuses complémentarités – en particulier dans certains secteurs – et qu’elles pourraient être mises en œuvre conjointement, dans les politiques internationales et nationales et les plans de développement local.
L’agriculture et la forêt ont une place importante à la fois dans l’atténuation des changements climatiques, en raison du potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans ces secteurs, et l’adaptation, en raison de leur vulnérabilité.
Le rôle de la forêt est crucial pour les pays en développement
Les forêts offrent un exemple intéressant de complémentarité entre atténuation et adaptation. La contribution des forêts à l’atténuation du changement climatique est déjà reconnue : la reforestation voire la déforestation évitée peuvent être rémunérées par les instruments politiques pour l’atténuation. Les forêts jouent aussi un rôle dans l’adaptation même si la reconnaissance de ce rôle est à renforcer.
Stocker le carbone : un service écosystémique global
Services écosystémiques
Les services fournis par la forêt aux humains sont de trois types : les services d’approvisionnement – production de biens, comme les aliments, l’énergie, les plantes médicinales, les fibres ; les services de régulation des processus écologiques – régulation du climat global par la séquestration du carbone, de la quantité et de la qualité de l’eau, de la force des vents ou des vagues ; les services culturels, par exemple spirituels, d’héritage culturel ou de loisir. Ces services écosystémiques sont fournis à plusieurs échelles spatiales : proximité immédiate (pour la beauté d’un paysage), bassin versant (pour la qualité de l’eau), monde (pour la séquestration du carbone).
Reboiser permet d’accroître les stocks de carbone dans les écosystèmes. Réduire la déforestation tropicale – qui représente entre 15 et 20 % des émissions mondiales de GES – permet de conserver les stocks existants. Ces mesures ne résoudront pas à elles seules le problème : elles compléteront les efforts réalisés dans d’autres secteurs.
La séquestration du carbone est reconnue comme un » service écosystémique global ». Elle est prise en compte dans les accords internationaux sur le changement climatique. Ainsi le mécanisme pour un développement propre (MDP) du protocole de Kyoto rémunère la contribution des activités de boisement et de reboisement dans les zones tropicales. Quant à la déforestation évitée, des négociations sont en cours pour l’inclure dans le futur accord international sur le climat.
Une prise en compte politique
Mais les forêts n’occupent pas encore une place significative dans les politiques nationales et internationales d’adaptation. Or, elles peuvent pâtir du changement climatique et des mesures d’adaptation seraient nécessaires tant pour les écosystèmes forestiers que pour les populations locales et les secteurs forestiers. De plus, elles produisent des services écosystémiques qui facilitent l’adaptation au changement climatique d’autres secteurs économiques et, plus largement, de la société. Ce rôle est crucial pour les pays en développement : la forêt fournit des biens aux populations locales et réduit l’exposition aux événements climatiques.
Les forêts contribuent à réduire la vulnérabilité des populations et des secteurs économiques liés – eau, hydroélectricité, transports, etc. – face au changement climatique. Pourtant, cela n’est pas pris en compte dans les politiques internationales ou nationales et dans les projets locaux d’adaptation, pour la plupart limités à une approche sectorielle.
Forêts protectrices
Au Costa Rica, l’intensité des pluies a augmenté ces dernières années, accroissant l’érosion et la sédimentation dans les barrages hydroélectriques. Les forêts protégeant les sols, leur conservation est perçue comme une mesure d’adaptation par le secteur hydroélectrique. En Indonésie, les forêts stabilisent les versants et réduisent les glissements de terrain, responsables de nombreuses pertes humaines et matérielles qui, selon certaines études, pourraient se multiplier dans le futur. En brisant les vagues, les mangroves et les forêts littorales d’Asie protègent les populations et leurs biens lors des tempêtes, un rôle qui ira croissant avec l’augmentation possible de la force des tempêtes et la montée du niveau des mers causée par le changement climatique.
Reconnaître les services rendus
L’approche de l’adaptation basée sur les écosystèmes (ou EBA pour Ecosystem-Based Adaptation) est apparue récemment dans les discussions internationales sur l’adaptation au changement climatique. En 2008 et 2009, certains pays et des ONG ont envoyé des propositions à la Convention Climat, plaidant pour que l’EBA, définie comme une gestion durable des écosystèmes pour aider la société à s’adapter, soit prise en compte dans les actions visant l’adaptation.
La forêt réduit la vulnérabilité au changement climatique
Certaines propositions arguent pour une reconnaissance des services rendus par les écosystèmes, mais sans avancer de mesures concrètes, par exemple la rémunération des services environnementaux. L’EBA pourrait être plus efficace et durable écologiquement, économiquement et socialement qu’une adaptation fondée exclusivement sur la mise en place d’infrastructures, par exemple des investissements dans des réservoirs et des digues pour faire face aux impacts du changement climatique. Bien adaptée aux sociétés dépendant des ressources naturelles, l’EBA peut compléter d’autres d’approches dans d’autres contextes.
Conjuguer atténuation et adaptation
Les approches basées sur les écosystèmes peuvent donc être utilisées autant pour l’atténuation que pour l’adaptation. Les interactions entre ces deux approches peuvent être positives ou négatives. Conserver les forêts pour atténuer le changement climatique à l’échelle planétaire peut accroître la production de services écosystémiques locaux et favoriser l’adaptation des sociétés locales – comme un projet d’adaptation fondé sur les écosystèmes contribuera à conserver les forêts et leur carbone, et donc à atténuer le changement climatique. Des synergies sont donc possibles.
Mais les mesures d’atténuation peuvent aussi nuire à l’adaptation des populations locales. Par exemple, en limitant la déforestation, on peut interdire, ou réduire, l’accès des populations locales aux ressources naturelles et donc restreindre les possibilités de développement et d’adaptation. La seule présence d’écosystèmes fournissant des services est insuffisante. Encore faut-il que les populations vulnérables puissent en bénéficier, qu’elles disposent de droits sur les ressources et qu’elles puissent accéder à celles-ci. Des garde-fous sont donc nécessaires pour que les projets d’atténuation ne lèsent pas les populations locales.
Ajuster en permanence les politiques
L’adaptation et l’atténuation ne se limitent pas aux services écosystémiques. Elles s’inscrivent dans la problématique plus large du développement durable.
Des garde-fous sont nécessaires pour ne pas léser les populations locales
Elles supposent que les populations locales disposent, sur le long terme, de moyens d’existence diversifiés, leur permettant notamment d’éviter la déforestation ou la dégradation des forêts. Elles impliquent aussi de créer des réseaux où populations, institutions nationales ou locales puissent échanger connaissances et expériences, coordonner leurs pratiques. Enfin elles demandent flexibilité et souplesse pour s’adapter aux évolutions rapides et aux éventuels impacts négatifs des mesures prises. Cela suppose d’observer et d’analyser les effets des mesures, de faire des propositions d’ajustement et de les mettre en pratique.
Adaptation et développement
La distinction entre développement durable et adaptation au changement climatique n’est pas claire. De nombreuses mesures proposées pour l’adaptation (par exemple, renforcer les capacités ou diversifier les revenus) sont mises en oeuvre depuis longtemps dans les projets de développement. De plus, avant d’anticiper pour s’adapter aux conditions futures, les populations doivent d’abord pouvoir répondre aux stress actuels. Entre les activités de développement et les activités d’adaptation existe un continuum. De nombreux scientifiques plaident donc pour intégrer systématiquement l’adaptation dans le développement. D’autres voient dans le changement climatique une possibilité de faire avancer le développement durable.
Concilier les enjeux d’environnement global et de développement local implique non seulement de créer des liens entre les mesures d’adaptation et d’atténuation, mais aussi d’intégrer les deux approches dans les politiques forestières, environnementales et territoriales. Par exemple, les politiques de développement ou de conservation de la nature traiteraient de l’adaptation des populations locales et des écosystèmes au changement climatique, et bénéficieraient aussi de financements internationaux pour leur contribution à l’atténuation.
Une gouvernance à plusieurs niveaux
Une telle intégration suppose de mettre en place de nouvelles formes de gouvernance, locale, nationale et internationale. Par exemple, il est indispensable de créer des liens entre institutions et entre secteurs, entre ceux qui gèrent les écosystèmes et ceux qui bénéficient de leurs services. Directement concernés, les acteurs locaux sont appelés à jouer un rôle majeur dans l’intégration des politiques. Pour que les politiques soient efficaces et équitables, leurs intérêts doivent être représentés dans l’élaboration et la mise en oeuvre. Cela suppose de définir leurs droits, rôles, responsabilités, par exemple au sein de plates-formes d’échange et de négociation à créer. Cette implication suppose que, outre les politiques internationales et nationales, les décisions pertinentes puissent se prendre à l’échelle locale.
Impliquer les chercheurs
Atelier participatif sur la vulnérabilité et le climat avec une communauté forestière au Cameroun |
Outre leur utilité dans l’atténuation et dans l’adaptation, les PSE peuvent être conçus comme un des outils permettant de conjuguer atténuation et adaptation. Une telle conception suppose de disposer de nouvelles connaissances : rôle des services écosystémiques, mise au point des modalités d’application (rémunération ; suivi et évaluation), élaboration de cadres réglementaires, liens avec d’autres outils… Des connaissances que la recherche a toute légitimité de produire. Les scientifiques peuvent être aussi mobilisés comme médiateurs entre décideurs politiques et acteurs locaux, facilitant les transferts d’informations, s’impliquant dans des platesformes de dialogue entre chercheurs, politiques et citoyens.
Un double défi
Développer des politiques et des mesures intégrant l’adaptation et l’atténuation représente des défis, ainsi bien scientifiques que politiques. Les forêts et aussi les systèmes agricoles, agroforestiers ou sylvopastoraux sont pertinents pour réfléchir à l’intégration de différents usages des terres et des services écosystémiques rendus dans une approche de paysages multifonctionnels. Ces défis valent la peine d’être relevés pour que la gestion des forêts et de l’agriculture bénéficie à l’environnement global et contribue au développement local, sous le climat d’aujourd’hui et sous celui de demain.
Bruno Locatelli Cirad : www.cirad.fr/ur/bsef
Commentaire
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ET LA VITICULTURE ?
Comme d’habitude, c’est un bon dossier que nous fait la JR.On y parle de tous les sujets agricoles,dans la plupart de leur dimensions,y compris le commerce extérieur ; enfin presque tous les sujets…Car il est impossible , à la lecture de ce dossier, d’imaginer une seule seconde que la viticulture (hors spiritueux) représentait en 2009 à elle seule en France 92% de l’excédent commercial agroalimentaire .Le vin et la vigne apparaît incidemment une fois dans les 46 pages pour évoquer le retard de la date des vendanges.C’est bien maigre pour une culture qui façonne de nombreux paysages français , certainement plus finement que la forêt…et qui est le second poste excédentaire du commerce extérieur !